Retour sur la conférence de Sibylle Hagmann
Jeudi 14 mars 2013 s’est tenue la conférence de Sibylle Hagmann, invitée à la HEAR pour présenter son travail de graphiste et de dessinatrice de caractères.
“HI
HALLO
BONSOIR”
C’est avec ces trois mots que Sibylle Hagmann commence sa conférence. De l’anglais, de l’allemand et du français, à l’image de son parcours — international — dans le monde du design typographique.
Après avoir entamé des études d’arts appliqués à Bâle, elle débute ses études et sa carrière en Suisse, à Bâle et à Zurich, avant d’intégrer le California Institute of the Arts aux États-Unis et d’obtenir un Master of fine Arts, en 1996. C’est finalement dans la région de Houston, au Texas, qu’elle s’installe et fonde le studio “Kontour”, en 2000. Actuellement en résidence près de Münich, elle s’est absentée le temps d’une rencontre pour venir à Strasbourg et nous présenter son travail.
Ce parcours et cet apprentissage du graphisme, à mi-chemin entre le style international suisse et l’expressivité qu’elle a pu trouver dans le graphisme californien est représentatif du travail de Sibylle Hagmann. Cette oscillation entre ces deux écoles se ressent encore aujourd’hui dans sa démarche. Elle revient sur les influences et les références qui l’ont marquée dans le but de nous faire comprendre son travail actuel.
Retour sur ses influences
Sibylle Hagmann a tout d’abord été plongée dans le travail d’Emil Ruder et Armin Hopfman, émanant de la HGK de Bâle (Hochschule für Gestaltung und Kunst Basel). Elle aura baigné dans les principes graphiques du style international suisse (utilisation de grilles de mise eb page et de polices de caractères linéales). Ainsi, les réflexions de Jan Tchischold (The New Typography, 1928) puis de Joseph Müller Brockmann (Grid Systems in graphic design, 1968) ont été déterminantes dans ses études. L’utilisation de caractères sans serif, de grotesques et particulièrement du caractère Univers de Adrian Frutiger (1967) ont eu une grande importance pour elle. Le principe de “negative space” (forme et contreforme) aura aussi retenu son attention, en particulier dans le travail expérimental de Wolfgang Weingart, qui l’influencera dans ses premières compositions à l’ordinateur (utilisation d’aplats de blancs, de gris, composant la page). Au début des années 1990, lors de son premier travail en agence à Zurich, Sibylle Hagmann a eu l’occasion d’observer le travail de Hans Eduard Meier (remodelant la version condensée du Helvetica pour mettre au point le nouveau caractère destiné aux billets de banque suisse). Cela a été son premier véritable aperçu du travail de typographe. Cette culture du caractère sans serif s’est tout de même révélée parfois restreignante. Elle nous confie, non sans humour, n’avoir utilisé que des caractères sans serif lors de sa première commande, n’ayant pas su comment procéder avec des empattements.
Cependant, si la rigueur du style international suisse a été prédominante dans son parcours, elle développe en parallèle un intérêt pour les mises en page expressives du magazine Emigre, dont elle apprécie l’usage de la couleur, ainsi que pour le travail de Jeffery Keedy, professeur à CalArts, dont le caractère Keedy Sans (années 1990) – très discuté à l’époque – rompt avec la tradition typographique en vigueur.
C’est à Los Angeles qu’elle côtoiera un univers graphique aux normes complètement différentes de celles apprises à Bâle, notamment avec la découverte dans les rues du travail des peintres en lettres, dont l’expressivité et la puissance l’attirent : ce sont, pour elle, des “caractères de caractère”.
C’est donc avec cette double culture que Sibylle Hagmann entame son cursus à Los Angeles. Elle y crée quelques caractères, dont le Vacancy et le Blowout.
