Sürkrüt

Blog de l’atelier de Communication graphique de la HEAR

Volumevisuel.fr/Collections


Volume visuel (Cyril Cohen / Jean-Christophe Carius) vient d’ajouter à sa section “Ex abrupto” deux nouvelles “curations iconographiques” dont les sujets de collecte visuelle sont « Autodafé” et “Barricades”. Et vous pouvez toujours visiter l’autre grande collection, “Corps politiques

Bonne lecture.

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“Ôter au lieu d’ajouter” conseille Munari dans son livre L’art du Design


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Nous connaissons tous les livres pour enfants de Bruno Munari ; il en a créé une trentaine tous aussi astucieux et étonnants les uns que les autres, explorant formes géométriques, matières et couleurs vives. Il fut non seulement illustrateur mais peintre, sculpteur, dessinateur, cinéaste et designer. Il fut également poète et enseignant. Par contre, nombreux sont ceux qui ignorent qu’il a écrit des textes théoriques et je fais partie de ces gens… Les éditions Pyramyd viennent de publier pour la première fois en français L’Art du design dans une nouvelle collection “T” où figurent pour l’instant deux autres titres : L’Intelligence des affiches de Pierre Fresnault-Deruelle et Le langage des objets de Deyan Sudjic. (À noter qu’il a été publié en anglais pour la première fois en 1971 par Penguin Books qui le réédite depuis comme un classique moderne). Dans son ouvrage Bruno Munari présente sous forme de textes courts souvent accompagnés de dessins (visages, chaises, formes de lettres et schémas de ses “machines inutiles”), les divers aspects du design : design visuel, design industriel, design graphique également celui de la recherche. À l’origine ces textes sont des articles rédigés à la demande du quotidien Il Giorno auquel sont venus s’adjoindre quelques textes supplémentaires. 
Évidemment certains articles datent un peu et passent mal le cap des années, notamment lorsqu’il déclare :

“Comment se fait-il que notre époque génère des œuvres d’art de ce type ? Un tableau monochrome comme une porte. Une boîte en plastique transparent remplie de dentiers usagés. Un merle dans une boîte, signée par l’auteur, 10 boîtes de 500 grammes. Une poignée de vitrine vernie en blanc. Un paquet en toile avec 100 000 liens de cordes différentes. Une machine qui conçoit des griffonnages. Une peinture faite en renversant des couleurs au hasard. Une carte postale d’Inverigo de 3 mètres sur 2. Un tube de dentifrice de 12 mètres de haut. L’agrandissement d’une case de bande dessinée. Cela ne serait-il pas, par hasard, le reflet de notre société, où les incompétents ont des postes à responsabilités, où l’escroquerie est normale, où l’hypocrisie se troque contre le respect de l’opinion d’autrui, où les rapports humains sont faux, où la corruption est de mise, où les scandales sont étouffés, où s’édictent mille lois sans qu’aucune ne soit respectée ?”

