Rencontre avec Tom Henni
Vendredi dernier, Tom Henni donnait une conférence sur son travail à l’occasion du Printemps de la typographie, organisé par l’école Estienne. Cette année, le colloque traitait de l’ornementation. Si le travail de Tom est loin d’être baroque, c’est son goût pour la trame manuelle et son rapport avec l’abstraction qui l’a certainement envoyé ici. Il nous a parlé de sa fascination pour la forme, pour l’image. Mais aussi de son besoin de trouver un rythme, comme s’il dansait lorsqu’il dessine ; son rapport à l’ornement est lié à cette pratique. Me sentant proche de ce procédé graphique fortement porté par le dessin, je lui ai posé quelques questions.
L. O. : J’ai été touchée par ta façon de parler de ton travail. Tu as beaucoup insisté sur la notion de lenteur et de rythme que tu avais besoin de trouver pour bosser sur un projet. C’est quelque chose qui transparaît particulièrement dans ton projet pour le festival Spontanéous. La vision classique du graphiste veut qu’il soit en permanence en train de courir après les commandes, contraint à travailler dans l’urgence ; qu’en est-il en réalité pour toi ?
T. H. : En réalité, je cours moi aussi toujours après le temps. Mais je sais que c’est un idéal de travail. Il s’agit en fait de trouver ce temps, de l’aménager. Ce qui implique aussi des compressions à d’autres moments… Je me souviens d’une de mes premières charrettes, une quinzaine de fada avec des nuits blanches dans tous les sens. Au milieu, j’avais prévu un week-end au ski en famille. Le truc pouvait pas plus mal tomber, je croyais que ça allait me tuer physiquement, en fait ça m’a sauvé, j’ai re-attaqué avec zéro stress et l’énergie canalisée. Comme quoi dès fois prendre le temps de ne rien faire, ça permet d’être plus efficace après…
L. O. : J’ai longtemps considéré les études comme un cocon avant la confrontation avec un marché du travail très difficile. Y a-t-il eu un réel changement de rythme en sortant de l’école ?
T. H. : Du rythme très certainement, il s’agit en fait de trouver son rythme, tout le temps. J’ai commencé en collocation avec des amis, sortant aussi de l’école. On a pris un grand appartement à Lyon, qui était aussi notre atelier. Quand on est quatre, ça stimule et ça structure en même temps. La collocation a en fait été un enchaînement depuis la vie d’étudiant à celle d’indépendant… Ensuite on s’est tous mis en ménage dans nos couples respectifs. Très vite la question d’un atelier partagé s’est posée à nouveau ; le regroupement, ça offre un cadre de travail motivant et structurant.
L. O. : Après avoir fait un BTS communication visuelle à la Martinière, à Lyon, tu as fait ton DNAP aux Arts Déco en graphisme, et ton DNSEP en illustration. Le dessin est un outil que tu utilises souvent, dans ton travail de commande comme dans tes projets d’exposition (je n’ai pas trouvé d’images sur ton site, mais je pensais à l’exposition que tu nous as montré, avec des tasseaux de bois qui portaient tes dessins). Est-ce que c’était déjà le cas quand tu étais encore en section graphisme ?
T. H. : Oui en fait je n’ai pas fait de DNAP, il n’y en avait pas à l’époque. Je suis allé jusqu’au bout de la quatrième année et puis ça ne collait pas avec la pédagogie proposée. Dans l’impasse, j’ai tenté une petite pirouette et j’ai réussi à passer ma quatrième et cinquième année en un an en illustration. Ça été à la fois difficile et en même temps ça m’a fait un cursus qui ressemblait plus à mon profil, un peu sur-mesure… un peu casse-gueule aussi.
L. O. : J’aimerais que tu me parles de ton année en graphisme ; peut-être en comparaison avec ton BTS à la Martinière, puis à ton passage en atelier d’illu ?
T. H. : Disons que je n’arrivais pas à comprendre le mode d’incitation au travail qu’il y avait en com graph, et je fréquentais plus de gens en illustration, qui étaient tous parfaitement détendus et productifs à la fois. Ça n’a pas tant été la question des cours, mais plutôt du mode d’échange proposé par les enseignants… Quelque chose de très difficile à mesurer sauf en le vivant… Je crois que beaucoup de personnes ont mal vécu ce stress dans l’option au fil des années. Il y a pas mal de gens qui n’arrivaient pas à trouver un cadre qui leur correspondait. Je pense à Marjanne Satrapi, Coline Sunier, par exemple, par ailleurs d’autres y ont sûrement bien réagi…
L. O. : Ta façon d’appréhender la couleur, par aplats francs, et avec des jeux de superpositions, me fait penser que tu as dû fréquenter l’atelier de sérigraphie de l’école. Je pense notamment à ton très beau travail d’identité visuelle pour la librairie Ouvrir L’œil. Est-ce que ça a été le cas ? Quels sont les ateliers, ou peut être les cours, qui ont pu faire évoluer ta pratique durant tes études ici ?
T. H. : Oui beaucoup. J’ai énormément appris de Bernard, le technicien, et des autres étudiants qui étaient à l’atelier de sérigraphie à l’époque. À Strasbourg, je crois que la modalité d’apprentissage est la suivante : les enseignants proposent un cadre et un regard, les techniciens détiennent les savoir-faire. L’étudiant doit joindre les deux avec ses envies et de la méthode. J’aimais aussi beaucoup les questions que posait Pierre di Sciullo, même si je paniquais pour y répondre, mais ça m’a beaucoup et longtemps travaillé. Il avait aussi fait un atelier qui s’appelait « couche par couche » avec Charles Kalt et Yann Owens (qui est maintenant au Havre et fait des trucs incroyables là-bas). Ce que la classe a fait pendant ce long workshop et cette question de l’image imprimée en couches continuent d’alimenter mes recherches aujourd’hui. Mais bien sûr l’école c’est aussi une génération de gens qui s’apportent mutuellement des choses et constituent par la suite un réseau professionnel. C’est très certainement ça le plus important, au final.
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