Mot-clé : public

Mathieu Tremblin

PM : On est un groupe d’étudiants, la notion générale qui guide nos recherches pour la biennale est Hic et nunc. On est rentré dans cette histoire par plusieurs entrées, et une des entrées c’était la notion d’in situ. J’ai lu pas mal de choses sur ton travail de manière générale, et ce qui nous intéresse particulièrement c’est le travail que tu as fait avec les éditions Carton-Pâte. Une des premières choses qui m’intéressait c’est le fait que tu diffuses ton travail sur le web. J’ai lu dans tes interviews que ça avait une importance particulière pour toi, qui était liée à l’environnement urbain et aux aspects politiques qu’il convoque. Je me demandais si le fait de diffuser ces éditions sur Internet était pour toi une forme de prolongement du travail que tu fais dans la rue, dans l’espace public.
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Cette nécessité était corrélée au fait qu’il n’y avait pas de modèle de structure intermédiaire ou institutionnelle pour l’accompagnement les pratiques non-commissionnées dans l’espace urbain. La présentation du graffiti ou de l’intervention urbaine dans un musée semblait par essence – et semble toujours – relever du paradoxe, puisque ce qui fait l’intérêt de ces pratiques c’est qu’elles adviennent en dehors des lieux dédiés à l’art. La forme de la documentation – et son archive – présentait par contre un intérêt parce qu’elle posait la question du processus de légitimation. S’il y a archive, il y a une collecte d’informations autour de l’œuvre urbaine. Qui prend les photos ? Est-ce qu’on doit tout archiver ? Comment faire le tri dans la matière récoltée ? Comment y accéder ? Cette forme d’archive spontanée s’épanouissait déjà sans limite sur les sites des artistes urbains. Adopter le modèle de la publication open source permettait de résoudre certaines de ces questions en prolongeant l’horizontalité de ces formats : Carton-pâte proposait un modèle de production et de diffusion do it yourself parce que le web était encore un espace autoédité et décentralisé.
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Quelque part quelqu’un qui exploite le format Instagram pour diffuser son travail peut faire de l’in situ. Good Guy Boris documentait des writers en train de peindre des trains et utilisait des filtres Snapchat pour masquer son visage, tandis que les autres portaient des cagoules. C’était assez ironique puisqu’il jouait aussi avec le fait d’utiliser son vrai compte de réseau social et de revendiquer sa légitimité à investir librement dans l’espace public en peignant à visage découvert. Cela d’ailleurs été le point de départ d’une sorte de résidence spontanée intitulée Life is Live [^Cette action spontanée a été documentée par l’artiste sur son compte Instagram ainsi que dans un ouvrage, Live Boris. Extraits vidéos disponbiles à ces adresses : instagram.com/p/BXiyeDLFhxW, instagram.com/p/BXfRJ8qlHpm] à Athènes durant l’été 2017, où il peignait dans la rue en live stream sur Instagram en interagissant avec son audience numérique, comme avec les passants.
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Dans le même esprit en 2019, j’ai fait une proposition in situ qui joue avec Instagram intitulée Low-tech filter [^Mathieu Tremblin, Low-tech filter, 2019. Documentation disponible sur www.demodetouslesjours.eu]. Je créé des sortes de filtres Instagram à partir d’affiches publicitaires que je prélève dans des sucettes JCDecaux. Ces filtres analogiques rejouent en version légère les passe-têtes photographiques qui existaient déjà à la fin du XIXe siècle, peu après l’invention de la photographie. Le moment de documentation et de diffusion en temps réel sur le réseau social via les stories crée une situation inédite qui fait trait d’union entre nos usages numériques URL et le hors champ du quotidien IRL : la personne qui regarde la story ne comprends pas forcément que l’image qui enserre mon visage est un filtre matérialisé. Puis je redouble ce geste par la suite en créant aussi un « vrai » filtre Instagram à partir du passe-tête et accessible depuis mon profil. Et là oui, on pourrait dire que cela relève de l’in situ en ligne.
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Il m’est arrivé un truc assez rigolo à ce sujet récemment – je dis rigolo, d’autres artistes auraient fait un procès, mais ce qui m’a intéressé c’est la manière dont mon travail m’échappe. J’ai fait une intervention à Arles en 2011 où j’ai fait tomber les lettres d’une enseigne « librairie » désaffectée pour former le mot « libre ». De fait avec les stages de photos qui ont lieu tous les ans, les photographes se baladent et prennent le « libre » en photo ; je l’ai vu passer plusieurs fois au cours des workshops et des amis me disaient « Ton "libre" a encore été pris en photo ! » en me partageant des liens et des captures d’écran. Il y a peu, une personne a fait un petit guide touristique et l’a mis dedans. Elle a publié la photographie sur son Instagram, en a fait des tirages et les vend dans une boutique arlésienne. Ce qui est intéressant c’est qu’elle ne savait pas que c’était un geste artistique – ce qui était mon intention, de pousser les choses à leur conclusion logique. Cette photographe s’est dit que c’était vraiment un hasard, elle n’a pas cherché plus loin. Évidemment, quand elle a fini par savoir que c’était un geste artistique il y a deux ou trois jours, elle a modifié sa publication et m’a crédité alors que cela faisait déjà plusieurs années qu’elle avait publié l’image.
