Mot-clé : temps

Camille Bondon

*Lors de nos recherches autour de l’« Ici et maintenant », nous avons rencontré le travail de Camille Bondon. Ses pièces La mesure du temps et Carnet 17, interrogeant les usages individuels et collectifs du carnet de bord et de l’agenda, nous ont fait découvrir son intérêt pour le quotidien et ses méthodologies de travail.
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La mesure du temps est une œuvre vidéo présentant une collection d’agendas, à partir desquels Camille Bondon interprète les traces laissées à l’intérieur par leur propriétaire. Carnet 17 est une édition retranscrivant, à la manière d’un fac-similé, les notes, les dessins, l’expression de ses pensées, contenus dans l’un de ses carnets de recherche. Camille Bondon est une artiste plasticienne, la rencontre et le partage sont au cœur de sa pratique protéiforme.
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CD : Pour commencer, comment t’es venu cet intérêt pour le traçage du temps, et quelle place cela prend-t-il dans ta pratique et dans ta vie personnelle ?
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CB : J’ai commencé à noter les choses, à noter le temps quand j’ai arrêté d’être étudiante. Il y avait un aspect un peu vertigineux car quand tu es étudiant tu as un planning qui t’est donné, mais après c’est à toi de décider de ta vie. C’est une pratique qui a donc commencé pour me rassurer, pour voir un petit peu ce que j’avais fait et archiver finalement toutes mes actions. Ça a été aussi un prétexte pour dessiner, parce que je ne suis pas une grande dessinatrice, enfin je n’ai pas de projet de dessin dans ma pratique artistique. Mais ce truc là, d’avoir à noter un peu, par exemple tous les repas que je prends, c’est une sorte de « micro-contrainte » pour pouvoir faire des dessins un petit peu tous les jours. Plus j’ai continué à le faire, plus je voyais que ça m’aidait aussi à structurer mes journées, à établir un peu des programmes. Et à chaque fois que j’essayais de trouver un meilleur modèle d’agenda, je voyais que finalement, l’espace du temps, sa matérialité, avait une forme d’influence ou d’incidence sur la perception que l’on a du temps. En posant la question autour de moi — parce qu’on a un goût partagé avec d’autres amis pour ces histoires-là — je me rendais compte que eux préféreraient les déroulés horizontaux ou verticaux des journées, d’autres voulaient avoir le mois pour avoir une sorte de vision à long terme. Je me suis dit que là, il y avait finalement une sorte de sujet commun, collectif, et que ça pourrait être intéressant d’essayer de faire un tour de cette question, pour voir comment les autres font aussi pour se dépatouiller du temps. Souvent, les questions que j’adresse aux autres pour créer des pièces, sont des questions de l’ordre du commun. Je me dis que si on partage nos savoirs et nos compréhensions de ces communs-là, la vie serait finalement plus simple.
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CB : Oui, ça commence souvent par l’entourage. Parce que c’est plus simple d’aller poser la question à ton ami, à ta copine, à tes parents, aux grands-parents aussi qui sont assez partant pour ce genre de choses. Ce sont des gens dans lesquels j’ai confiance, il s’agit du premier cercle de complices avec lequel tester la formulation. Poser une question paraît tout simple, mais certaines questions peuvent orienter les choses d’une manière ou d’une autre. Moi j’essaie de garder les portes ouvertes pour que les réponses soient les plus larges possible. Et avec ce premier cercle de complices, cela me permet d’ajuster mon protocole, ou de mieux définir la question que je me pose. Je ne sais pas par avance les questions que je me pose, mais c’est en parlant avec les autres qu’elles émergent et qu’elles se formulent. Il y a toujours ce premier temps qui est un peu le temps d’incubation, où j’en parle autour de moi et après je lance un appel plus large.
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Pour
La mesure du temps, c’est comme pour l’histoire du dessin dans l’agenda, j’ai voulu faire une sorte d’invitation, que j’ai envoyé à des gens, dispersé, et déposé dans des lieux, pour annoncer la collecte. J’ai fait un ephemera, un carton d’invitation, pour inviter les gens à contribuer à ma collection d’agendas et de calendriers.
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CD : Est-ce que le fait de garder trace du temps depuis longtemps a influencé certains de tes comportements ? Et est-ce que la manière dont tu gardes trace du temps a aussi changé ?
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CB : Elle a changé du moment où j’ai commencé à avoir des agendas, chaque fois les choses bougeaient. Je crois que j’ai atteint une acmé après avoir fait la vidéo de
La mesure du temps, parce que je voulais noter encore plus de choses. Alors j’ai trouvé une marque d’agenda qui est incroyable, une marque japonaise qui s’appelle Hobonichi, qui résolvait un problème incroyable, parce qu’il y avait je crois quatre représentation du temps, il y avait l’année, il y avait le mois, la semaine et les journées. Et ça simultanément sur un papier bible, l’objet était très très beau. Tu pouvais jongler en granularité du temps, avoir plutôt une vision « globale » ou vraiment être dans chacune des heures de la journée. J’ai tenu six mois cet agenda-là, de manière encore plus précise que ce que j’avais fait jusqu’alors, je venais de m’acheter des crayons de couleur, et je me suis mise aussi à faire des dessins avec dedans. C’est devenu une occupation temporelle trop importante, je passais mon temps à rendre compte de ce que je faisais dans mon agenda, enfin ça devenait complètement insensé, de passer du temps à s’occuper de cet agenda. Ça coïncidait aussi à un moment où, il y a deux ans, j’ai mis tout mon atelier, ma maison dans un garage pour partir en voyage. Du coup je n’avais plus ce rapport-là au temps, je n’avais plus d’impératif, j’étais libre en fait. Il n’y avait plus de raison de noter le temps comme ça, parce que j’étais en voyage et donc j’ai arrêté d’avoir un agenda. Ça fait deux ans que j’en ai plus. Il y a des moments dans ta vie ou tu n’as pas besoin d’agenda, comme par exemple l’été où il se passe moins de choses, tu as moins besoin de noter. Là je me dis que pour la rentrée, je vais de nouveau en prendre un. Je suis plus alerte pour choisir ces choses-là et me dire qu’il n’y a pas d’obligation non plus de s’assigner à noter le temps de façon précise. J’avais ce besoin là à un moment donné mais ce n’est plus le cas maintenant.
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CD : Tu produis beaucoup d’objets papier, et c’est une matière qui t’intéresse, mais je me demandais quelle place prenait les outils numériques dans ta pratique ? Est-ce que tu utilises par exemple des applications pour noter le temps justement ?
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CB : J’ai un téléphone qui est assez rudimentaire, que j’utilise principalement pour téléphoner et comme outil de notation. J’adore les mémos vocaux, l’option dictaphone est un truc que je trouve génial. Je prends des notes vocales quand je n’ai pas le temps pour noter les choses rapidement, et je demande aussi à d’autres, quand ils me parlent d’une autrice, d’une adresse, ou quand l’orthographe est compliquée. J’ai toute cette banque de petites capsules de mots que par moment je réécoute, et il y a une sorte de flou parce qu’il y a un hors champs qui est tellement fort, que parfois je n’arrive pas à retrouver quelle était la source de cette note. Par exemple, en ce moment, je collecte des récits de rencontres amoureuses, j’ai de bons enregistreurs, mais le téléphone à ce côté là de très discret, c’est quelque chose qui est camouflé pour pouvoir capturer la voix, la parole des autres. Donc je l’utilise plutôt pour le côté vocal plus qu’écrit.
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CB : Si il s’agit d’une utilisation « pragmatique », je passe peut-être 70, 80 % du temps sur l’ordinateur à faire toute la gestion de projet. Par exemple, les nappes dont je te parlais, c’est beaucoup d’échange de mails, de préparation de rendez-vous... Et après ça va être les logiciels de la suite Adobe pour faire de la retouche d’image et de la composition d’édition.
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CD : Et pour collecter des témoignages, tu passes aussi par des réseaux sociaux, ou tu utilises uniquement des objets matériels, comme pour
La mesure du temps?
