Sürkrüt

Blog de l’atelier de Communication graphique de la HEAR

Citizenfour


Comment mettre en scène ou raconter au cinéma des choses pour lesquelles on a peu ou pas d’images ? C’est le problème auquel le documentaire Citizenfour de Laura Poitras (visible au cinéma actuellement) a dû faire face.

Sans revenir dans les détails de l’affaire Snowden, (dont certaines des révélations font régulièrement encore les gros titres un an et demi après qu’elle ait éclaté), qui sont plus qu’intéressantes pour leur aspect politique, le film vaut également pour sa fabrication et sa narration.

Le film débute là où l’histoire de l’affaire Snowden commence : Laura Poitras qui est également la réalisatrice du documentaire est contactée de manière anonyme par une personne disant avoir des informations très sensibles à lui communiquer. Au moment où elle reçoit le message elle ne sait pas de qui il s’agit, ni exactement sur quoi vont porter ses révélations.
On n’est pas dans le cas de figure du journaliste partant en reportage en préparant son tournage en amont. Cette incertitude sur les événements qui arriveront se poursuivra tout au long des faits relatés dans le film. Mais comment raconter quelque chose dont on ne sait absolument pas la teneur ?

Edward Snowden et Glenn Greenwald dans une chambre d'hôtel à Hong-Kong

Edward Snowden et Glenn Greenwald dans une chambre d’hôtel à Hong Kong

Le matériau filmique peut ainsi se décomposer en 4 éléments :

— Les entretiens entre Glenn Greenwald (journaliste au Guardian) et Edward Snowden. Dans ces séquences, la tension est perceptible en permanence : Snowden sait de quoi les services pour lesquels il a travaillé sont capables pour pouvoir le retrouver. Les journalistes et Snowden savent qu’à partir du moment où le premier article sortira, leur temps sera compté avant qu’ils ne soient localisés et que démarches soient entreprises pour empêcher la divulgation d’autres informations.

— Des séquences de captures d’écran des messages entre Edward Snowden et ses interlocuteurs (le tout se déroulant dans un terminal d’ordinateur crypté, avec lecture du texte en voix off). Ces images sont les plus abstraites, mais en même temps, elles sont le plus proches du matériau réel des informations qui sont traitées par les services de renseignement. C’est à partir de cette matière première que les individus sont tracés et identifiés.

— Des prises de vues de différents lieux (principalement des vues de ville, notamment Hong Kong). Ces séquences mettent bien en relation la virtualité des faits évoqués : capture de métadonnées, écoutes à grande échelle, analyse d’informations en dehors de tout cadre légale ; avec le fourmillement d’une mégapole moderne, dont la majeure partie des interactions sont constituées par ces fameuses données.

— Quelques séquences filmées probablement après l’affaire Snowden, dont certaines mettent en scène William Binney qui avait déjà critiqué la politique d’écoute de l’administration américaine. Ce faisant, elle répond à une des craintes de Snowden d’apparaître comme une icône au détriment des multiples problèmes pointés par ses révélations. Il y a donc un avant Snowden, et on voit à la fin du film qu’il y aura sûrement un après.

Hey. Are you there ?

ES: Hey. Are you there ?

Ce film pose assez bien la question de la société dans laquelle nous souhaitons vivre. Et de quelle manière nous dépendons de nos outils numériques. À l’heure où tous nos logiciels, tous nos documents sont déportés dans les fameux clouds (je suis à l’heure où j’écris cet article, inscrit sur 5 clouds différents), qui ne sont surtout pas virtuels, quelle autonomie souhaitons nous avoir vis à vis de ces outils en ligne ?

Comme le dit très bien l’un des personnages du documentaire, le fait de savoir que des sociétés publiques et privées (Snowden travaillait pour un prestataire privé de la NSA), ont accès à nos données, engendre une certaine forme d’autocensure dans nos usages et nos documents. Ce qui d’un point de vue de la liberté d’expression et d’un certain idéal démocratique pose un vrai problème !

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