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Pour certaines œuvres anonymes dans l’espace public, on peut reconnaître une certaine intentionnalité ; cette reconnaissance de sa dimension intentionnelle va aboutir à une documentation par un tiers et mise en circulation sur le web. Pour moi, c’est vraiment ce rapport de miroir qui importe. Finalement Démo de tous les jours, mon site web, il s’adresse à la communauté de gens qui me suivent, mais... On est en 2020, les gens vont sur Instagram, ils ne vont plus à la source sur les sites des artistes ou les blogs spécialisés. Donc si je voulais vraiment faire circuler mon travail – ce que je mets sur Démo de tous les jours – je posterais tout en ligne. Ce n’est pas forcément le cas. Je poste pas mal de choses en story, mais je poste seulement une nouvelle intervention urbaine quand elle rebondit avec l’actualité ou avec des préoccupations personnelles.
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PM : D’accord. Et j’ai vu qu’il y avait beaucoup de choses sur le site des Éditions Carton-Pâte qu’on pouvait télécharger gratuitement et imprimer à la maison. Je me demandais si cette forme d’appropriation par les gens qui visitent le site web, qui vont pouvoir télécharger et imprimer les objets, découle de la mise en public de ton travail dans la rue ?
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MT : Oui, il y a un rapport certain. Une des influences que je n’ai pas cité, mais qui est assez exemplaire sur ce rapport entre espace en ligne et espace urbain, c’est François Chastanet et son site web Les partisans du moindre effort depuis 2003. Il proposait des affiches et des éditions en téléchargement à imprimer en A4 sur son imprimante de bureau. Il le faisait dans une perspective expérimentale, en créant un trait d’union entre l’architecture, la typographie et le graphisme. De mon côté, je n’avais pas les moyens de faire des tirages professionnels et je ne voulais pas fabriquer mes affiches à la main. Comme beaucoup de gens, l’idée d’utiliser des tirages A4 ou A3 en mosaïque pour les coller dans la rue s’est imposée. Je trouvais cela juste un peu idiot d’imprimer des formats pour ensuite couper les marges techniques, afin de les ré-assembler et feindre un format A2, A1 ou A0 alors que l’on pouvait directement faire des tirages au traceur à ces formats. J’ai donc réfléchi à la manière dont je pourrais partir des contraintes propres à la reprographie pour définir la forme des publications à diffuser sur Éditions Carton-Pâte. De sorte que toutes les éditions qui sont sur le site puissent être téléchargées et imprimées depuis le site par n’importe qui chez le reprographe du coin en utilisant les grammages et types de papier les plus communs.
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PM : Après j’ai lu des entretiens où tu parlais de ton site, de la notion de démonstration. Est-ce que cette idée de démonstration répond à la mise en public de tes œuvres dans la rue ?
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Démo de tous les jours c’est aussi une sorte d’ascèse : au lieu d’asseoir sa pratique artistique sur un curriculum vitae – « je suis artiste parce que j’ai fait tant d’œuvres et d’expositions », il va s’agir de se poser la question de l’actualité de sa sensibilité et de son désir – « ok, j’ai fait ça, mais qu’est-ce que je fais aujourd’hui ? ». C’est une affaire d’auto-discipline qui permettrait de maintenir la pratique dans le domaine du vivant plutôt que de la destiner à sa propre taxidermie. Cette recherche d’une constante de vie dans la pratique, c’est une manière d’aller vers plus de précision, plus de justesse, plus de finesse. Si on me demande de regarder rétrospectivement mon travail et qu’on me demande quels travaux sont les plus décisifs, je ne garde généralement que cinq à dix travaux ; et souvent les plus récents. Mes exigences se déplacent et évoluent. Le contexte n’est plus le même et finalement je me dis que je préférais faire des gestes très légers. Puis quelques temps plus tard, je me dis que j’aimerais bien faire des œuvres plus permanentes, qui restent et sur lesquels je pourrais revenir pendant dix ans. Je pense que c’est ça le rapport à la démo, comment on peut demeurer dans la tentative et l’expérimental, plutôt que dans le résultat. Comment on est dans une dimension processuelle dans notre rapport à l’art, plutôt que dans une logique de production et de monstration. C’est à cet endroit qu’advient le basculement entre les pratiques artistiques urbaines du début du XXe siècle – où l’idée c’était de s’émanciper de l’espace de galerie – et celles des années 1980-1990 dont une bonne part ont voulu rester dans la rue. Je pense notamment à Antonio Gallego [^Peintre et plasticien français né en 1956 qui a pratiqué le collage de fresques réalisées sur papier avec le collectif Banlieue-banlieue, entre 1982 et 1987.], Ox [^Ox est un artiste français, il vit et travaille à Bagnolet. Il a co-fondé le collectif les Frères Ripoulin avec Claude Closky et Pierre Huygues. Il pratique le collage d’affiches en s’appropriant des espaces d’affichage publicitaires. Pour voir son travail, consulter son site web ici.] ou Jean Faucheur [^Jean Faucheur est un artiste plasticien français né en 1956. Il a également co-fondé le collectif les Frères Ripoulin, et pratiqué le collage sur des panneaux publicitaires. Consulter son site web ici.] par exemple qui ont appartenu à cette nouvelle vague d’artistes urbains contemporaine de la première génération de graffeurs en France et qui sont beaucoup intervenus par voie d’affichage au sein des collectifs Banlieue-banlieue [^Groupe d’artistes formé en 1982 à Poissy, initialement composé d’une dizaine de membres, dont Alain Campos, Anita Gallego, Antonio Gallego, José Maria Gonzalez et Daniel Guyonnet. Consulter le blog du groupe ici.] ou les Frères Ripoulin [^Groupement d’artistes parisien·nes actif entre 1984 et 1988, parmi lesquel·les Jean Faucheur, Ox, Claude Closky, Pierre Huygues.]. Ce basculement, c’est une sorte de nécessité intrinsèque assez libertaire, une volonté de ne plus être assujetti à son statut d’artiste ou à la manière dont l’art est montré. Il s’agit de prendre en charge les moyens d’existence de l’art plutôt que de se limiter à sa production et de déléguer sa diffusion à des tiers. C’est une dynamique autogestionnaire qu’on peut retrouver aussi dans la culture techno, dans la culture skate, et dans le graffiti ou le hacking aussi, quelque part.