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CB : C’est un peu hybride,
La mesure du temps il y avait ce carton, j’ai fait juste une fois une story sur les réseaux sociaux, et un type que je ne connaissais pas, Adrien, m’a envoyé son agenda. Finalement il y a toujours un ancrage papier parce que j’aime bien ça. Pour Le goût des rêves, j’avais édité une première fois des cartes de visite, et une deuxième fois une petite annonce, un peu comme les annonces de « marabouts », que j’avais dispersé sur mon lieu de vacances, parce que c’était juste le temps précédent le festival auquel j’allais participer. Donc il y a cet objet physique qui circule à un endroit, et les réseaux viennent compléter ces appels. Par exemple pour Les nappés on a collecté des histoires, mais ça s’est fait par correspondance papier, avec un premier cercle de complices qu’on avait sur le territoire. Là, on n’a pas ouvert un appel national, c’est une communauté plus restreinte, ancrée sur un territoire qui a répondu à cet appel. Donc ça dépend aussi des contextes des invitants. Pour Le goût des rêves, le projet devait se faire à Bataville à la fin de l’été dernier, il y a eu le Covid donc ça a changé les choses, mais je devais vraiment être sur place, faire du porte à porte et récolter une matière onirique sur le territoire où allait se diffuser les récits. Ce sont les projets aussi qui guident leurs besoins, et puis après ma capacité à gérer ce que je reçois, parce que recevoir des rêves tous les jours, les écouter, faire des retours aux rêveuses, finalement c’est un temps que je ne peux pas étendre à l’infini. Donc c’est bien par moment aussi de restreindre ces appels-là.
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CB : Je dirais qu’en premier, il y a une envie. Par exemple, pour
La mesure du temps, c’était de parler du temps. Mais c’était juste cette envie-là, de parler du sujet de la temporalité, de comment elle s’écoule. Moi j’ai commencé par avoir l’intuition que je voulais avoir des objets physiques, je ne savais pas pourquoi, mais je voulais qu’on me donne des agendas. On m’en a donné, mais après, je me suis rendue compte qu’il y avait aussi des agendas immatériels, numériques, et les gens qui n’en ont pas. Je me suis donc demandée comment je pouvais faire rentrer ces récits, ces temps d’entretiens que j’ai passé avec les gens. Au début je voulais manipuler les agendas, faire un temps physique où je montrais les agendas, les endroits qui m’intéressaient en particulier. Et plus j’en parlais autour de moi, plus je me rendais compte qu’ils étaient un terrain privé. Il fallait que je protège aussi cet espace-là. Et c’est justement en en parlant à chaque fois quand il y avait des gens qui passaient à l’atelier, que je me rendais compte que je faisais une sorte de diaporama des pépites, des meilleurs passages de chacun des agendas. C’est comme ça que je me suis dit que cela pourrait prendre la forme d’une vidéo, où je les manipule. Comme ça j’ai aussi un contrôle sur ce que je montre ou ne montre pas de ces espaces-là. Et les choses chez moi, se font de manière très intuitive. Le fait de faire une vidéo, c’est arrivé comme ça, et ce que je raconte aussi dans la vidéo, je l’ai fait de manière parlée, c’est-à-dire que je prenais l’agenda et je parlais en m’adressant à une copine que j’aime beaucoup, comme si elle était présente dans l’atelier. C’est une sorte d’écriture avec le cœur, je ne sais pas si on peut appeler ça comme ça. C’est faire confiance à l’intuition, à ce qui est vraiment essentiel dans chacun de ces objets qu’on m’avait confié. Évidemment, par moment je retournais la séquence, parce que je trouvais que, par exemple, il y avait un geste qui était beau mais le point n’était pas fait. J’ai un peu rejoué certaines scènes, mais l’écriture s’est faite de manière improvisée et parlée.
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La forme que je préfère pour
La mesure du temps, c’est quand je projette la vidéo et que je fais la voix, qui est normalement off, en direct, de manière synchrone avec les gestes. En fait, j’aime rencontrer des gens, et le fait d’envoyer une vidéo dans une exposition, c’est une forme de monstration qui m’excite moins. J’essaye toujours de faire des formes où je suis obligée d’être là, de rencontrer des gens, que ce soit un moment convivial, moi c’est ça qui me plaît. Mais pour une exposition en Suisse, eux préféraient une version continue, diffusée au sein de l’exposition. Du coup on a enregistré en studio avec un copain la voix off pour qu’elle soit nickel et que ça devienne une vidéo autonome. Pour chacune des formes que je fais, il y a plusieurs états. Par exemple, Faire parler les livres est une collection sur les méthodologies de lecture, comment chacun va venir faire des petits points, corner les pages, recopier dans un carnet ou recopier dans des fiches... C’est une performance, mais c’est aussi une installation, et la transcription de ce que je raconte, j’aimerais bien que cela devienne aussi une édition, le contenu textuel de ma conférence en quelque sorte. Souvent dans les pièces que je peux faire, il y a plusieurs états simultanés d’une pièce, qui sont des espèces d’équivalences.Il n’y a pas une forme, je ne sais pas si c’est que je n’arrive pas ou que je ne veux pas arrêter une forme, mais à chaque fois qu’on m’invite c’est un nouveau contexte, et à partir de ce contexte je fais des adaptations.
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CD : Est-ce que la manière dont tu parles et ta gestuelle dans
La mesure du temps, est quelque chose qui t’es propre, qui est naturel chez toi, ou bien tu l’as travaillé pour ce projet?
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CB : Tu vois les séminaires où tout le monde se présente en conférence d’une heure, moi je n’avais pas envie de faire une conférence, donc j’ai appelé des gens que je connaissais et avec qui j’ai travaillé pour qu’elles et eux me présentent avec leurs mots. Je n’aimais pas trop cette posture de l’artiste qui se présente, et j’aime ce côté amateur en fait. Je trouve qu’il y a quelque chose de très beau dans l’amateurisme, c’est qu’il y a aussi l’espace pour l’amour. Moi j’ai une idée de comment je veux me présenter, mais elles et eux avaient plein de petites portes d’entrées différentes et aussi des trouvailles langagières, iels avaient des manières de dire qui étaient super justes. Moi j’ai leurs conversations dans l’oreillette et je suis juste leur porte-parole. Un peu comme un médium qui viendrait entendre des voix et qui amplifie simplement un signal. Toutes ces petites pépites qu’iels avaient, ces formules que je trouvais justes, je les ai recopiées sur des fiches bristol, que je soulève en même temps que je l’énonce. C’est une manière de souligner la parole, et par exemple si tu devais faire un résumé, tu pourrais prendre juste en note ces fiches. J’appelle ça des notes de bas de paroles, c’est pour moi l’essentiel de ce qui doit être retenu. En réalité, ça s’est improvisé au fur et à mesure. Je n’avais pas l’idée de faire une conférence avec des sous-titres. D’ailleurs, par rapport aux états simultanés dont je parlais,
La présentation des présentations, je la fais de manière parlée, mais à un moment donné j’ai eu l’occasion d’imprimer, donc j’ai fait une version transcrite de cette présentation, c’est un leporello sur un A3 plié en zigzag. Encore une fois il y a la version parlée, la version éditée, et peut-être qu’il y aura une version audio un jour, je n’en sais rien, ça se fait en fonction des opportunités, c’est vivant comme matière.
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CD : La plupart du temps, tu démarres un projet lorsque tu es invitée quelque part ?
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CB : Alors, il y a deux manières de faire, par exemple
La mesure du temps c’est un projet que j’ai initié parce que j’avais cette envie là très forte. C’est un projet que j’ai financé moi-même, le temps de recherche, de création à l’atelier, le fait de travailler avec un ingénieur son... J’avais envie de faire cette pièce, donc j’ai pris sur mes économies pour prendre le temps de la créer. C’est une manière de faire quand il y a une envie qui est là et qui est trop forte, il faut qu’elle se réalise. Autrement, par exemple pour Le goût des rêves, la collection de récits de rêves racontés au réveil, j’étais invitée par Michel Dupuy au centre d’art art3 à Valence, et c’est parce qu’il y avait cet espace, ce temps, une rémunération et cette envie avec Michel Dupuy de travailler ensemble, que ce projet est apparu. Les nappés, le projet sur lequel je travaille en ce moment, c’est un appel à candidature pour une résidence que j’ai rédigé avec une amie, et on a pensé ce projet pour ce territoire. En ce moment je travaille sur une histoire des drapés, comment s’habiller en pans de tissus noués, et c’est moi qui suis en train d’écrire ça toute seule, on ne m’invite pas pour l’instant, il n’y a pas de date. Mais comme La mesure du temps, je le fais parce que c’est ce qui me passionne en ce moment. Il y a des choses qui viennent par la passion, et il y en a d’autres qui arrivent par des contextes et tu composes un projet en fonction.