Mais son attitude, ses prises de conscience et ses remarques font de lui ce que nous pourrions appeler aujourd’hui un “designer critique”. C’est en cela que cet ouvrage reste intéressant. On tombe également sous le charme de son écriture quand il énonce page après page des arguments pleins de bon sens et qui ne sont pas dénués d’humanisme. 
Dès les années 1960 Bruno Munari est convaincu que le design est devenu l’art visuel le plus important de son époque. Mais faisons un petit retour en arrière : il a commencé comme artiste ayant rejoint les Futuristes à la fin des années 1920 (dont il se sépare dans les années 1930). En 1947, il réalise Concavo-convesso (concave-convexe), l’une des premières installations de l’histoire de l’art, dans laquelle le spectateur est invité à partager une expérience multi-sensorielle. En 1948, il fonde à Milan avec Atanasio Soldati, Gillo Dorfles et Gianni Monnet le MAC (Movimento Arte Concreta : Mouvement Art Concret) dans le but de promouvoir un art non-figuratif de type “abstraction géométrique”. C’est à cette époque qu’il expérimente les formes géométriques, triangle, cercle, carré, tout en travaillant en parallèle pour des revues ou des studios de design, d’arts graphiques afin de subvenir à ses besoins ; il devient alors également designer ce qui lui donne toute légitimité pour aborder et commenter les relations entre art et design. Dans ce livre, L’art du design, il détruit le mythe de l’artiste vedette et lui substitue le personnage du designer qui “rétablit le contact autrefois perdu, entre art et public entre art vivant et public vivant” ; “l’artiste doit impérativement descendre de son piédestal et daigner concevoir l’enseigne du boucher (s’il en est capable)” dit-il. Il définit le design et le métier de designer et affirme qu’il y a plus de différence entre “arts purs et arts d’appliqués” que le designer doit être “au courant des techniques actuelles, des matériaux et des méthodes de travail et, sans brider son sens esthétique inné, répondre avec humilité et savoir-faire aux demandes de la société”. Il se livre à de féroces critiques sur son époque qu’il juge trop rigide et trop complexe ; prônant simplicité et équilibre il utilise des formes en mouvement, en transformation faisant référence à l’esthétique asiatique. Munari s’oppose à toute forme d’excès. “Ôter au lieu d’ajouter” conseille-t-il et dans l’un de ses textes il donne des conseils à ses lecteurs sur les couteaux, fourchettes et cuillères pour des jeunes mariés sur le point de s’équiper pour leur ménage. Il détaille sur trois pages tous les ustensiles indispensables (notamment toute une kyrielle de couteaux) avant de suggérer… des baguettes ! Et il conclut : “Des millions de personnes les utilisent depuis des milliers d’années. Nous non. Bien trop simples”. Dans l’ensemble de ses textes il se sert très souvent de la nature comme référence ; ainsi dans un texte “L’orange, les petits pois et la rose”, plutôt en fin d’ouvrage, il décrit ces productions de la nature comme des produits industriels “presque parfaits” ; poursuivant la même logique il en conclut paradoxalement que la rose est “un objet donc absolument inutile pour l’Homme. Un objet à regarder uniquement, parfois à humer […] un objet non justifié, un objet qui invite le travailleur à des pensées futiles. Un objet immoral, même”. Raisonnement imparable avec une conclusion absurde qui reflète assez bien la malice de l’auteur… 
Un livre à découvrir pour la pertinence et la fraîcheur de ses idées !
 Toutefois l’édition française des éditions Pyramyd n’est pas exempte de reproches : n’y figurent aucune préface, ni aucune trace de la date de première publication (éléments bien nécessaires pour ce type d’ouvrage historique). Les passages “délicats” commentant l’art contemporain mériteraient également, pour le moins, quelques éclaircissements de la part de l’éditeur… C’est d’autant plus regrettable que cette collection “T” se veut pour “ambition la diffusion à un large public de textes majeurs du graphisme et d’essais contemporains”. Bruno Munari, L’art du Design, éditions Pyramyd Traduit de l’italien par Audrey Favre (Titre original : Arte come mestiere, 1966)

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« Une exposition parlée » : une proposition de Mathieu Copeland au Jeu de Paume


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Chaque année, le Jeu de Paume confie à un commissaire d’exposition la programmation de Satellite, évènement artistique en quatre temps : trois expositions qui ont lieu dans ses galeries, place de la Concorde à Paris, ainsi qu’une quatrième à la Maison d’Art Bernard Anthonioz, à Nogent-sur-Marne. Pour sa sixième édition, Satellite a été confié à Mathieu Copeland, éditeur et commissaire d’exposition, dont la proposition s’intitule : « Suite pour exposition(s) et publication(s) ». Avec son premier mouvement : « Une exposition parlée », Mathieu Copeland mène une réflexion sur la forme et la possible dématérialisation de l’exposition, par le biais de la parole. Il s’interroge aussi sur le lien entre édition et exposition.
Sans vraiment savoir à quoi m’attendre, je m’y suis rendue le jour de l’ouverture, le 26 février. L’occasion pour moi de raconter ce que j’y ai vu.

Ce premier mouvement, « Une exposition parlée », questionne la place de la parole dans l’exposition, au travers d’une réflexion en deux temps : la parole à entendre et la parole à lire.