Création typographique
À la fin de son master en 1996, elle réalise le Cholla. Un jeu de 266 glyphes, dont la forme et le nom sont inspirés de certains cactus repérés dans le parc naturel de Joshua Tree, au nord-est de Los Angeles. Le Cholla est marqué par la présence d’arrondis spécifiques sur une structure relativement carrée, que l’on peut par exemple observer à la jonction entre la panse et le fût du “a” bas de casse. C’est cette forme arrondie, présente dans chaque graisse, qui confère au Cholla toute son originalité.
Ce caractère a été développé pour être utilisé dans l’identité du Art Center College of Design de Pasadena (1999-2000). En raison du nombre élevé de différents départements d’études que compte l’école, et donc du nombre élevé d’informations textuelles, Sibylle Hagmann a du dessiner au total douze graisses différentes. Deux versions existent : le Cholla Sans et le Cholla Slab Serif, dont les arrondis (notamment au niveau de la terminaison des boucles) différent quelque peu.
Le Cholla compte aussi un nombre très élevé de ligatures (soixante-huit au total), qui correspond à l’avènement de la technologie Opentype (elle parle de “Crazyness for ligatures”), permettant de sélectionner puis de changer les ligatures.
La fonderie Emigre s’est intéressée à ce caractère et l’a intégré à son catalogue.
En 2006, Sibylle Hagmann dessine le caractère Odile, suite à la découverte du travail de William Addison Dwiggins, illustrateur, calligraphe et designer de livres américain (à l’origine du Electra et du Metro).
Elle propose une réinterprétation du Charter, dont les dessins datent de 1937, et dont les capitales n’ont jamais été dessinées. Elle fait aussi un clin d’œil au personnage de Dwiggins lui-même, en travaillant sur l’exagération des formes, alternant douceur des courbes et lignes droites, dans un souci d’expressivité, comme Dwiggins a pu le faire en sculptant ses propres marionnettes, grossissant leurs traits de caractères.
Le Odile se distingue par une certaine rondeur connotant des caractères cursifs, un contraste fort entre ascendantes et descendantes et une certaine rigidité au niveau des empattements.
Sibylle Hagmann développe par la suite un jeu de capitales décoratives. Ce choix la met dans un premier temps mal à l’aise, en se plaçant tout bonnement à l’encontre du style suisse. Cependant, la découverte de dessins de capitales réalisés par Dwiggins la conforte dans son choix.
En 2010, elle dessine le Elido (Odile, à l’envers), construit sur les mêmes proportions. Sa particularité est d’avoir un aspect cursif et script très prononcé dans la version Upright Italic, moyennement prononcé dans sa version Italic, et très estompé dans sa version Regular.
En septembre 2012, Sibylle Hagmann termine l’élaboration du caractère Axia, développé pour l’identité de la Rice School of Architecture, Université de Houston. Ce caractère stencil se décline en dix graisses allant du light au black. Sa particularité est de garder la même largeur quelque soit sa graisse, permettant ainsi de composer des paragraphes de largeur identique, dont seul le gris typographique sera modulé (noirci ou au contraire éclairci). L’aspect stencil est spécifique des caractères gras, utilisés pour du titrage.
La recherche d’expressivité dont fait preuve Sybille Hagmann m’a marquée.
Cela l’amène à répondre à des appels d’offre et à des concours, notamment celui qu’a lancé le University of Minnesota Design Institute Design Institute (Minneapolis), en 2003, questionnant la façon d’exprimer ce qui est unique et propre à la ville. En réponse, elle a proposé le caractère TwinCities Text, dont les formes sont basées sur des lignes de perspective, connotant les paysages urbains.
Sibylle Hagmann ne délaisse pas non plus la calligraphie et pratique encore souvent le dessin de lettres, pour se changer les idées et se couper du monde numérique, l’espace d’un temps.
Elle a, tout récemment, décidé de distribuer elle-même via son site ses propres polices, et dans l’avenir celles dessinées par d’autres, et en particulier par des consœurs, les femmes étant d’après elle bien trop peu représentées dans cette discipline.
À mi-chemin entre rigueur et expressivité, Sibylle Hagmann nous explique avoir trouvé dans le design typographique une liberté artistique unique, n’ayant pas de prix.
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