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CB : C’est une bonne question. Pour tous les projets que je n’ai pas encore le temps de réaliser, depuis quelque temps je les écris, je fais des sortes de courtes nouvelles. Ça s’appelle
Les possibles, ce sont des histoires en quelques lignes qui racontent ce que sera le projet, comme si il était déjà réalisé. Et sinon je n’ai pas de réponse à t’apporter. Je pense que c’est une histoire de fréquence. Par exemple, l’intérêt pour les drapés, ça n’est pas venu comme ça, c’était une question qui m’intéressait déjà. Et puis, mon compagnon connaissant cette envie de faire quelque chose avec ça, m’a offert un sac simplement noué en furoshiki[^ Technique japonaise de pliage et de nouage de tissu pour emballer des objets.]. Après, moi, je me suis posée des questions sur les sous-vêtements, et je suis tombée sur des culottes japonaises, un peu comme des pagnes, ce sont des vêtements juste noués, et j’ai trouvé que c’était hyper confortable. Après, on est parti en voyage en Grèce et il y avait du drapé tout le temps, partout où tu regardais, c’était que des toges. Alors, c’est que d’un seul coup, à un moment donné c’est une évidence, c’est partout autour de toi, tu ne vois que ça. Donc tu es obligée de faire quelque chose dessus. Mais ça prend du temps, les pliages de tissus, je pense que la première fois que j’ai commencé à y penser j’étais étudiante à Caen, en 2010. Il y a des projets qui sont là, et ils leur faut peut-être dix ans pour arriver à éclore. Alors qu’il y en a d’autres, par exemple la collection des premières pages, j’ai passé vachement de temps à retourner dans les bibliothèques, à emprunter tous les livres, à demander aux copines qui m’avaient prêté des livres pour pouvoir scanner toutes les premières pages. Donc j’ai toutes ces premières pages, le projet est là, mais il n’a pas encore trouvé d’espace physique pour que je puisse faire ma tapisserie de toutes mes premières pages, comme une sorte de bibliothèque de livres ouverts.
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CB : Oui, tous les livres que j’ai lus pendant dix ans. Si ça se trouve, jamais je ne ferais ce projet. Enfin, pour moi il est déjà fait parce que j’ai déjà beaucoup pensé et travaillé dessus, mais physiquement il n’existe pas encore et je ne sais pas si il existera un jour. Il y a des trucs comme ça tu te dis en fait j’ai passé des dizaines d’heures sur quelque chose qui peut-être ne sera jamais visible. Mais c’est un temps qui sert à infuser d’autres choses.
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CB : Oui, et j’ai tout scanné, c’est prêt. Enfin j’ai un peu de retouche d’images à faire, mais conceptuellement la pièce est prête. Et j’ai même envie de faire des mobiliers, comme les échelles à rouler dans les vieilles bibliothèques. Ça serait des escabeaux à roulettes en bois, pour pouvoir aller lire sur toute la hauteur, parce que ça prendrait à mon avis quasiment tout le mur comme une vraie bibliothèque. C’est le genre de pièce qui est prête, il faut juste l’espace, le temps et l’argent pour la réaliser.
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CD : Dans ta pratique est-ce que tu vas t’astreindre à un protocole et le suivre correctement ? Pour
La mesure du temps tu disais que c’était un plaisir...
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CD : Oui. Dans le journal, sans réfléchir j’ai commencé à noter les jours de la semaine, jeudi, vendredi, samedi, mais sans noter la date, comme 30 mars, 31 mars. Peut-être parce que pour moi ça n’avait pas d’importance au final. Dans tes projets en lien avec le temps, comme
La mesure du temps, est-ce que la date t’intéresse vraiment ou c’est plus un rapport relatif au temps?
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CB : Moi j’ai voulu uniquement des agendas de l’année 2017, enfin d’une année en particulier, parce que j’étais intéressée par ces histoires de choses communes. C’est-à-dire que cette année-là, c’est notre axe central, et nous on l’a toutes vu depuis notre point de vue. Au début, pour la forme de
La mesure du temps, j’imaginais dire une date et regarder dans tous les agendas ce qui s’était passé à ce moment. Notamment je voyais une date qui revenait beaucoup, c’était les élections présidentielles, de voir « élections », « voter », « premier tour », comment les gens notaient cette chose qui était la même pour tout le monde, mais chacune n’avait pas la même manière de le dire. Une autre date qui revenait aussi c’était mon anniversaire, parce que j’ai fait une grosse fête pour mes trente ans, et mes amis l’ont marqué avec plein de cœurs, plein de petits schémas, et je trouvais que c’était chouette aussi d’avoir cette entrée-là. Mais je me suis rendue compte que c’était trop artificiel de prendre ces dates communes, elles m’empêchaient de parler de tout un tas de trucs géniaux qui se passaient ailleurs. Un autre montage que j’avais envisagé, c’était de parcourir un an, en faisant une semaine chez quelqu’un, puis une semaine chez quelqu’un d’autre, de faire une sorte de zapping. Mais pareil, c’était justement une règle, qui arrivait, qui était parachutée. Et finalement le fait d’en parler avec d’autres « ohh attend j’ai reçu un truc génial cette semaine, regarde il utilise des smiley bières qui trinquent pour dire que c’est les vacances dans son agenda ». Finalement cette écriture là du cœur plutôt qu’une écriture de la tête dans La mesure du temps, c’est celle qui m’a semblé la plus juste. Mais pour en revenir à ton agenda, le fait de ne pas écrire, je trouve que c’est très bien aussi. Il y a une espèce de flou, où on se sait pas quel mois c’est... Ce flou là, le fait de retirer de l’information c’est bien. Enfin c’est quelque chose que tu as fait intuitivement et ce n’est pas anodin. À toi de décider si tu le gardes ou pas. Quand tu écris « Océane entre parenthèses m’a dit que trois petits points », là tu as aussi la question de la parole rapportée. Comment dans ton journal, tu convoques des paroles d’autres personnes ? Et tu as les prénoms, j’aime bien les prénoms parce que ça peuple. Tu pourrais avoir « O. », tu pourrais avoir une autre typographie, ça pourrait être aussi juste « Océane, les suffragettes... » enfin c’est à toi de décider. Tu es un peu à la frontière d’une pièce de théâtre, tu as plusieurs niveaux de lecture, des didascalies, et c’est vachement intéressant entre ce qui est écrit et ce que tu vas dire, par exemple est-ce que tu dis « J » pour dire « jeudi », ou est-ce que tu dis « jeudi » ? C’est la marge entre la partition, ton texte et son interprétation. Par exemple « samedi j’ai fait un rêve en forme de visioconférence », tu as mis des parenthèses, pour moi cela veut dire que c’est dans un registre plus intime, donc tu le mets entre parenthèses un peu pour le protéger. Je me demande comment tu l’as notifié dans la version lue à voix haute ?
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CB : Il y a deux personnes, deux artistes avec qui je travaille. Il y a Michel Dupuy, de Dector & Dupuy, un duo d’artistes. Michel Dupuy, l’un des deux Michel était un de mes profs aux beaux-arts du Mans, et quand j’étais étudiante franchement je comprenais pas ce qu’ils faisaient, je trouvais que c’était assez obscur. En fait, ils font des visites guidées dans l’espace public, à la recherche de traces d’usages qu’ont les gens de l’espace public. Comment à un moment donné quel trou est le trou idéal pour mettre un gobelet en plastique ou une canette. C’est souvent étiqueté d’un rapport absurde au monde, mais moi je trouve que c’est plutôt une sorte d’éducation du regard, c’est-à-dire qu’on se balade avec eux, et ils viennent d’un seul coup regarder un truc, mais avec un intérêt vraiment sincère. Ils viennent, aussi par moment s’intéresser à des graffitis qui ont été effacés, donc ils vont venir redessiner à la craie les contours du graffiti effacé, et eux auront fait tout un boulot d’enquête de terrain pour comprendre quel était ce graffiti, quand est-ce qu’il a émergé, en marge de quel événement politique... D’un seul coup ils vont déployer des indices qui sont présents dans l’espace public, qui touchent à l’histoire individuelle, des trouvailles que les gens ont, d’usage d’espace, d’accrocher sur des grilles des choses... et aussi de la grande histoire, et comment ces grandes et ces petites histoires se trouvent mélangées. Dans leur manière d’être, il n’y a pas de parler théâtral ou de truc postural, ils sont vraiment comme deux gars. Il y a un truc très simple et joyeux que moi j’aime beaucoup. Ce côté là humain, mais curieux, passionné, et qui t’embarque complètement. C’est une visite guidée, on marche, on s’arrête sur un truc, ils nous parlent, et on continue vers un autre point. Et en fait il se passe un truc génial dans le groupe, c’est qu’on se met tous à essayer de chercher quel va être le point d’arrêt suivant. Et d’un seul coup on devient un Dector & Dupuy. Ce genre de pratique déborde du temps de la performance. C’est-à-dire que tu as la performance, mais il y a un truc qui t’as impacté. Tu te mets à penser comme eux en dehors de ce temps performatif. Ils t’ont transmis le virus, tu as un regard qui est plus aiguisé après. Et je trouve ça génial quand l’art s’infiltre dans ta vie au quotidien, et que ta vie est habitée par la vision d’artistes que tu as pu expérimenter.