La parole à entendre : « Les Rétrospectives parlées »

La première partie, constituant une réflexion sur la parole à entendre, est faite de « Rétrospectives parlées » ; trois artistes, dont les propos ont été enregistrés, racontent leur rétrospective idéale. La diffusion sonore de ces interviews constitue l’unique matière qui nous est présentée. La pièce dans laquelle on entre est entièrement noire, vide, rien ne vient parasiter l’écoute. Seul un écran est posé à même le sol, sur lequel défile en blanc sur fond noir la traduction française des propos que l’on entend simultanément. Avec « Rétrospectives parlées », on comprend donc qu’il est uniquement question de l’écoute du propos de l’artiste.
La parole à entendre est éphémère. Au début, on peut être décontenancé par ce processus d’écoute des œuvres. C’est à nous de prendre les informations qui nous sont données pour tout garder en mémoire. Cette reflexion sur l’éphémère est à l’image des artistes présentés : Gustav Metzer (dont la pratique est placée sous le signe de la destruction, faite de performances et d’œuvres éphémères), David Medalla (s’inscrivant dans le mouvement de l’art cinétique) et Yona Friedman (architectures amovibles, recyclage de matériaux…). Ils nous guident par leur voix. C’est à nous de constituer notre propre exposition en fonction de ce qui nous est donné à imaginer, de créer notre expérience, nos images mentale. Ces enregistrements sonores sont de précieux témoignages d’artistes et sont aussi, paradoxalement, peut-être plus complets qu’une exposition traditionnelle, car les artistes y exposent leurs convictions et présentent un regard souvent critique sur leur propre travail.

La parole à lire : Une exposition à être lue

La deuxième partie de « Une exposition parlée » se déroule au sous-sol du Jeu de Paume. La disposition de la salle est à nouveau réduite à son strict minimum. Des cartons sont posés sur des palettes en bois, quelques uns sont ouverts. Dedans, plusieurs exemplaires d’un même livre, tout droit sortis de l’imprimerie, prêts à être déballés. Une étiquette est collée sur chaque carton : « Livre de textes ». On peut piocher dedans et se servir : ce sont des textes prêts à être lus et joués.
Une exposition à être lue, c’est d’ailleurs le nom de cet ouvrage, dans lequel douze textes d’artistes sont écrits et pensés pour êtres lus à voix haute : poèmes, chansons, théâtre, nouvelles… Le panel est large. Et là encore, c’est au lecteur d’interpréter cette exposition en s’appropriant les textes par la lecture qu’il en fera. C’est le livre qui devient l’espace d’exposition. Les mots sont les œuvres dont le public doit faire l’expérience en devenant lecteur actif. Le texte est envisagé comme une partition : une suite d’éléments graphiques et typographiques représentant des sons définis, musicaux ou vocaux, mais que chacun interprétera selon sa propre sensibilité.

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Une exposition à être lue est mise en regard avec l’œuvre de Idris Kahn Struggling to Hear… After Ludwig van Beethoven Sonatas, exposée dans la même pièce. C’est une œuvre imposante, de près de trois mètres de haut. On y voit des partitions musicales superposées, surimprimées. Créant une sorte de nuée de portées, chaque passage est rendu indéchiffrable.

Idris kahn – “Struggling to Hear… After Ludwig van Beethoven Sonatas”
“The viewer observes one of my images as something that is not a frozen moment but an image made up of many moments and that is created over ‘time’ rather than taken.”

Ce parallèle avec l’œuvre de Idris Kahn met en avant la notion de dématérialisation de l’œuvre sonore. Musique ou parole, l’éphémère est amené à être fixé, écrit.

Mais qu’en est-il du livre Une exposition à être lue et du parallèle entre édition et exposition ? C’est un outil servant de base à l’interprétation du lecteur. Exit les fantaisies graphiques, le livre est au service des textes qu’il met en avant. Une attention particulière est portée au traitement typographique : des codes ortho-typographiques précis sont appliqués à chaque genre de texte (théâtre, nouvelle etc.). Corps, graisses, italiques… : les caractéristiques typographiques et la ponctuation reprennent ici une valeur essentielle car ils constituent les seules perches dont on peut se saisir pour l’interprétation.

 

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RaffaellaDellaOlga2En clin d’œil à l’œuvre de Idris Kahn, on retrouve en quatrième de couverture la reproduction de Cloud de Matt Golden, une superposition typographique conduisant à la saturation du format. Mathieu Copeland en étant à sa quatrième exposition parlée, il a déjà édité quatre volumes de Une exposition à être lue. À chaque édition, la quatrième de couverture est habillée par une œuvre de Matt Golden, qui se décline au fil des parutions sur le principe de Cloud, mettant en avant la notion de collection.