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De cette manière de 2007 à 2016, au moment où j’ai réintégré au nouveau site web toutes les éditions réalisées avec David Renault à mesure des années, j’ai reposé des contraintes éditoriales très strictes. Les premières publications que nous avions faites entre 2006 et 2012 étaient certes en reprographie, mais le façonnage – dos carré collé et massicotage – ralentissait et complexifiait le processus. On perdait la spontanéité qui pouvait exister avec un fanzine un pli agrafé, on perdait cette urgence et cette fluidité du geste : on était dans l’attente de la livraison et on retombait dans une logique éditoriale plus classique. En 2016, j’ai donc normalisé toutes les publications pour revenir à l’essence de cette typologie éditoriale. Des publications qui intègrent dans sa forme les marges techniques autant comme contrainte que comme signature graphique – pas d’images à fond perdu – ; le moins d’impression couleur possible et le recours à des papiers de couleur tels q’on en trouve chez tous les reprographes – avec les trois grammages de papier 80, 120, 160 g/m2 les plus courants – ; une reliure à plat avec des relieurs d’archives ce qui permet de ne pas s’embêter avec l’imposition des pages puisque les pages sont imprimées dans l’ordre du chemin de fer – puisque la reliure n’est pas fermée, il y a la possibilité d’augmenter ou de modifier l’édition, avec l’ajout d’une traduction des textes dans un second temps par exemple.
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Il s’agit plus de faire un geste éditorial avec une adresse et un contexte de diffusion situé que de faire un livre qui serait diffusé dans les réseaux classiques de distribution tels que les librairies et les bibliothèques. Carton-pâte agrège des logiques propres à l’auto-édition et à l’édition numérique, ce qui permet une flexibilité et une immédiateté à rebours des modalités traditionnelles de publication où les échelles de temps et de financement sont étrangères à celles de la pratique artistique.
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MT : Oui, en quelque sorte. J’avais appelé cette série « croquis d’étude », littéralement Study Sketch. Ce que je fais en peinture a un intérêt parce que je le fais dans un certain contexte. Je choisis un mur et comme je procède la plupart du temps sans autorisation, je n’ai aucune certitude que l’intervention reste ; elle va vraisemblablement générer des réponses ou des interactions multiples et inattendues à cause de cela. Si je fais ce même travail sous forme de dessins, qu’il ne reste plus à voir que le pseudonyme des tagueurs sans leur calligraphie originelle en référence, je soustrais en quelque sorte toutes les questions que l’action sur le terrain va soulever. Le dessin a son autonomie et je préfère que cette autonomie trouve une place dans le quotidien plutôt que dans un espace d’exposition. L’intérêt de l’édition, c’est qu’elle circule dans les espaces du quotidien, qu’elle a une existence dans la vie de tous les jours comme l’art dans l’espace public. On rencontre autant une œuvre urbaine de manière fortuite en marchant dans la rue, que sa documentation sous forme de publication en ligne au détour d’un blog, dans le fil d’un réseau social ou imprimée dans un magazine ou un livre. On arpente indifféremment une ville ou un livre, et l’œuvre est trouvée plutôt que montrée.
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Par contre, il y a cette série Tautological Propaganda [^Mathieu Tremblin, Tautological Propaganda, Strasbourg, Éditions Carton-pâte, août 2019, A5 recto-verso, 24 p.] que j’ai réalisé et qui est en ligne sur le site web des éditions Carton-pâte. C’est en quelque sorte le filtre de révélation idéologique de They Live de John Carpenter – les fameuses lunettes noires – appliqué à la marque de vêtements Obey. Je prends sur le réseau Instagram des images de gens qui posent avec des vêtements de la marque de Shepard Fairey, je les passe en négatif et je remplace l’identité visuelle de Fairey par un des slogans du film de Carpenter. Cela donne une série d’affiches pensée pour aller dans l’espace public. Je les placarde en mosaïque comme les campagnes de street marketing des marques de fast fashion.
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La série Preliminary Sketches pourrait très bien exister sous forme de tirage A4 ou d’affiches 4 × 3. Ce sont des dessins vectoriels avec une esthétique très liée aux logiciels d’architecture : modélisations, potentialités, plans, étapes de travail. Et ils sont intéressants pour cela, parce qu’ils ne sont pas l’intervention réalisée. Ils racontent autre chose, comme le plan d’architecte qui n’est pas le bâtiment fini. Le plan devient d’autant plus intéressant qu’il y a eu une opération de construction. La construction lui donne son autonomie, lui donne son existence propre, documentaire. Le plan peut être étudié ou servir de référence quand on va revenir sur la construction. Sa valeur va être liée à ce qu’on projette comme usage plus qu’à la question esthétique. Ces croquis d’étude sont un jeu avec le dessin d’architecture et les manières de représenter et fabriquer de l’urbain. Les architectes ne dessinent jamais les potelets parce ce qu’il vienne gâcher le rythme visuel qu’ils s’efforcent d’insuffler à leur façade. Ils ne dessinent pas non plus les poubelles et les détritus qui vont venir s’insérer dans les interstices et les recoins. Ils ne dessinent pas les tags, alors que ce qui rend une ville vivante, ce sont les traces laissées par celles et ceux qui la pratique. C’est à cet endroit qu’il y a un enjeu à ces croquis d’étude, différent et autonome de l’intervention Tag Clouds : reprendre un registre graphique lié à une modélisation de la ville et réintroduire des signes présents dans la ville ; des signes qui sont gommés des représentations de la ville et occultés, recouverts ou effacés dans la ville pour obéir à un certain mode de gouvernance et de gestion de l’espace public.
