Mommy / Bande de filles
Au jeu Xavier Dolan VS Céline Sciamma, autant être franc, je mets sans trop d’hésitation Dolan au tapis. Mais ce n’est pas ici de la mise en scène outrancière et quelque peu démagogique du jeune réalisateur québécois face à la pertinence des images proposées par la réalisatrice française dont je veux parler, mais bien plus objectivement de certaines similitudes entre les deux films : Mommy de Xavier Dolan donc, et Bande de filles de Céline Sciamma.
C’est certainement parce que ces deux films actuellement à l’affiche sont sortis pratiquement en même temps (et que j’ai donc également pu les voir pratiquement « en même temps ») que ces points communs me sont apparus de manière si évidente :
Pour commencer, tous deux ont étés découverts et aussitôt encensés par la critique à Cannes en mai dernier (Bande de filles ayant été présenté à la Quinzaine des réalisateurs et Mommy ayant remporté ex-aequo avec Godard le prix du Jury) mais cela ne reste que très anecdotique.
Plus concrètement Dolan et Sciamma sont tous deux de jeunes réalisateurs (25 et 35 ans), encore au début de leur carrière cinématographique (5 et 3 films), ce qui explique qu’ils puissent filmer ainsi la même génération avec semble-t-il plus ou moins les mêmes codes. Les protagonistes de Mommy et Bande de filles sont des adolescents et vivent dans des contextes sociaux difficiles à peu près similaires. Mais de ces situations ne résultent pas de visions sociales « terre à terre » mais plutôt des fictions stylisées, où les contextes deviennent romanesques (de l’ordre de la tragédie grecque chez Dolan et du roman initiatique chez Sciamma), et les images esthétisantes, allant parfois jusqu’au « clipesque ».
En parlant de clip justement, on peut extraire de ces deux films deux scènes quasiment identiques : elles se jouent toutes deux dans la première partie du film, et montrent précisément le moment où un « nouveau membre » est accepté dans le « groupe » : la voisine bègue acceptée par le fils et sa mère dans un cas et la timide jeune fille de cité acceptée par la « bande de filles » dans l’autre. Cette « adoption » se fait en musique, en buvant et dansant tard le soir, dans un contexte intime (une cuisine et une chambre d’hôtel), sur des hits très populaires : On ne change pas de Céline Dion et Diamonds de Rihanna. Dans les deux cas la chanson passée en intégralité est proposée par les personnages eux-mêmes, jouant à devenir les protagonistes d’un véritable clip improvisé (que les réalisateurs mettent en scène et éclairent de la sorte).
On notera aussi une ressemblance dans les scènes du bureau de la directrice dans un cas et de la conseillère d’orientation dans l’autre, où sont mis en jeux l’avenir présumément peu glorieux des deux personnages principaux des deux films. Ainsi que les contextes des scènes du karaoké d’une part et du mini-golf de l’autre qui jouent avec ironie des clichés sur la classe populaire. Niveau références populaires également, Sciamma fait un clin d’œil au film La Boum en appelant son héroïne « Vic » tout comme Dolan lui cite Maman j’ai raté l’avion en reproduisant les scènes de l’aftershave et du sac de course qui se perce… Il est d’ailleurs amusant de remarquer que dans les deux films, quasiment le même collier avec les noms « Mommy » et « Vic » sont offerts (éléments importants dans les deux films qui sont par ailleurs mis en avant dans les affiches des deux films).
En plus de leur jeune âge, un autre détail me semble important dans la vie de ces réalisateurs; ils sont tous deux homosexuels. Cela est pour leur cas loin d’être anecdotique puisque le thème de l’homosexualité (et notamment du « genre » pour Sciamma) était l’un des sujets central de leurs précédents films. « Pas ici », me direz-vous ! En effet pour tous deux, il semblerait que ce soit le premier film ne traitant pas d’homosexualité. Mais peut-être n’est-ce pas aussi évident :
-Bien qu’ayant évacué toute thématique gay, je reste convaincu que Bande de filles est avant tout un film interrogeant le genre. Dès la première scène ces « filles » sont (merveilleusement) mises en scène en train de jouer un match de football américain très « musclé », le ton est lancé, mais en revenant de cet entrainement camouflées en « bonhommes » ce groupe féminin se disloque peu à peu sous le regard des (jeunes) « hommes » qui dominent la cité. Par la suite, les membres de la bande qu’intégrera l’héroïne s’affirment vestimentairement comme très féminines et « coquettes », mais avec des attitudes parfois brutales et quasi « viriles » (racket, relations conflictuelles, bastons organisées etc…). Pour ces filles, le « graal » de leur féminité (féministe) est représenté par le soutien-gorge qui dans une première scène marque un rite de passage pour la petite sœur de l’héroïne dont les seins commencent à pousser, puis dans une scène plus éloquente de combat de rue féminin où le soutien-gorge est arraché au couteau sur l’adversaire mise au sol (tel un scalp) afin de l’humilier en lui retirant symboliquement sa féminité. Par la suite cette même féminité est à nouveau questionnée par l’héroïne lorsqu’elle change de « groupe »; elle se vêtira à nouveau en véritable « bonhomme » et ira jusqu’à se bander la poitrine pour l’aplatir.
-Dans Mommy, la sexualité du personnage principal n’est pas évoquée, mais quelques éléments viennent cependant fréquemment nous interroger sur une éventuelle homosexualité (mais de manière beaucoup plus gratuite que chez Sciamma; Dolan se complait juste à revendiquer la « différence »); le personnage est hyper-actif et parfois très violent mais entretient une relation plus que fusionnelle avec sa mère, il reste ébahi dans un supermarché devant des feutres roses qui « sentent’ la fucking fraaiise », partage un échange de regards au ralenti assez ambigu avec un jeune de son âge dans la rue (dans la scène juste avant de découvrir la nouvelle maison de sa mère), et passe son temps à interpréter en dansant des chansons ringardes tantôt affublé de mascara sur Céline Dion, où bien se faisant ouvertement traiter de « pédé » par l’assistance du karaoké où il interprète Vivo per lei.
En somme, il me semble que les protagonistes des deux films interrogent chacun (dans une certaine mesure) l’hybridation des genres féminin et masculin, sans jamais évoquer directement la question de l’homosexualité (ou de la transexualité…) comme c’était quasi systématiquement le cas dans les précédents films des réalisateurs. Xavier Dolan et Céline Schiamma se servent tous deux de climats sociaux semblables pour les transformer en fictions avec semble-t-il des codes souvent similaires qui sont peut-être simplement ceux de leur génération (et de la nôtre).
Catégorie: Observatoire | 2 Commentaires
Merci pour l’article Erwan. Je me demandais pourquoi tu avais choisi l’affiche internationale du film « Bande de fille », est-ce celle qui est considérée comme l’affiche officielle. N’ayant pas encore pu voir aucun des 2 films (mais en ayant vu les films précédents des 2 réalisateurs[rices]), ton article me donne envie de rattraper mon retard…
En effet j’ai mis l’affiche internationale car elle met en avant la fameuse chaine en or avec le nom « Vic », comme sur l’affiche du film de Mommy…, (ce n’est pas le cas sur l’affiche française).