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détail de "Cloud", de Matt Golden

Détail de « Cloud », de Matt Golden

« Mais dans ce cas là, si il n’y a rien à exposer, on n’appelle pas ça une exposition ! ». En effet. C’est le type de réaction que des personnes déçues, voire agacées, ont pu avoir lors de cet évènement. Pour ma part, je n’ai pu qu’apprécier l’audace de cette programmation, qui fait preuve d’une grande fraîcheur. Cette réflexion sur la forme de l’exposition m’a aussi rappelé certaines des interrogations qui ont pu être soulevées avec le Musée imaginaire, sujet proposé dans le cadre du cours de Jérôme Saint-Loubert Bié.

Prochain rendez-vous : « Une exposition sans textes », qui est annoncée comme prenant le contrepied de « Une exposition parlée» » À partir du 21 mars, à la Maison d’Art Bernard Anthonioz de Nogent-sur-Marne.

À voir :
« Suite pour exposition(s) et publication(s) »

(dans le cadre de la Programmation Satellite : février 2013-janvier 2013)
« Une Exposition parlée »
(premier mouvement de “Suite pour exposition(s) et publication(s)” : du 26 février au 19 mai 2013, Musée du Jeu de Paume)
« Une Exposition sans textes »
(deuxième mouvement, prend le contrepied de “Une exposition parlée” : du 21 mars au 19 mai 2013, Maison d’Art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marne)
Une exposition à être lue / An exhibition to hear read
(Avec Vito Acconci, Delphine Coindet, Gilles Furtwängler, Matt Golden, Alison Knowles, Loreto Martinez Troncoso, Raffaella della Olga, Francesco Pedraglio, Aki Sasamoto, Benjamin Seror et Cally Spooner.)
Conception graphique : Mathieu Copeland.
Livre de 72 pages, tiré à trois-mille exemplaires, gratuit.

Liens :
Mathieu Copeland
Musée du Jeu de Paume
Maison d’Art Bernard Anthonioz

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Retour sur la conférence de Sibylle Hagmann


Jeudi 14 mars 2013 s’est tenue la conférence de Sibylle Hagmann, invitée à la HEAR pour présenter son travail de graphiste et de dessinatrice de caractères.

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(photos : Gabrielle Vigier)

(photos : Gabrielle Vigier)

“HI
HALLO
BONSOIR”

C’est avec ces trois mots que Sibylle Hagmann commence sa conférence. De l’anglais, de l’allemand et du français, à l’image de son parcours — international — dans le monde du design typographique.
Après avoir entamé des études d’arts appliqués à Bâle, elle débute ses études et sa carrière en Suisse, à Bâle et à Zurich, avant d’intégrer le California Institute of the Arts aux États-Unis et d’obtenir un Master of fine Arts, en 1996. C’est finalement dans la région de Houston, au Texas, qu’elle s’installe et fonde le studio “Kontour”, en 2000. Actuellement en résidence près de Münich, elle s’est absentée le temps d’une rencontre pour venir à Strasbourg et nous présenter son travail.

Ce parcours et cet apprentissage du graphisme, à mi-chemin entre le style international suisse et l’expressivité qu’elle a pu trouver dans le graphisme californien est représentatif du travail de Sibylle Hagmann. Cette oscillation entre ces deux écoles se ressent encore aujourd’hui dans sa démarche. Elle revient sur les influences et les références qui l’ont marquée dans le but de nous faire comprendre son travail actuel.

Retour sur ses influences

Sibylle Hagmann a tout d’abord été plongée dans le travail d’Emil Ruder et Armin Hopfman, émanant de la HGK de Bâle (Hochschule für Gestaltung und Kunst Basel). Elle aura baigné dans les principes graphiques du style international suisse (utilisation de grilles de mise eb page et de polices de caractères linéales). Ainsi, les réflexions de Jan Tchischold (The New Typography, 1928) puis de Joseph Müller Brockmann (Grid Systems in graphic design, 1968) ont été déterminantes dans ses études. L’utilisation de caractères sans serif, de grotesques et particulièrement du caractère Univers de Adrian Frutiger (1967) ont eu une grande importance pour elle. Le principe de “negative space” (forme et contreforme) aura aussi retenu son attention, en particulier dans le travail expérimental de Wolfgang Weingart, qui l’influencera dans ses premières compositions à l’ordinateur (utilisation d’aplats de blancs, de gris, composant la page). Au début des années 1990, lors de son premier travail en agence à Zurich, Sibylle Hagmann a eu l’occasion d’observer le travail de Hans Eduard Meier (remodelant la version condensée du Helvetica pour mettre au point le nouveau caractère destiné aux billets de banque suisse). Cela a été son premier véritable aperçu du travail de typographe. Cette culture du caractère sans serif s’est tout de même révélée parfois restreignante. Elle nous confie, non sans humour, n’avoir utilisé que des caractères sans serif lors de sa première commande, n’ayant pas su comment procéder avec des empattements.