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MT : Est-ce que tu as vu la revue Alea [^Alea “Espaces et corps parcourus et traversés”, Carole Douillard, Paris, Éditions Carton-Pâte, October 2017, A3 recto, 36 p., ISBN 979-10-95982-19-7] ? C’est littéralement une revue dont le format est pensé pour être présenté dans un espace de vitrine. Le nombre de pages, la manière dont va être réparti le texte, les images, s’il y en a, tout cela va être agencé en fonction de l’espace où la revue va être présentée en placard. Et ensuite sur le site, les pages de la revue sont rassemblées dans un PDF en recto. La revue est pensée pour être montrée une première fois dans l’espace public et consultée de cette manière là. Cela se joue à trois niveaux de lecture : un texte qui est fait pour être lu à l’échelle du chemin de fer déployé sur la vitrine ; ensuite, lorsqu’on se rapproche, il y a les images ; et enfin au plus près, il y a un entretien sur la question de l’enregistrement des traces et des expériences urbaines. J’en ai fait une avec Carole Douillard qui était pensée pour une vitrine de FRAC. J’aimerai bien présenter le prochain numéro dans la vitrine d’un reprographe. La difficulté, c’est toujours la négociation ; c’est plus facile de négocier une vitrine avec un espace d’art qu’avec un espace commercial. Le commerçant y verra un manque à gagner, alors que l’espace d’art institutionnel ou associatif embrassera la proposition parce que c’est sa mission de donner une vitrine à des projets artistiques. À mes yeux, Alea est vraiment une édition in situ, c’est-à-dire que le chemin de fer de la revue est vraiment conçue en fonction de l’espace où elle va être présentée. Et bien sûr, elle est téléchargeable en ligne, on garde la même logique.
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MT : Les Study sketches avait été faits dans la perspective d’un dossier pour présenter le principe de l’intervention dans un cadre qui n’a finalement pas abouti. Pour Tag Clouds Parable, c’est une proposition préméditée. À chaque fois qu’on me sollicitait pour la publication et la diffusion dans la presse de la documentation de Tag Clouds, j’envoyais les mêmes images pour avoir le plus d’occurrences possibles de ce travail. J’avais choisi de ne pas m’inscrire à l’ADAGP parce que je souhaitais que mes images conservent la même accessibilité que les œuvres urbaines qu’elles documentent, et que le contrôle algorithmique de la propriété intellectuelle en ligne y contrevenait. De fait, je savais qu’il serait quasi impossible d’être rémunéré pour une diffusion – puisque les médias préfèrent traiter la question du droit par le biais de cet organisme plutôt qu’avec les auteurs des œuvres –, alors je demandais une copie papier de chaque publication. À l’origine, je pensais découper dans les magazines ou les livres, et épingler variations des mêmes images imprimées comme des papillons pour en faire une œuvre unique, une fois arrivé à une collection assez conséquente. Et puis finalement, ça m’embêtait de recréer de l’unicité alors que ce qui m’importait, c’était la question de l’accès à l’œuvre urbaine par sa documentation et sa diffusion ; je suis reparti sur un projet éditorial. Plutôt qu’être le personnage de la fable, formuler le geste comme une hypothèse éditorial. C’est devenu une sorte de projet de recherche qui me permettait de revenir sur le buzz en ligne de 2016. Depuis 2010 où j’avais commencé cette série d’interventions urbaines, j’avais fait attention à ce que Tag Clouds ne devienne pas viral. Entre autres, parce que je sais très bien que quand une œuvre devient virale, l’auteur devient l’artiste d’un seul projet. Or, Tag Clouds représente un centième de mon travail, ça aurait été un peu ridicule de réduire des années de pratique à une seule œuvre. Cela peut être une stratégie de communication pour certains – un jeu avec l’économie de l’attention –, mais en ce qui me concerne la destination de mon travail a toujours été l’espace urbain et non le marché de l’art. Je ne voulais surtout pas me retrouver dans une situation où les municipalités m’inviteraient pour réaliser un Tag Clouds : la proposition se serait déplacée vers le repeint hygiéniste de ce qu’ils considèreraient comme des murs de tags « moches ». Ainsi, à chaque fois qu’on m’a demandé de réaliser cette intervention dans le cadre d’un programme, j’ai refusé. Et j’ai continué à la réaliser spontanément sans commissionnement et sans autorisation. Le buzz autour de cette intervention m’a fait réaliser qu’entre les années 2000 et les années 2010, le web décentralisé s’est transformé en réseau privé-public avec les médias sociaux. Avant les curieux, amateurs et journalistes allaient consulter les sites web des artistes et y découvraient les éléments de contexte publiés qui les renseignaient sur le processus créatif et le contexte de l’œuvre urbaine. Aujourd’hui, les œuvres urbaines diffusées via leur documentation sur le web sont réduites à des images dont l’intérêt fluctue avec le marché de l’attention. Elles deviennent des éléments d’une conversation plus large que celle qui les relie à leur contexte urbain, comme des sorte de template de mèmes. En remettant récemment en circulation ces Study Sketches, j’ai voulu réintroduire d’autres registres d’images qui renseignent le processus de création, le travail d’observation et de préparation préalable qui correspond aussi au rythme et aux usages de la ville plutôt qu’à ceux, instantanés, des réseaux sociaux.