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CB : J’ai été diplômée en 2011. J’ai fait un service civique, et après j’ai travaillé, j’étais responsable de la communication de l’école des beaux-arts à Caen où j’avais étudié, et j’ai commencé à être artiste en touchant le chômage suite à cette période de travail. C’est là où je suis venue vivre à Strasbourg pendant six mois. J’avais envie de faire une grande feuille de recherche comme un carnet de recherche, j’ai pu faire ça à temps plein Et j’ai commencé à vivre du fait d’être artiste en ayant aussi une économie hyper restreinte, en continuant à avoir entre guillemets cette vie d’étudiant où tu fais un petit peu attention à tout. Depuis 2013, je n’ai plus de métier à côté d’artiste, c’est-à-dire que c’est mes revenus, de performances, de workshops, de conférences, de résidences qui me permettent de vivre. A partir de 2019, que j’ai gagné quasiment 1500 euros par mois et c’était la première fois de ma vie. Avant j’avais une économie plutôt autour de 600, 700 euros mensuels par mes activités artistiques.
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CB : C’est le côté un peu sédimentaire, où plus tu commences à diffuser ton travail, plus il est diffusé. L’année précédente j’avais produit
La mesure du temps*, et c’est une pièce qui a bien tourné en performance, du coup on m’a beaucoup invité pour elle. J’ai fait aussi une résidence, ça été une année de fou, j’étais KO à la fin. Après je suis partie en voyage. C’est ça aussi, c’est très fluctuant les rentrées, il y a des fois où ça arrive et d’autres fois où... Je suis partie en voyage, puis il y a eu le covid, et là par contre si il y avait pas les aides de l’état, mes revenus seraient redescendus. Il y a aussi un autre paramètre, c’est que je vis en couple, et mon compagnon lui n’a pas de problème pour gagner sa vie. Dans notre économie de couple, on mélange les choses, on ne fait pas au prorata de ce que chacun gagne, mais on fait en pot commun, chacun à sa mesure. C’est aussi un facteur très important dans mon économie, qui me permet d’avoir l’esprit tranquille pour faire les choses. J’ai une amie qui justement suit un séminaires sur ces questions économiques de l’art, parce qu’on en parle pas trop. Une autre amie artiste, est propriétaire d’un appartement à l’étranger, et c’est le loyer de cet appartement qui lui permet d’avoir un revenu stable mensuel, parce qu’en plus elle est mère de famille, c’est un autre aspect. Moi je suis avec Thomas, nous sommes que tous les deux, on a pas d’enfant.

Marcia Burnier & Nelly

Marcia et Nelly se sont rencontrées via une communauté militante queer-féministe. D’ici, elles décident de se retrouver le temps d’une journée pour donner corps aux textes qu’elles publient sur leurs Tumblr respectifs. Inspirées par la sous-culture punk-féministe américaine Riot Grrrl, et proches du spoken word [^Formes expérimentales d’oralisation d’un texte qui passe par différentes méthodes liées aux gestes, aux expressions corporelles et vocales. Cette forme est surtout popularisée dans les années 60 au sein des communautés noires américaines.] elle choisissent le zine comme espace de parole personnelle et de récits non-fictionnels. Armées de scotch pailleté, de ciseaux et inspirées par leurs collections d’images, elles dessinent une collection de 15 zines en se ré-appropriant écriture et création artistique.
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MB : Ah on ne met pas de vidéo c’est ça ? Ah oui Nelly je ne t’ai pas vue depuis longtemps !
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N : Mais c’était déjà un collectif qui était en train d’aller vers la fin quand même. Et en fait, il se trouve que le Gang, c’est un truc qu’on a créé aussi. C’était un produit du fait qu’on était proches. C’est plutôt à l’inverse que ça s’est fait, on l’a créé parce qu’on avait envie de faire des choses ensemble. Et qu’on se connaissait un peu quoi. Mais voilà, du coup c’est plutôt, le 8 mars pour toutes où on s’est rencontrées. Mais Marcia, t’as envie d’en dire plus ? Parce que ça faisait plus longtemps que tu étais au collectif que moi.
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MB : Non mais en gros, le 8 mars pour toutes, c’était un collectif féministe, à Paris. Moi j’y était depuis un petit moment, ensuite, Nelly nous a rejoint, puis le collectif s’est dissous. Et avec une partie des personnes qui restaient, on a recréé le Gang, qui était un collectif. Mais en fait ça n’a pas tant à voir avec le zine, c’est vraiment des choses différentes, il se trouve que, plus ou moins en même temps, avec Nelly on se rapprochait sur des questions de… littéraires. Et on a eu envie de créer ce zine. Mais ce n’était pas tant lié au Gang. Il se trouve qu’on se connaissait via le 8 mars pour toutes quoi.
[…]
N : Alors, moi c’était le premier texte que j’écrivais depuis assez longtemps, parce que pour moi, la pratique de l’écriture c’est quelque chose que je fais depuis longtemps mais j’avais vraiment eu un moment où je m’en étais un peu éloignée. Du coup, j’avais publié ce texte sur //euh bah voilà// c’est un peu intime, mais c’est à l’image du zine, et c’était sur la pratique de la scarification, enfin les pratiques, un peu, de se faire mal quoi. Et… ce n’était pas que ça, mais c’était en partie sur ça. Du coup, je l’avais publié sans trop savoir quoi en faire. J’avais envie de le rendre public et j’avais envie de pouvoir commencer un peu des discussions là-dessus, et je l’avais publié sur le tumblr que j’avais à l’époque et Marcia ensuite m’a écrit des messages, voilà !
[…]
MB : Donc on a fait ça… C’était un moyen de passer du temps ensemble donc c’était pas du tout… Enfin même jusqu’au bout, même quand Nelly, toi t’as déménagé, on a réussi à se trouver des journées. En fait ça prend une journée, enfin plus ou moins quand c’est plus ou moins long, mais en gros c’était une manière de passer du temps ensemble et de créer un truc ensemble. Donc très peu d’échange par ordi, il me semble. Et je pense même… Nelly tu me tu me dis si je me trompe mais je… Je pense même qu’avant quand il n’y avait pas trop de textes, et quand c’était principalement nos textes à nous, on se les faisait lire sur le moment. Donc ouais…
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MB : On a dit que là, on avait envie de faire une pause, ça devenait compliqué matériellement, et parce qu’on est on n’habite pas au même endroit. Et que ça faisait quand même ça, et aussi parce qu’on commençait, enfin ça a commencé à faire beaucoup de boulot de diffusion parce que quand tu reçois des textes de gens, t’as aussi envie de prendre du temps pour diffuser ce que ce que les gens te filent et puis ça commence à faire beaucoup, 16 numéros. C’est beaucoup à diffuser pour 2 meufs qui ne font pas ça à plein temps et qui n’ont pas de moyens, donc on avait aussi ça, c’est qu’on n’avait plus trop de moyens d’impression possible. Ça devenait hyper compliqué et du coup on a mis en pause ouais.