Wolfgang Weingart, 1972

Composition typographique de Wolfgang Weingart, 1972

Cependant, si la rigueur du style international suisse a été prédominante dans son parcours, elle développe en parallèle un intérêt pour les mises en page expressives du magazine Emigre, dont elle apprécie l’usage de la couleur, ainsi que pour le travail de Jeffery Keedy, professeur à CalArts, dont le caractère Keedy Sans (années 1990) – très discuté à l’époque – rompt avec la tradition typographique en vigueur.

Caractère typographique "Kiddy Sans" de Jeffery Kiddy, courant des années 1990

Caractère typographique Kiddy Sans de Jeffery Kiddy, courant des années 1990

C’est à Los Angeles qu’elle côtoiera un univers graphique aux normes complètement différentes de celles apprises à Bâle, notamment avec la découverte dans les rues du travail des peintres en lettres, dont l’expressivité et la puissance l’attirent : ce sont, pour elle, des “caractères de caractère”.

C’est donc avec cette double culture que Sibylle Hagmann entame son cursus à Los Angeles. Elle y crée quelques caractères, dont le Vacancy et le Blowout.

Création typographique

À la fin de son master en 1996, elle réalise le Cholla. Un jeu de 266 glyphes, dont la forme et le nom sont inspirés de certains cactus repérés dans le parc naturel de Joshua Tree, au nord-est de Los Angeles. Le Cholla est marqué par la présence d’arrondis spécifiques sur une structure relativement carrée, que l’on peut par exemple observer à la jonction entre la panse et le fût du “a” bas de casse. C’est cette forme arrondie, présente dans chaque graisse, qui confère au Cholla toute son originalité.
Ce caractère a été développé pour être utilisé dans l’identité du Art Center College of Design de Pasadena (1999-2000). En raison du nombre élevé de différents départements d’études que compte l’école, et donc du nombre élevé d’informations textuelles, Sibylle Hagmann a du dessiner au total douze graisses différentes. Deux versions existent : le Cholla Sans et le Cholla Slab Serif, dont les arrondis (notamment au niveau de la terminaison des boucles) différent quelque peu.
Le Cholla compte aussi un nombre très élevé de ligatures (soixante-huit au total), qui correspond à l’avènement de la technologie Opentype (elle parle de “Crazyness for ligatures”), permettant de sélectionner puis de changer les ligatures.
La fonderie Emigre s’est intéressée à ce caractère et l’a intégré à son catalogue.

 

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En 2006, Sibylle Hagmann dessine le caractère Odile, suite à la découverte du travail de William Addison Dwiggins, illustrateur, calligraphe et designer de livres américain (à l’origine du Electra et du Metro).
Elle propose une réinterprétation du Charter, dont les dessins datent de 1937, et dont les capitales n’ont jamais été dessinées. Elle fait aussi un clin d’œil au personnage de Dwiggins lui-même, en travaillant sur l’exagération des formes, alternant douceur des courbes et lignes droites, dans un souci d’expressivité, comme Dwiggins a pu le faire en sculptant ses propres marionnettes, grossissant leurs traits de caractères.
Le Odile se distingue par une certaine rondeur connotant des caractères cursifs, un contraste fort entre ascendantes et descendantes et une certaine rigidité au niveau des empattements.
Sibylle Hagmann développe par la suite un jeu de capitales décoratives. Ce choix la met dans un premier temps mal à l’aise, en se plaçant tout bonnement à l’encontre du style suisse. Cependant, la découverte de dessins de capitales réalisés par Dwiggins la conforte dans son choix.
En 2010, elle dessine le Elido (Odile, à l’envers), construit sur les mêmes proportions. Sa particularité est d’avoir un aspect cursif et script très prononcé dans la version Upright Italic, moyennement prononcé dans sa version Italic, et très estompé dans sa version Regular.