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La gestion française du coronavirus avec les diverses restrictions qui ont été appliquées a exacerbé certaines caractéristiques déjà présentes dans la gestion de l’espace public. Le rapport au parcours urbain a été réduit à sa frange la plus fonctionnaliste et consumériste. C’était problématique puisque, c’est exactement ce contre quoi on lutte quand on intervient dans la ville. On vise à initier à travers la découverte fortuite des œuvres urbaines une approche aventureuse motive des usages poétiques et politiques de l’espace – là où les législations visent à les circonscrire donc à les limiter. Pour l’instant, je sais pas trop ce que ça a transformé dans ma pratique parce que le confinement a coïncidé avec le moment où je finalisais ma thèse, et que j’étais de toute façon toute la journée devant l’ordinateur. Et puis, comme j’agis déjà sans autorisation, le fait de devoir enfreindre certaines règles pour ménager des espaces-temps de pratique fait partie de mes habitudes. Je pense que ce qui a été pernicieux, c’est comment les règles imposées de manière temporaire ont permis une forme de surpénalisation des personnes qui n’avaient pas le choix que d’être dehors, parce qu’elles étaient dans des situations précaires. La violence systémique de l’État, lisible dans son désengagement social et dans les inégalités qui en découlent a été surlignée de manière kafkaienne – on se souviendra de ces personnes sans domicile fixe qui se sont faites verbaliser à de multiples reprise parce qu’elle ne pouvait pas reste chez elles par définition.

Garance Dor & Vincent Menu

Je suis particulièrement sensible à ce début de mémoire puisque j’ai rencontré Guilhem en faisant des fanzines. Dans son mémoire il aborde la publication comme moyen de faire communauté.
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Et j’ai trouvé ça incroyable ces invitations d’artistes dans plein de champs différents, est-ce que cette publication n’est pas aussi un moyen de faire communauté ?
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GD : En tout cas c’est pas un collectif, puisqu’on fonctionne avec des invitations donc les uns et les autres ne se choisissent pas entre eux : d’ailleurs la plupart ne se rencontrent pas avant la publication. Le moment un peu fédérateur et de communauté c’est ce moment des activations qui ont lieu après la publication où on déploie la revue de manière performative avec les artistes dans des temps publics, dans des théâtres, dans des centres chorégraphiques, dans différents espaces. Là effectivement il y a une rencontre : entre les artistes et avec le public. Et là peut-être que c’est un temps de communauté.
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GD : En général, on essaie bien évidemment d’aller vers des artistes qui pourraient être intéressés par cette notion de partition ou qui la pratiquent déjà. Dans le prochain Véhicule il y aura des gens comme Jean-Baptiste Farkas [^Jean-Baptiste Farkas est un artiste français qui opère sous les identités IKHÉA©SERVICES, Glitch (Beaucoup plus de moins) .] : avec IKHÉA©SERVICES [^Jean-Baptiste Farkas a créé IKHEA en 1998, en détournant le nom de la célèbre marque. IKHEA est une entreprise fictive invitant le public à réaliser les services imaginés par elle.] il est vraiment au cœur de cette notion de partition par des services qu’il propose, c’est son geste d’artiste. Et puis des artistes qui sont plus éloignés de ça, dont la pratique est loin de celle-ci même, mais qui vont interroger leur œuvre en se demandant comment la transmettre ? Parce qu’il y a cette idée-là qui est quand même au centre de la partition : c’est la transmission, c’est de faire voyager des œuvres et qu’elles puissent exister, et exister de nombreuses fois en de nombreux lieux.
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Mais on ne fait jamais d’appel public, à candidature pour la revue, c’est toujours le fruit d’invitation sauf quand quelqu’un de temps en temps nous propose spontanément quelque chose. En général on les a accueillis avec joie puisqu’il y avait un réel désir de leur part et l’idée c’est pas de se transformer non plus en curateur ou en programmateur, donc on est très attentifs à accueillir aussi les propositions.
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GD : Ça, ça revient avec l’idée de communauté c’est-à-dire qu’à un moment on s’est dit, mais c’est pas un collectif : ces gens-là ne se sont pas choisis. Ils font corpus parce que l’on décide de les mettre ensemble, mais comment faire pour qu’ils soient ensemble sans être attachés les uns aux autres ? Donc au sens propre, on a décidé de ne pas les relier. Mais qu’il y avait un contenant, une enveloppe : un espace commun. Et qu’à l’intérieur il s’agissait de publications singulières, sur des formats différents. Chaque artiste à son objet, son territoire à l’intérieur de cette espace partagé.
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CD : Très bien, alors c’est un objet hybride, un espace, un objet... On s’est aussi posé des questions d’économie de l’œuvre dans ce genre de projet. Comment vous situez ces objets qui sont à la fois œuvre et documents, par rapport à d’autres publications avec lesquelles on peut faire des liens comme Shit Must Stop [^SMS (Shit Must Stop) est une collection d’éditions d’artistes conçus par William Copley et Dimitri Petrov. La collection a été publiée toutes les deux semaines de février à décembre 1968. Chaque numéro est composé d’œuvres d’art diverses aux formes variées.], Aspen [^Aspen (magazine) a été créé en 1965 par Phyllis Johnson, il a été le premier magazine prenant la forme d’un multiple, développé sous plusieurs dimensions. Il était édité sous la forme d’une boîte dans laquelle on pouvait trouver différents supports éditoriaux (cartes postales, affiches, enregistrements sonores, films etc.).] magazine… ?