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N : Non, non c’est vrai. On ne s’est pas fait de thune, on ne s’est pas… Le modèle financier est clairement défaillant ! Moi je me rappelle quand même quelqu’un qui nous avait demandé combien d’exemplaires on avait vendu, enfin nous en fait on n’a jamais tenu les comptes, donc, ouais. C’était… bon ça s’est fait au fil du temps quoi ! Et honnêtement je ne crois pas qu’on ait, ouais, réussi à rembourser. Enfin surtout vers la fin où on avait 16 exemplaires et qu’on se faisait des sessions d’impressions assez intenses. On n’a pas bien réfléchi notre business plan, quoi !
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MB : Ouais et puis, je crois que aussi on était très focalisées. Ça c’est un truc qu’on a appris je trouve, au fil du temps, mais au début on était très focalisées sur combien ça nous coûte et du coup l’argent, quand les gens nous disaient :
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Bon et après il y a eu 2 trucs : Je dirais qu’il y a eu certes, le fait qu’on a moins réussi à trouver des gens qui nous les imprimait donc il a fallu payer des fournitures. Mais aussi que je trouvais que dans la question d’une production artistique, de parler uniquement de coût de revient, combien ça te coûte les fournitures pour estimer ton travail, en fait c’est un peu biaisé, et ça nous prenait beaucoup de temps. Je ne sais pas, moi, j’ai eu l’impression Nelly, qu’on a eu pas mal ces conversations-là, au bout d’un moment. Que quand même bah ce temps-là, on ne le comptait jamais comme une dépense, ou comme un travail qui pourrait être compensé, même pas rémunéré mais juste compensé. Parce que j’ai le souvenir d’une fois une de nos premières zine fair, on avait dû faire 50 € on était limite… on avait l’impression qu’on ne méritait pas cet argent-là. Enfin tu vois, il y eu quand même un rapport à l’argent qui a été difficile et qui a évolué dans le temps quoi.
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N : Ouais, mais jusqu’à il n’y a pas longtemps au final, on a décidé d’augmenter les prix sur Etsy mais difficilement quoi. Mais juste parce qu’en fait moi par exemple, je me suis rendu compte que quand j’envoyais les trucs, bah des fois en fait je payais plus. ’Fin ouais comment dire, au final, je sortais de ma poche de l’argent, alors que quelqu’un m’achetait un truc, tu vois ! Du coup je pense que oui. C’est ça, ça a été compliqué cet enjeu entre l’accessibilité et juste respecter aussi, enfin en tout cas, visibiliser notre travail en fait.
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MB : Oui et puis, on ne rémunérait pas les auteurs et les autrices, mais je crois que le truc c’est que ça aurait été… Je sais pas si tu te souviens Nelly, mais on avait eu une fois une question d’un journaliste qui avait fait un truc, qui nous avait demandé si c’était notre travail à plein temps ? On était là, « mais gars, on dégage 50€ de bénéfice sur 2 mois ! » Enfin, c’est toujours compliqué quand t’as pas du tout la capacité de rémunérer les gens même 10€. Mais en fait, tu dégages quand même assez de bénéfices pour te payer 2 pintes, et du coup t’as un peu l’impression, enfin tu te dis : « Ah ouais, mais du coup moi j’en tire… » Franchement, c’est des questions… Par ailleurs, c’est des sommes tellement dérisoires, moi maintenant ça me fait sourire, mais c’est vrai que sur le moment on était très attachées à discuter de ça.
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Et pour moi, en fait dans cette discussion ça me fait aussi penser que, malheureusement on est aujourd’hui dans un monde où la thune est aussi liée à comment on est pris au sérieux. C’est comment nous on se prend au sérieux aussi, et du coup, voilà, je suis partagée, parce que je trouve que cette pratique du prix libre est importante, et en même temps, peut être que dans des lieux un peu plus institutionnels, par exemple, comme les librairies ou comme des… De toutes les façons il y a un prix fixé. Peut-être que j’aurais rétrospectivement, un peu moins rechigner à mettre, ’fin je sais pas, j’aurais peut-être été moins dans un truc de, on va mettre le truc à 2 balles. Je pense qu’on aurait pu se permettre de le mettre un petit peu plus cher sans que ça… Sachant qu’il y avait aussi cette possibilité de le choper à prix libre ailleurs. Enfin, voilà, pour moi c’est un peu ce truc du, des différents espaces aussi. Mais je sais pas ce que t’en pense Marcia en fait.
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CD : Ça remet dans une position où, en fait vous essayez de créer un espace de parole et un espace ou vous pouvez vous exprimer et en même temps à devoir gérer toute la logistique derrière et en plus ne pas faire, enfin de… d’être rémunérées quelque part ou en tout cas d’auto financer votre projet enfin… toute la charge vous revient alors que déjà le enfin comment dire au sein de la société on n’a pas cet espace qui nous est attribué quoi. Ça fait beaucoup de charge, oui.
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N : Oui ! Il est complètement et c’est clair en fait, c’est super important à dire, je trouve c’est que du coup, là, il y a vraiment ce côté empowering en fait, em-puissant, je sais pas comment on dit ça, de vraiment dire : je trouve que c’est ça le paradoxe. C’est à la fois de donner de la valeur à ce qu’on fait et en même temps de dire, c’est pas exclusif, c’est pas, ’fin, nous on le fait, mais en fait « si moi je le fais, puis toi tu le fais, puis toi tu le fais » en fait ça va juste faire comme une abondance de trucs chouettes qui existent et en fait on peut tous et toutes faire ça en fait.
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MB : Et ouais à l’écriture et à l’artistique ! Enfin je pense qu’il y a vraiment cet aspect-là qu’on oublie. Un zine c’est, enfin tu te rappelles Nelly quand je t’ai dit « vas-y on postule à cette expo collective à Toronto ? » En fait on a été prises dans une expo collective à Toronto, juste avant le covid en février 2020, et bah c’était un truc pour les artistes et y avait un peu le côté de dire « bah ouais, mais on est des artistes, vas-y c’est bon ! » Et je crois que ce rapport-là, en tout cas je dis ça parce qu’on a fait aussi des ateliers d’écriture et on a donné aussi des ateliers zines, et qu’en fait c’est aussi ça qui est aussi très présent chez les gens. C’est qu’on a l’impression que la pratique artistique est quelque chose qui est soit inaccessible, soit extrêmement compliquée, soit réservée à des gens qui sont créatifs depuis qu’ils ont 2 ans, voilà. Et moi, la première, j’étais vraiment terrorisée à l’idée, enfin, je disais tout le temps, « mais nous on ne fait pas de l’art, enfin on fait un zine, etc. », et il y a quelque chose de déculpabilisant sur ce côté-là je trouve. Quand tu fais des ateliers de fabrication de zines ou quand tu fabriques un zine et que tu montres que, bah nous, //je veux dire les séances de fabrication// on mettait du scotch et on se dit :
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On décolle, on découpe, enfin voilà c’est un truc assez décomplexé. Et je trouve qu’il y a aussi ça à transmettre quoi, de dire franchement, il n’y a pas besoin d’être une pro, de quoi que ce soit, il n’y a pas besoin d’avoir fait une école d’art pour faire des zines, ça c’est une pratique qui existe depuis longtemps et qui permet justement de faire des trucs très chouettes et comme ça n’a pas besoin d’être parfait, ça fait que n’importe qui peut le faire.
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N : Alors moi je m’inquiète, vous me dites si vous ne m’entendez pas parce que j’ai l’impression que la connexion est de pire en pire ! Mais… oui moi je crois que… juste mon rapport à l’écriture il a été profondément transformé par ce projet, par cette expérience et par le fait de l’avoir partagé avec Marcia. En fait, juste je crois que dans ma vie je n’aurais pas passé autant de temps à écrire et à prendre au sérieux ce que j’écrivais s’il n’y avait pas eu ce projet en fait. Aussi, c’est que du coup ça a… « ça m’obligeait, tous les mois ou tous les 2 mois » ou quoi. J’avais envie de proposer quelque chose pour ce zine et j’y travaillais et j’y passait du temps et je pense que ça prenait de la place dans ma vie et ça m’a permis d’évoluer. Donc aujourd’hui, quand je regarde les textes que j’ai écrit il y a quelques années, j’ai un peu honte et en même temps je me dis bon bah ça fait partie du processus d’écriture. Et à ce moment, ’fin, quelque part, le fait de pouvoir voir l’évolution aussi c’est très chouette et après, moi par exemple, aujourd’hui, je suis restée très attachée à la forme du zine et j’ai envie de créer d’autres zines ou des choses comme ça, mais ça m’a aussi permis je crois, d’aller au… J’allais dire au bout d’un truc, c’est pas d’aller au bout d’un truc, mais d’explorer quelque chose, au point où je peux aussi en voir la limitation ce qui fait que, par exemple, moi aujourd’hui j’explore plus de l’oralité, donc peut-être des choses autour de la performance. Comme j’ai envie que ces textes-là, ils sortent juste de l’écrit et d’en faire aussi quelque chose avec mon corps, avec ce que je suis. Je pense que ça, en fait ça a aussi été permis parce qu’à un moment donné j’ai pu passer énormément de temps à écrire jusqu’au point de voir, je ne sais pas, comme la frontière quoi, et c’est ce que j’avais envie de faire dans l’étape d’après du coup. C’est chouette pour ça.
