Mot-clé : quotidien

Mathieu Tremblin

Dans le même esprit en 2019, j’ai fait une proposition in situ qui joue avec Instagram intitulée Low-tech filter [^Mathieu Tremblin, Low-tech filter, 2019. Documentation disponible sur www.demodetouslesjours.eu]. Je créé des sortes de filtres Instagram à partir d’affiches publicitaires que je prélève dans des sucettes JCDecaux. Ces filtres analogiques rejouent en version légère les passe-têtes photographiques qui existaient déjà à la fin du XIXe siècle, peu après l’invention de la photographie. Le moment de documentation et de diffusion en temps réel sur le réseau social via les stories crée une situation inédite qui fait trait d’union entre nos usages numériques URL et le hors champ du quotidien IRL : la personne qui regarde la story ne comprends pas forcément que l’image qui enserre mon visage est un filtre matérialisé. Puis je redouble ce geste par la suite en créant aussi un « vrai » filtre Instagram à partir du passe-tête et accessible depuis mon profil. Et là oui, on pourrait dire que cela relève de l’in situ en ligne.
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MT : La typologie de gestes éditoriaux en question, c’est celle qui part du fanzine et qui va jusqu’au livre-objet, en passant par les multiples supports que l’on retrouve disséminés dans notre quotidien urbain : affiche, autocollant, tract, etc. Il est question de conserver la liberté formelle et conceptuelle qui a pu exister avec les premiers livres d’artiste des années 1960 qui étaient très artisanaux ; certains artistes ont pris le parti de s’affranchir totalement des conventions éditoriales en faisant par exemple disparaître les informations éditoriales, en n’ayant pas de numéro ISBN voir en effaçant jusqu’à leur propre nom. Le passage au numérique permet de dessiner un cadre éditorial professionnel et une traçabilité où ces informations qui deviennent comme des sortes de métadonnées en ex-libris et de rejouer dans le même temps cette dimension bricolée. C’est d’ailleurs la fonction de la jaquette à motif de papier marbré – l’identité de Carton-pâte – qui vient « encapsuler » les éditions du catalogue et indexer les informations du contexte de création, qui dès lors n’ont pas la nécessité d’apparaître dans l’édition même.
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MT : Oui, en quelque sorte. J’avais appelé cette série « croquis d’étude », littéralement Study Sketch. Ce que je fais en peinture a un intérêt parce que je le fais dans un certain contexte. Je choisis un mur et comme je procède la plupart du temps sans autorisation, je n’ai aucune certitude que l’intervention reste ; elle va vraisemblablement générer des réponses ou des interactions multiples et inattendues à cause de cela. Si je fais ce même travail sous forme de dessins, qu’il ne reste plus à voir que le pseudonyme des tagueurs sans leur calligraphie originelle en référence, je soustrais en quelque sorte toutes les questions que l’action sur le terrain va soulever. Le dessin a son autonomie et je préfère que cette autonomie trouve une place dans le quotidien plutôt que dans un espace d’exposition. L’intérêt de l’édition, c’est qu’elle circule dans les espaces du quotidien, qu’elle a une existence dans la vie de tous les jours comme l’art dans l’espace public. On rencontre autant une œuvre urbaine de manière fortuite en marchant dans la rue, que sa documentation sous forme de publication en ligne au détour d’un blog, dans le fil d’un réseau social ou imprimée dans un magazine ou un livre. On arpente indifféremment une ville ou un livre, et l’œuvre est trouvée plutôt que montrée.

Camille Bondon

*Lors de nos recherches autour de l’« Ici et maintenant », nous avons rencontré le travail de Camille Bondon. Ses pièces La mesure du temps et Carnet 17*, interrogeant les usages individuels et collectifs du carnet de bord et de l’agenda, nous ont fait découvrir son intérêt pour le quotidien et ses méthodologies de travail.
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CB : Il y a deux personnes, deux artistes avec qui je travaille. Il y a Michel Dupuy, de Dector & Dupuy, un duo d’artistes. Michel Dupuy, l’un des deux Michel était un de mes profs aux beaux-arts du Mans, et quand j’étais étudiante franchement je comprenais pas ce qu’ils faisaient, je trouvais que c’était assez obscur. En fait, ils font des visites guidées dans l’espace public, à la recherche de traces d’usages qu’ont les gens de l’espace public. Comment à un moment donné quel trou est le trou idéal pour mettre un gobelet en plastique ou une canette. C’est souvent étiqueté d’un rapport absurde au monde, mais moi je trouve que c’est plutôt une sorte d’éducation du regard, c’est-à-dire qu’on se balade avec eux, et ils viennent d’un seul coup regarder un truc, mais avec un intérêt vraiment sincère. Ils viennent, aussi par moment s’intéresser à des graffitis qui ont été effacés, donc ils vont venir redessiner à la craie les contours du graffiti effacé, et eux auront fait tout un boulot d’enquête de terrain pour comprendre quel était ce graffiti, quand est-ce qu’il a émergé, en marge de quel événement politique... D’un seul coup ils vont déployer des indices qui sont présents dans l’espace public, qui touchent à l’histoire individuelle, des trouvailles que les gens ont, d’usage d’espace, d’accrocher sur des grilles des choses... et aussi de la grande histoire, et comment ces grandes et ces petites histoires se trouvent mélangées. Dans leur manière d’être, il n’y a pas de parler théâtral ou de truc postural, ils sont vraiment comme deux gars. Il y a un truc très simple et joyeux que moi j’aime beaucoup. Ce côté là humain, mais curieux, passionné, et qui t’embarque complètement. C’est une visite guidée, on marche, on s’arrête sur un truc, ils nous parlent, et on continue vers un autre point. Et en fait il se passe un truc génial dans le groupe, c’est qu’on se met tous à essayer de chercher quel va être le point d’arrêt suivant. Et d’un seul coup on devient un Dector & Dupuy. Ce genre de pratique déborde du temps de la performance. C’est-à-dire que tu as la performance, mais il y a un truc qui t’as impacté. Tu te mets à penser comme eux en dehors de ce temps performatif. Ils t’ont transmis le virus, tu as un regard qui est plus aiguisé après. Et je trouve ça génial quand l’art s’infiltre dans ta vie au quotidien, et que ta vie est habitée par la vision d’artistes que tu as pu expérimenter.

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