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GD : On précise que l’artiste peut le vendre lui-même, et donc en garder l’intégralité des bénéfices ou choisir de s’en servir comme un objet promotionnel pour montrer son travail. C’est ce qu’on peut faire aujourd’hui parce que l’on a du mal à réunir les fonds pour Véhicule, c’est à la fois une publication d’artiste économe : parce que l’on essaie quand même que ça nous coûte le moins cher possible. Mais c’est pas non plus de la photocopie, c’est de l’offset, sur un papier de qualité donc forcément par rapport à d’autres publications d’artistes on est pas dans une économie minimale comme certains ont pu le faire. Certaines publications d’artistes étaient soumises au nombre d’abonnés et le tirage fluctuait selon le nombre d’abonnés : ils ne tiraient que les exemplaires qui étaient déjà pré-achetés. Ce n’est pas notre cas.
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GD : Disons que cette interdisciplinarité, cette porosité fait qu’on ne correspond pas à une ligne très encadrée et institutionnelle. Donc il n’y a pas de financements de ce côté-là. Par contre on peut aller voir des structures très différentes dans le champ des arts plastiques, des galeries, aussi bien que des CDN [^Centre Dramatique National.], des théâtres, etc. pour essayer de tisser des liens. On essaie de les associer pour qu’ils nous fournissent une aide matérielle et financière concernant l’impression de la revue et également pour avoir un déploiement performatif de la revue. Ça devient des lieux d’accueils une fois que la revue est éditée pour faire des soirées, des moments publics. Mais ça reste très fragile au niveau financier.

Camille Bondon

CB : Oui plutôt localement. Mais les save the date, qu’on peut avoir dans des mariages, c’était aussi une manière de prendre rendez-vous avec les gens, qu’ils aient quelque chose entre les mains. Et puis moi, j’ai ce goût du papier, c’était un prétexte à fabriquer un carton, un objet, une sorte de pochette surprise, avec plein de petits éléments. Ça, je l’ai diffusé à mon entourage, et puis je l’ai disposé dans des lieux d’art. Mais justement, les lieux d’art ça reste toujours un public habitué à la culture, et ce qui est intéressant c’est quand ça va un plus loin, quand c’est des amis d’amis qui d’un seul coup entendent parler du projet et se joignent à l’aventure. Donc il y a aussi le bouche à oreille qui est un bon outil de collecte.
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CB : Non, en fait c’est l’intégralité du carnet que j’ai scanné, et je suis venue recomposer, un peu comme les généticiennes quand elles étudient les manuscrits des autrices anciennes, elles viennent faire des transcriptions dactylographiées du manuscrit, pour pouvoir rendre lisible l’écriture manuscrite, qui peut être difficile à déchiffrer quand tu n’es pas spécialiste de l’autrice. Elles viennent conserver la mise en forme des pages, et remettre des blocs-textes dactylographiés à ces endroits-là. Je trouvais que c’était beau cette manière de coller à l’archive spontanée, où tu n’as pas fait de choix de mise en page. C’est quelque chose qui est de l’ordre de l’intuition, un bel espace d’émergence d’une pensée, des idées. Cette opération de nettoyage, de tout recomposer à l’ordinateur, et aussi de redessiner, c’était une manière de tout mettre à niveau, c’était aussi ce geste-là de publier, de rendre public. Et si là, aujourd’hui, tu devais m’ouvrir ton carnet et bien je passerai un petit moment à essayer de m’acclimater à ton écriture, à ta graphie. Ce geste-là c’était aussi une manière de faire rentrer les gens dans cet espace qui est plutôt privé, de rendre ça plus fluide et lisible.
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CB : Il y a juste un numéro de téléphone que j’ai modifié, parce qu’il n’était pas public. Mais il y a l’email de l’ex-directrice du musée des beaux arts, comme elle était sur internet, j’ai estimé que c’était de l’ordre du public. Mais sinon je n’ai rien retouché.
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Il y a une autre fonction dans les gestes, je l’ai aussi appris en échangeant. Je m’étais retrouvée pendant une interview en train de toucher ma boucle de ceinture, et ma petite sœur psychomotricienne m’a fait remarquer que c’était une « réaction de prestance » qui traduisait une gêne. Il y a aussi ça en fait, il y a des gestes qui vont être là par exemple pour canaliser peut-être une pétoche ou un truc comme ça. Les gestes n’ont pas de signification fixe, mais ce sont nos amis, ils sont là pour nous aider. Par moment quand on a peur, on va tripoter un truc parce que ça canalise à un moment donné. Le fait d’avoir des fiches dans les mains, ou son téléphone quand on parle en public, c’est cette main-qu’est-ce-que-j’en-fous-j’en-sais-rien, je l’accroche à un téléphone ça va beaucoup mieux. Dans des pièces que j’ai faites, je comprenais que mes fiches étaient là pour éviter que je tremble, parce que je me mets à trembler quand je suis trop émotionnée. Alors que les fiches elles me permettent de canaliser cette énergie et de l’ancrer. Ces supports, ces fiches, deviennent finalement de nouveaux espaces d’expression.