[…]
MB : Ouais, moi j’avoue, je sais mais c’est ça rejoint un peu ce que tu disais sur quand tu regardes tes textes d’il y a longtemps, mais moi maintenant, je crois qu’après avoir publié les orageuses où il y a mon nom de famille… Des fois, je trouve ça un peu vertigineux d’avoir écrit d’autres textes, autant de trucs intimes en public quoi ! J’essaie de ne pas trop y penser. Ça c’est sûr, parce que j’ai vraiment déversé ma vie et de manière évidemment très subjective, c’est à dire qu’il y a plein de trucs tu les relis, et tu te dis : « Ah ouais je ne sais pas si je l’aurais dit comme ça… » et là, c’est marrant parce que je vois que j’ai moins envie… Tous les appels à textes justement sur le vécu, sur les trucs comme ça, maintenant je suis un peu plus genre « oui bon peut être que j’ai assez dit de choses sur moi, et que j’ai plus trop envie de ça ». Mais c’est un peu ce que tu disais Nelly, d’aller jusqu’au bout d’un truc. C’est hyper agréable je trouve d’arriver à un endroit où tu te dis « Ah ouais maintenant je commence à voir les limites et qu’est-ce que j’aimerais refaire et ne pas refaire ? » Je trouve ça très chouette, mais toi, t’as publié dans plein d’autres zines Nelly après.
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MB : Oui ce que je voulais dire, c’est sur la question d’écrire l’intime, parce que c’est quand même le gros du zine. S’est posée aussi assez rapidement une question, que je trouve des fois, et que t’anticipes pas, c’est la question de qui te lis ? Et qu’est-ce que ça provoque chez les gens ? En fait, le texte à un moment donné ne t’appartient plus. Puis il circule, il est interprété, réinterprété, et ça, je trouve que le zine était un bon apprentissage, parce que c’était progressif. C’est ça, ça s’est diffusé petit à petit. C’est d’abord des gens que tu connais, puis des gens que tu ne connais pas et comme dit Nelly, l’avantage, d’un zine, c’est qu’au contraire, d’un post Facebook qui est partagé par plein de gens que tu peux voir, les zines on a eu pendant longtemps aucune idée de comment ils circulaient et on s’est juste rendu compte de manière assez fortuite qu’il y avait des… endroits qu’on n’avait pas anticipés, d’où ils étaient. Mais ça, moi je crois que j’ai trouvé que c’était un bon apprentissage et que c’était intéressant de voir ce que ça peut provoquer un texte et de te rendre compte que tu ne peux pas tout contrôler.

Mathieu Tremblin

PM : Merci de prendre un peu de temps pour qu’on se voit.
[…]
MT : Pour moi la question de l’in situ en ligne est différente du travail de la maison d’édition, parce que je fais une distinction entre le geste artistique et le geste éditorial. Certains gestes que j’ai pu faire sont directement assignés à exister sur Internet : ils vont être accessibles directement sur un espace dédié, pas sur le site des éditions Carton-pâte. C’est par exemple, le principe d’une exposition accessible temporairement, une sorte d’exposition en ligne à laquelle tu ne peux accéder que par tel ou tel biais : un zip à télécharger sur WeTransfer, une adresse html qui ne sera valable que pendant un certain temps, etc. Comme la série de vidéos de Eva et Franco Mattes intitulée Dark Content [^Eva & Franco Mattes, Dark Content, 2015. Une série de vidéos qui rend visible le travail des modérateurs de contenu des plateformes web. Contrairement à une idée reçue, ce travail n’est pas réalisé par des algorithmes mais bien par des hommes et des femmes, que les artistes ont rencontrés et dont iels ont recueilli les témoignages. La série de vidéos est visible sur le navigateur Tor. Consulter le site web des artistes ici.] qui n’était accessible que sur le dark web et qui t’obligeait à télécharger le navigateur Tor. De cette façon, j’ai pu utiliser Tinder comme outil de documentation et de diffusion de ma pratique d’intervention urbaine entre 2017 et 2018 [^Mathieu Tremblin, Matching with Urban Intervention, 2017-2018. Consulter la page web dédiée sur le site de l’artiste ici. Matching with Art, Location & Internet, 2019, vidéo disponible ici.]. Il y avait aussi une histoire d’éditorialisation : je faisais une série de photos et je la mettais en page sur un format donné. Seulement le mode de diffusion était géolocalisé. Il était lié à mes préférences sur l’application et à la temporalité où je l’utilisais.
[…]
Pour moi la question de l’in situ en ligne fonctionne par rapport à ce type de propositions, pas par rapport aux éditions Carton-Pâte dans leur ensemble. Je trouve l’idée d’in situ en ligne intéressante, mais il faut s’intéresser à ce moment-là aux modes d’accès, aux formes du code, au registre d’énonciation, etc. Étienne Cliquet a fait ce geste très simple il y a quelques années, que l’on pourrait considérer comme une intervention sur son propre site web www.oridigami.net. Il faisait changer la couleur de l’écran en arrière-plan en fonction de l’heure du jour ou de la nuit à laquelle on le consultait. La seule manière de s’en rendre compte, c’était de consulter le site plusieurs fois ou de laisser la page ouverte pendant plusieurs heures. Et ce qu’il disait aussi à propos de cette pièce, c’est que quand lui-même travaillait sur son site web, ça lui permettait de conscientiser le temps qu’il passait dessus.
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Dans le même esprit en 2019, j’ai fait une proposition in situ qui joue avec Instagram intitulée Low-tech filter [^Mathieu Tremblin, Low-tech filter, 2019. Documentation disponible sur www.demodetouslesjours.eu]. Je créé des sortes de filtres Instagram à partir d’affiches publicitaires que je prélève dans des sucettes JCDecaux. Ces filtres analogiques rejouent en version légère les passe-têtes photographiques qui existaient déjà à la fin du XIXe siècle, peu après l’invention de la photographie. Le moment de documentation et de diffusion en temps réel sur le réseau social via les stories crée une situation inédite qui fait trait d’union entre nos usages numériques URL et le hors champ du quotidien IRL : la personne qui regarde la story ne comprends pas forcément que l’image qui enserre mon visage est un filtre matérialisé. Puis je redouble ce geste par la suite en créant aussi un « vrai » filtre Instagram à partir du passe-tête et accessible depuis mon profil. Et là oui, on pourrait dire que cela relève de l’in situ en ligne.
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À partir du moment où les gens accèdent gratuitement aux fichiers d’impression, toutes les opérations qui vont suivre vont les amener à considérer le travail que représente le suivi de production. En investissant ce temps-là, ils n’ont certes pas payé l’artiste, mais ils vont se rendre compte de ce que ça coûte vraiment de produire de l’art, de produire des affiches ou des éditions. C’est-à-dire que c’est gracieux plus que gratuit, en définitive. Le basculement du copyright vers le copyleft se joue surtout dans la responsabilité individuelle qu’induit ce droit à la mise en circulation. Transposer des logiques de logiciels libres vers l’art confère une dimension programmatique à l’œuvre, mais le réel enjeu n’est pas juste dans la libération du joug propriétaire. C’est un point de départ. L’enjeu est dans l’activation du protocole : il faut faire les choses. Cette dimension opérationnelle de la pratique artistique à travers le prisme de l’édition do it yourself, c’est une manière d’initier les gens à la créativité. Se confronter aux questions techniques et se questionner sur les moyens de production est émancipateur en soi, au-delà du contenu de l’œuvre produite même.