Charter, dessins originaux de Dwiggins

Charter, dessins originaux de Dwiggins

Le caractère Odile, dans sa première version, Odile Upright Italic

Le caractère Odile, dans sa première version (Odile Upright Italic)

 

En septembre 2012, Sibylle Hagmann termine l’élaboration du caractère Axia, développé pour l’identité de la Rice School of Architecture, Université de Houston. Ce caractère stencil se décline en dix graisses allant du light au black. Sa particularité est de garder la même largeur quelque soit sa graisse, permettant ainsi de composer des paragraphes de largeur identique, dont seul le gris typographique sera modulé (noirci ou au contraire éclairci). L’aspect stencil est spécifique des caractères gras, utilisés pour du titrage.

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Caractère Axia, 2012

La recherche d’expressivité dont fait preuve Sybille Hagmann m’a marquée.
Cela l’amène à répondre à des appels d’offre et à des concours, notamment celui qu’a lancé le University of Minnesota Design Institute Design Institute (Minneapolis), en 2003, questionnant la façon d’exprimer ce qui est unique et propre à la ville. En réponse, elle a proposé le caractère TwinCities Text, dont les formes sont basées sur des lignes de perspective, connotant les paysages urbains.

Sibylle Hagmann ne délaisse pas non plus la calligraphie et pratique encore souvent le dessin de lettres, pour se changer les idées et se couper du monde numérique, l’espace d’un temps.

Elle a, tout récemment, décidé de distribuer elle-même via son site ses propres polices, et dans l’avenir celles dessinées par d’autres, et en particulier par des consœurs, les femmes étant d’après elle bien trop peu représentées dans cette discipline.

À mi-chemin entre rigueur et expressivité, Sibylle Hagmann nous explique avoir trouvé dans le design typographique une liberté artistique unique, n’ayant pas de prix.

www.kontour.com

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Aspen Magazine, 1965-1970


Les dix numéros d'ASPEN MAGAZINE publiés entre 1965 et 1970.

Les dix numéros d’Aspen Magazine publiés entre 1965 et 1970.

Aspen Magazine mettait ses sujets en boîte, la Whitechapel Gallery en a fait de même pour lui consacrer une exposition. Pas plus d’une pièce pour ce magazine, mais un contenu assez complet malgré un lieu exigu. Aspen Magazine c’est un concept assez innovateur pour l’époque, et qui fait étonnamment écho à ce que l’on peut faire dans l’édition de nos jours.

Plus question pour Phyllis Johnson, ancienne rédactrice en chef de Women’s Wear Daily, de limiter un magazine à une simple impression, Aspen Magazine aura un contenu augmenté. Elle en parlait comme du “premier magazine en trois dimensions”, “une capsule temporelle d’une certaine époque, d’un certain regard, d’une personne en particulier”.
La rédaction, la conception et les contributions de chaque numéro se voyaient confiées aux figures de proue de l’art contemporain, de la littérature, de la musique et de la critique nord américaine et britannique.

On y retrouve des contenus signés Andy Warhol, David Hockney, John Lennon, Lou Reed, John Cage, Jack Smith, Quentin Fiore, Roland Barthes, Susan Sontag, Tony Smith, La Monte Young, Morton Feldman, Robert Rauschenberg, Hans Richter, Brian O’Doherty, Michel Butor, Dan Graham, Marcel Duchamp, William Burroughs, pour ne citer qu’eux, autant dire que le contenu d’Aspen Magazine était particulièrement riche.

Dix numéros ont été publiés entre 1965 et 1971, chacun sous la direction d’un créatif éditorial différent, tel qu’Andy Warhol et David Dalton pour le numéro 3, le plus connu de la série, au sujet du Pop Art.

Dans son contenu Aspen Magazine se composait d’essais, d’articles sur feuilles volantes, de brochures, de dépliants, de photographies, de diagrammes, de flexidiscs, de bobines de film 8mm, dans un boîtier dont le design et les dimensions variaient d’un numéro à l’autre.
Si ce magazine fut de courte durée et s’approchait plus de l’œuvre d’art (difficilement livrable par la poste étant données les variations de son format d’un numéro à l’autre), son concept avant-gardiste annonçait pratiquement il y a un demi-siècle ce que deviendrait l’édition de magazine de nos jours avec les tablettes numériques.

Aspen Magazine: 1965-1972
Whitechapel Gallery, Londres
du 11 septembre 2012 au 23 mars 2013

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