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CB : Il y a deux personnes, deux artistes avec qui je travaille. Il y a Michel Dupuy, de Dector & Dupuy, un duo d’artistes. Michel Dupuy, l’un des deux Michel était un de mes profs aux beaux-arts du Mans, et quand j’étais étudiante franchement je comprenais pas ce qu’ils faisaient, je trouvais que c’était assez obscur. En fait, ils font des visites guidées dans l’espace public, à la recherche de traces d’usages qu’ont les gens de l’espace public. Comment à un moment donné quel trou est le trou idéal pour mettre un gobelet en plastique ou une canette. C’est souvent étiqueté d’un rapport absurde au monde, mais moi je trouve que c’est plutôt une sorte d’éducation du regard, c’est-à-dire qu’on se balade avec eux, et ils viennent d’un seul coup regarder un truc, mais avec un intérêt vraiment sincère. Ils viennent, aussi par moment s’intéresser à des graffitis qui ont été effacés, donc ils vont venir redessiner à la craie les contours du graffiti effacé, et eux auront fait tout un boulot d’enquête de terrain pour comprendre quel était ce graffiti, quand est-ce qu’il a émergé, en marge de quel événement politique... D’un seul coup ils vont déployer des indices qui sont présents dans l’espace public, qui touchent à l’histoire individuelle, des trouvailles que les gens ont, d’usage d’espace, d’accrocher sur des grilles des choses... et aussi de la grande histoire, et comment ces grandes et ces petites histoires se trouvent mélangées. Dans leur manière d’être, il n’y a pas de parler théâtral ou de truc postural, ils sont vraiment comme deux gars. Il y a un truc très simple et joyeux que moi j’aime beaucoup. Ce côté là humain, mais curieux, passionné, et qui t’embarque complètement. C’est une visite guidée, on marche, on s’arrête sur un truc, ils nous parlent, et on continue vers un autre point. Et en fait il se passe un truc génial dans le groupe, c’est qu’on se met tous à essayer de chercher quel va être le point d’arrêt suivant. Et d’un seul coup on devient un Dector & Dupuy. Ce genre de pratique déborde du temps de la performance. C’est-à-dire que tu as la performance, mais il y a un truc qui t’as impacté. Tu te mets à penser comme eux en dehors de ce temps performatif. Ils t’ont transmis le virus, tu as un regard qui est plus aiguisé après. Et je trouve ça génial quand l’art s’infiltre dans ta vie au quotidien, et que ta vie est habitée par la vision d’artistes que tu as pu expérimenter.

Élise Gay & Kevin Donnot (E+K)

Pour une collection qui s’appelle « Script », nous avions produit un outil de travail d’éditions en ligne qui permet de faire toute la préparation de copie en ligne puis d’exporter directement un format intermédiaire, interprétable automatiquement par InDesign. Ou d’exporter un pdf, du XML TEI ou du CAIRN qui est directement gérable par la plateforme de publication scientifique CAIRN. L’idée de cet outil est de centraliser l’ensemble des moments de l’édition.
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Habituellement lorsque nous faisons de la publication multi-support, nous faisons le livre imprimé puis nous le déclinons sur une version numérique que nous devons refaire entièrement.
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Tu ne peux pas passer d’InDesign – d’une maquette ou tu as les drapeaux – à une publication numérique, parce qu’il y a plein de choses qui sont spécifiques au style et à InDesign.
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KD : La publication est aussi publiée sur CAIRN et donc sur le site de CAIRN il y a le même balisage, la même version ; toutes les notes sont automatisées. C’est très adapté pour des livres de textes.
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C’est un outil interne qui nous sert à nous pour l’édition de publication multi support simple, où il ne s’agit pas de faire des grands drapeaux, où il ne s’agit pas de gérer des rapports image---textes compliqués. L’outil sert cependant à publier un même texte sur plein de supports et de pouvoir le mettre à jour régulièrement.
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KD : C’est plutôt de l’automatisation que j’appellerais technique, pour la mise à jour technique, pour le flux de travail de l’édition. Cela ne l’est pas du tout pour de la création. Dans Coder le Monde, l’édition générative était justement là pour apporter des systèmes de circulation non-linéaire et des systèmes de lecture alternative. Pour ACB et cet outil, c’est purement technique : pour faciliter le flux de travail autour d’un projet. Cela n’a pas d’impact sur la mise en forme, nous aurions très bien pu couler les textes de la même façon sur InDesign, mais nous nous serions coupés de cette possibilité de mise à jour et de publication multi support.
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C’est tout l’enjeux difficile de la publication multi-support : il y a deux fonctionnements qui sont relativement opposés, en tous cas dans les schémas traditionnels, et c’est difficile de les faire converger. Il faut trouver des méthodes qui soient propres à chaque projet.

Marcia Burnier & Nelly

N : Alors, moi c’était le premier texte que j’écrivais depuis assez longtemps, parce que pour moi, la pratique de l’écriture c’est quelque chose que je fais depuis longtemps mais j’avais vraiment eu un moment où je m’en étais un peu éloignée. Du coup, j’avais publié ce texte sur //euh bah voilà// c’est un peu intime, mais c’est à l’image du zine, et c’était sur la pratique de la scarification, enfin les pratiques, un peu, de se faire mal quoi. Et… ce n’était pas que ça, mais c’était en partie sur ça. Du coup, je l’avais publié sans trop savoir quoi en faire. J’avais envie de le rendre public et j’avais envie de pouvoir commencer un peu des discussions là-dessus, et je l’avais publié sur le tumblr que j’avais à l’époque et Marcia ensuite m’a écrit des messages, voilà !