[…]
Démo de tous les jours c’est aussi une sorte d’ascèse : au lieu d’asseoir sa pratique artistique sur un curriculum vitae – « je suis artiste parce que j’ai fait tant d’œuvres et d’expositions », il va s’agir de se poser la question de l’actualité de sa sensibilité et de son désir – « ok, j’ai fait ça, mais qu’est-ce que je fais aujourd’hui ? ». C’est une affaire d’auto-discipline qui permettrait de maintenir la pratique dans le domaine du vivant plutôt que de la destiner à sa propre taxidermie. Cette recherche d’une constante de vie dans la pratique, c’est une manière d’aller vers plus de précision, plus de justesse, plus de finesse. Si on me demande de regarder rétrospectivement mon travail et qu’on me demande quels travaux sont les plus décisifs, je ne garde généralement que cinq à dix travaux ; et souvent les plus récents. Mes exigences se déplacent et évoluent. Le contexte n’est plus le même et finalement je me dis que je préférais faire des gestes très légers. Puis quelques temps plus tard, je me dis que j’aimerais bien faire des œuvres plus permanentes, qui restent et sur lesquels je pourrais revenir pendant dix ans. Je pense que c’est ça le rapport à la démo, comment on peut demeurer dans la tentative et l’expérimental, plutôt que dans le résultat. Comment on est dans une dimension processuelle dans notre rapport à l’art, plutôt que dans une logique de production et de monstration. C’est à cet endroit qu’advient le basculement entre les pratiques artistiques urbaines du début du XXe siècle – où l’idée c’était de s’émanciper de l’espace de galerie – et celles des années 1980-1990 dont une bonne part ont voulu rester dans la rue. Je pense notamment à Antonio Gallego [^Peintre et plasticien français né en 1956 qui a pratiqué le collage de fresques réalisées sur papier avec le collectif Banlieue-banlieue, entre 1982 et 1987.], Ox [^Ox est un artiste français, il vit et travaille à Bagnolet. Il a co-fondé le collectif les Frères Ripoulin avec Claude Closky et Pierre Huygues. Il pratique le collage d’affiches en s’appropriant des espaces d’affichage publicitaires. Pour voir son travail, consulter son site web ici.] ou Jean Faucheur [^Jean Faucheur est un artiste plasticien français né en 1956. Il a également co-fondé le collectif les Frères Ripoulin, et pratiqué le collage sur des panneaux publicitaires. Consulter son site web ici.] par exemple qui ont appartenu à cette nouvelle vague d’artistes urbains contemporaine de la première génération de graffeurs en France et qui sont beaucoup intervenus par voie d’affichage au sein des collectifs Banlieue-banlieue [^Groupe d’artistes formé en 1982 à Poissy, initialement composé d’une dizaine de membres, dont Alain Campos, Anita Gallego, Antonio Gallego, José Maria Gonzalez et Daniel Guyonnet. Consulter le blog du groupe ici.] ou les Frères Ripoulin [^Groupement d’artistes parisien·nes actif entre 1984 et 1988, parmi lesquel·les Jean Faucheur, Ox, Claude Closky, Pierre Huygues.]. Ce basculement, c’est une sorte de nécessité intrinsèque assez libertaire, une volonté de ne plus être assujetti à son statut d’artiste ou à la manière dont l’art est montré. Il s’agit de prendre en charge les moyens d’existence de l’art plutôt que de se limiter à sa production et de déléguer sa diffusion à des tiers. C’est une dynamique autogestionnaire qu’on peut retrouver aussi dans la culture techno, dans la culture skate, et dans le graffiti ou le hacking aussi, quelque part.
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PM : Je voulais rebondir sur cette notion d’urgence et d’économie de moyens. Pour moi, il y avait une forme d’écho avec la notion d’ici et maintenant. Ce que tu expliques dans une exposition où tu as un budget donné, tu vas dépenser une partie de ce budget dans l’installation, l’exposition, et tu ne vas pas forcément avoir les moyens d’avoir un catalogue. Il y a donc la question de faire avec les moyens du bord, et ici et maintenant, dans un temps donné avec un budget et un matériel donné.
[…]
MT : La typologie de gestes éditoriaux en question, c’est celle qui part du fanzine et qui va jusqu’au livre-objet, en passant par les multiples supports que l’on retrouve disséminés dans notre quotidien urbain : affiche, autocollant, tract, etc. Il est question de conserver la liberté formelle et conceptuelle qui a pu exister avec les premiers livres d’artiste des années 1960 qui étaient très artisanaux ; certains artistes ont pris le parti de s’affranchir totalement des conventions éditoriales en faisant par exemple disparaître les informations éditoriales, en n’ayant pas de numéro ISBN voir en effaçant jusqu’à leur propre nom. Le passage au numérique permet de dessiner un cadre éditorial professionnel et une traçabilité où ces informations qui deviennent comme des sortes de métadonnées en ex-libris et de rejouer dans le même temps cette dimension bricolée. C’est d’ailleurs la fonction de la jaquette à motif de papier marbré – l’identité de Carton-pâte – qui vient « encapsuler » les éditions du catalogue et indexer les informations du contexte de création, qui dès lors n’ont pas la nécessité d’apparaître dans l’édition même.
[…]
Sur le principe, cette jaquette autorise beaucoup de souplesse quant à la forme de l’édition. Par exemple, si je fais un workshop de dessin avec un groupe d’habitants, plutôt que de limiter la restitution à une série de quelques reproductions en impression d’art et tirage limité, je peux choisir de produire une pile de photocopies de l’ensemble des dessins pour le même budget. L’enjeu, c’est de trouver un équilibre entre l’adresse de l’édition et le mode de production et de diffusion ; ce type de gestes aura une existence première au moment de son partage avec la communauté qui l’a co-créé. La principale raison pour laquelle ce genre de travail n’est pas diffusé au-delà de ce temps collectif, c’est que l’éditeur n’a pas forcément n’as pas les moyens de faire un pavé de plusieurs centaines de pages à chaque fois. Les temps de conception et de fabrication – qui peuvent être très courts, de quelques jours à quelques mois – sont totalement en décalage avec ceux de la rentabilisation marchande dans le milieu de l’édition – qui est de plusieurs années. Dans une recherche d’efficience, j’ai choisi de penser le fonctionnement et le modèle économique de la maison d’édition à partir du geste éditorial en lui-même comme composante du processus de création, plutôt que de post-produire en édition des gestes artistiques.
[…]
De cette manière de 2007 à 2016, au moment où j’ai réintégré au nouveau site web toutes les éditions réalisées avec David Renault à mesure des années, j’ai reposé des contraintes éditoriales très strictes. Les premières publications que nous avions faites entre 2006 et 2012 étaient certes en reprographie, mais le façonnage – dos carré collé et massicotage – ralentissait et complexifiait le processus. On perdait la spontanéité qui pouvait exister avec un fanzine un pli agrafé, on perdait cette urgence et cette fluidité du geste : on était dans l’attente de la livraison et on retombait dans une logique éditoriale plus classique. En 2016, j’ai donc normalisé toutes les publications pour revenir à l’essence de cette typologie éditoriale. Des publications qui intègrent dans sa forme les marges techniques autant comme contrainte que comme signature graphique – pas d’images à fond perdu – ; le moins d’impression couleur possible et le recours à des papiers de couleur tels q’on en trouve chez tous les reprographes – avec les trois grammages de papier 80, 120, 160 g/m2 les plus courants – ; une reliure à plat avec des relieurs d’archives ce qui permet de ne pas s’embêter avec l’imposition des pages puisque les pages sont imprimées dans l’ordre du chemin de fer – puisque la reliure n’est pas fermée, il y a la possibilité d’augmenter ou de modifier l’édition, avec l’ajout d’une traduction des textes dans un second temps par exemple.
[…]
Il s’agit plus de faire un geste éditorial avec une adresse et un contexte de diffusion situé que de faire un livre qui serait diffusé dans les réseaux classiques de distribution tels que les librairies et les bibliothèques. Carton-pâte agrège des logiques propres à l’auto-édition et à l’édition numérique, ce qui permet une flexibilité et une immédiateté à rebours des modalités traditionnelles de publication où les échelles de temps et de financement sont étrangères à celles de la pratique artistique.