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MB : Oui je crois qu’il y a un enjeu très fort sur, quels textes ont le droit de cité en fait, dans l’espace public. Même dans l’espace des zines, je me rappelle qu’on avait essayé de les mettre sur infokiosque et qu’ils nous avaient refusées. Et, je ne pense pas spécialement pour le contenu, mais enfin eux ils disaient : « c’est pas trop… ». Ils ne comprenaient pas trop ce que c’était. « C’est quoi ? C’est un zine littéraire ? Mais pourquoi il y a plusieurs numéros ? C’est pas une brochure ? ». Enfin voilà, et c’est vrai que comme ce que Nelly disait tout à l’heure, c’est vraiment la question des influences états-uniennes voire anglo-saxonnes, enfin un peu plus large, sur le spoken word il y avait vraiment cette question : en France, on a du mal à valoriser les contenus intimes. Moi souvent, je me rends compte que comme les textes ne sont pas de la fiction, il y a très, très peu de fiction qui a été publiée. Je crois qu’on s’est essayées toutes les 2 une fois, mais c’est tout. C’est comment tu qualifies des textes qui sont littéraires, mais qui parlent de choses vécues ? Et en fait, dans plein de pays, ils parlent de non-fiction et ils ont aucun souci à considérer que c’est de la littérature. Et moi j’avais l’impression que nous on était très attachées à ça. À dire que, tout le monde a des choses à dire sur son expérience de personnes minorisée pour un certain nombre d’oppressions et que c’est important qu’on entende ces voix-là. Et qu’on ne le relègue pas uniquement dans la catégorie du témoignage, qu’on considère que c’est une question littéraire, que par ailleurs, ça a de la valeur dans un zine littéraire, et que les gens ont envie de l’écrire. Après, nous on faisait pratiquement 0 sélection au cours des 16 numéros. On l’a peut-être fait une ou 2 fois quand c’est… Quand ça rentrait vraiment pas du tout. Mais sinon, à priori on a toujours pris un peu ce que on nous envoyait, et on ne faisait pas non plus beaucoup de modifs. À moins que les gens nous le demande, mais il y avait un peu un côté : cet espace c’est aussi le vôtre quoi.
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MB : Ouais, moi j’avoue, je sais mais c’est ça rejoint un peu ce que tu disais sur quand tu regardes tes textes d’il y a longtemps, mais moi maintenant, je crois qu’après avoir publié les orageuses où il y a mon nom de famille… Des fois, je trouve ça un peu vertigineux d’avoir écrit d’autres textes, autant de trucs intimes en public quoi ! J’essaie de ne pas trop y penser. Ça c’est sûr, parce que j’ai vraiment déversé ma vie et de manière évidemment très subjective, c’est à dire qu’il y a plein de trucs tu les relis, et tu te dis : « Ah ouais je ne sais pas si je l’aurais dit comme ça… » et là, c’est marrant parce que je vois que j’ai moins envie… Tous les appels à textes justement sur le vécu, sur les trucs comme ça, maintenant je suis un peu plus genre « oui bon peut être que j’ai assez dit de choses sur moi, et que j’ai plus trop envie de ça ». Mais c’est un peu ce que tu disais Nelly, d’aller jusqu’au bout d’un truc. C’est hyper agréable je trouve d’arriver à un endroit où tu te dis « Ah ouais maintenant je commence à voir les limites et qu’est-ce que j’aimerais refaire et ne pas refaire ? » Je trouve ça très chouette, mais toi, t’as publié dans plein d’autres zines Nelly après.
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MB : Moi j’en ai une très… C’est vraiment celle qui m’a le plus marquée et j’y pense encore et d’ailleurs je la comprends mieux à mon stade, maintenant, qu’à l’époque. Le truc qui m’avait fait halluciner c’est que j’avais écrit un texte qui, pour moi, était humoristique, et quand je l’ai lu en public, on est venu me voir pour me dire que quand même c’était super violent. C’est vrai que je parle de mes expériences, donc… Ce que ça veut dire c’est que ce que toi tu décris avec humour en disant « Ahahah c’est trop rigolo ce qui m’est arrivé », et les gens trouvent ça horrible ! Ça j’avoue que ça m’avait obsédée quoi, je me rappelle je crois, que je t’en avais parlé Nelly, j’étais là « mais n’importe quoi ! Enfin ça veut dire quoi, c’est violent ? » Voilà, puis bon, évidemment, des années plus tard tu te dis, oui effectivement, j’avais une forme d’humour noir qui était un peu bizarre ! Mais ça, c’était un exemple de réception qui m’avait travaillée quoi ! j’avais trouvé ça très spé’. Je ne sais pas, toi t’en a eues Nelly ?

Julie Blanc & Quentin Juhel

QJ : Je vais revenir sur le terme « catalogue » : ce n’était pas vraiment un catalogue, c’était plutôt un objet manifeste. C’était le deuxième événement de PrePostPrint qui était marqué par la rencontre de différents acteurs : graphistes, développeurs, chercheurs, éditeurs, qui faisaient et qui font encore des publications imprimées avec les langages du web. Donc il s’agissait d’une réunion réelle, avec une réunion entre nous et avec le mini-festival, et cet ouvrage est à la fois un catalogue des gens présents, des potentialités du web2print ainsi que d’autres langages de programmation. Cela a été assez compliqué à mettre en place, notamment ces questions de polyfill. Tu vois ce que c’est qu’un polyfill ?
[…]
Code X est dans la même logique qu’un fanzine, où nous créons une publication rappelant et communiquant sur nos pratiques avec nos moyens – avec une petite maison d’édition qui veut parler aux étudiants.

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