[…]
MT : Oui, en quelque sorte. J’avais appelé cette série « croquis d’étude », littéralement Study Sketch. Ce que je fais en peinture a un intérêt parce que je le fais dans un certain contexte. Je choisis un mur et comme je procède la plupart du temps sans autorisation, je n’ai aucune certitude que l’intervention reste ; elle va vraisemblablement générer des réponses ou des interactions multiples et inattendues à cause de cela. Si je fais ce même travail sous forme de dessins, qu’il ne reste plus à voir que le pseudonyme des tagueurs sans leur calligraphie originelle en référence, je soustrais en quelque sorte toutes les questions que l’action sur le terrain va soulever. Le dessin a son autonomie et je préfère que cette autonomie trouve une place dans le quotidien plutôt que dans un espace d’exposition. L’intérêt de l’édition, c’est qu’elle circule dans les espaces du quotidien, qu’elle a une existence dans la vie de tous les jours comme l’art dans l’espace public. On rencontre autant une œuvre urbaine de manière fortuite en marchant dans la rue, que sa documentation sous forme de publication en ligne au détour d’un blog, dans le fil d’un réseau social ou imprimée dans un magazine ou un livre. On arpente indifféremment une ville ou un livre, et l’œuvre est trouvée plutôt que montrée.
[…]
MT : Les Study Sketches ? Je sais pas exactement ce que ça produit. En fait, ils ont existé sans le référent de la situation de création urbaine. Je prenais des vues photographiques de hall of fame de tags et je produisais un nuage de mots-clés insérés dans un espace schématisé pour voir ce que cela pourrait donner : c’était plutôt le statut de croquis d’étude, ou de dessin préparatoire à l’action. Et avec le temps et les multiples Tag Clouds réalisés, c’est aussi devenu une autre manière de montrer les choses. L’avant et l’après sont dissociés. Ces dessins vectoriels ont une valeur presque documentaire sur une situation qui aurait pu exister, mais qui demeure au stade de l’observation du territoire.
[…]
MT : Oui, c’est ça, c’est un peu une méta-documentation du travail. Comme il peut y avoir des images sur mon site web ou cette édition Tag Clouds Parable [^Mathieu Tremblin, Tag Clouds Parable, Strasbourg, Éditions Carton-pâte, août 2019, A4 recto-verso, 24 p., ISBN 979-10-95982-34-0]– qui est plutôt une fable sur la manière dont la documentation de Tag Clouds a été reproduite et diffusée. C’est une manière de parler du geste sans pour autant le montrer. Parce que, en définitive, c’est plus intéressant d’aller à Quimper ou à Arles voir les deux derniers Tag Clouds qui restent, voir comment ils ont été dégradés, appropriés, que d’avoir des photos de l’instant T où je les ai peints. L’intérêt aussi, c’est que l’action dans l’espace urbain est une forme de conversation avec l’environnement, avec les aléas, les autres passants, etc. Il n’y a pas un moment où l’œuvre débute et finit. Ce n’est pas une œuvre pérenne, donc elle n’est pas vouée à être immuable. Elle évolue tout le temps ou elle disparaît simplement, les couleurs se fanent avec la lumière, la peinture s’écaille. C’est quelque chose que tu ne peux pas vraiment restituer quand tu fais de la photographie, à moins d’en faire une par jour. Évidemment, les gens qui vont regarder l’image de l’intervention finalisée voudraient une image parfaite, impérissable. Alors que moi je veux voir les altérations et les interactions. La seule image « parfaite » est celle que d’aucun gardera de sa propre expérience de l’œuvre en situation.
[…]
MT : Ah ! Ici et maintenant : un des premiers sujets en arts plastiques proposé par l’artiste-chercheuse Françoise Vincent-Feria [^Artiste chercheuse travaillant avec Elohim Feria au sein du duo Vincent+Feria. Le duo travaille par des installations, performances et dispositifs évolutifs sur des questions environnementales et sociétales. Pour en savoir plus, consulter leur site web ici.], qui était maître de conférences à l’Université Rennes 2 en 2000 – et qui est devenue quinze ans plus tard ma directrice de thèse. C’était ma première performance. Avec mon camarade Damien Mousseau, on avait organisé un petit déjeuner pour tout le bâtiment Mussat. Aussi parce qu’elle nous avait montré le travail de Rikrit Tiravanija [^Artiste thaïlandais né en 1961, il vit et travaille entre Berlin, New-York et Bangkok. Son travail est associé à l’esthétique relationnelle et questionne la globalisation dans ses aspects sociaux et relationnels. Il a notamment organisé des espaces-temps d’exposition participatifs en organisant des repas partagés.]où il faisait manger des nouilles lyophilisées dans un espèce de dispositif de barque. Cela faisait écho à la thématique de la Biennale de Lyon.
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Hic et nunc, l’expression est duplice. Elle est teintée de nihilisme, elle s’accorde parfaitement avec le carpe diem consumériste et la déresponsabilisation qui en découle. Et en même temps, elle me semble aussi renvoyer à une empathie extrême envers son environnement : c’est essentiel d’être présent à soi et aux autres, d’être présent à la ville. Mais ce n’est pas du tout quelque chose d’évident. Avec la société de consommation, on est dans la projection permanente, dans un effacement du rapport au temps et à l’espace. La globalisation annihile toutes les distances et nous pousse à embrasser un désir illimité. Or, c’est une figure impossible dans le monde fini qui est le nôtre. Être ici et maintenant, c’est considérer son désir, la possibilité de le réaliser et de le partager ; ou de le minorer voire de s’en défaire si cela est nécessaire et salutaire. Cela me renvoie particulièrement au contexte de la pandémie. Cette double lecture de l’expression a pu encourager le pouvoir politique à des injonctions contradictoires. Il y a eu des décisions clairement mues par des intérêts privés, au service de la machine économique ; et d’autres, liberticides et absurdes, dont l’objet était d’affirmer un semblant d’autorité et de contrôle, pour rester maître du récit médiatique. Mais je m’égare un peu.
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La gestion française du coronavirus avec les diverses restrictions qui ont été appliquées a exacerbé certaines caractéristiques déjà présentes dans la gestion de l’espace public. Le rapport au parcours urbain a été réduit à sa frange la plus fonctionnaliste et consumériste. C’était problématique puisque, c’est exactement ce contre quoi on lutte quand on intervient dans la ville. On vise à initier à travers la découverte fortuite des œuvres urbaines une approche aventureuse motive des usages poétiques et politiques de l’espace – là où les législations visent à les circonscrire donc à les limiter. Pour l’instant, je sais pas trop ce que ça a transformé dans ma pratique parce que le confinement a coïncidé avec le moment où je finalisais ma thèse, et que j’étais de toute façon toute la journée devant l’ordinateur. Et puis, comme j’agis déjà sans autorisation, le fait de devoir enfreindre certaines règles pour ménager des espaces-temps de pratique fait partie de mes habitudes. Je pense que ce qui a été pernicieux, c’est comment les règles imposées de manière temporaire ont permis une forme de surpénalisation des personnes qui n’avaient pas le choix que d’être dehors, parce qu’elles étaient dans des situations précaires. La violence systémique de l’État, lisible dans son désengagement social et dans les inégalités qui en découlent a été surlignée de manière kafkaienne – on se souviendra de ces personnes sans domicile fixe qui se sont faites verbaliser à de multiples reprise parce qu’elle ne pouvait pas reste chez elles par définition.

Garance Dor & Vincent Menu

GD : Un réseau assez proche et qui est en même temps complémentaire. Ce qui fait qu’on réfléchit ensemble à l’invitation des artistes et qu’on tient la revue réellement à deux dans un partenariat très étroit. Après, le pourquoi éditer des partitions c’est encore autre chose, mais je ne sais pas si c’était votre question…
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VM : Oui, je vois plus ça comme ça, c’est vrai. Après peut-être qu’il y a communauté justement parce que la revue existe en tant qu’édition, mais qu’il y a des temps où on l’active. Et là ça peut faire communauté.
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GD : En tout cas c’est pas un collectif, puisqu’on fonctionne avec des invitations donc les uns et les autres ne se choisissent pas entre eux : d’ailleurs la plupart ne se rencontrent pas avant la publication. Le moment un peu fédérateur et de communauté c’est ce moment des activations qui ont lieu après la publication où on déploie la revue de manière performative avec les artistes dans des temps publics, dans des théâtres, dans des centres chorégraphiques, dans différents espaces. Là effectivement il y a une rencontre : entre les artistes et avec le public. Et là peut-être que c’est un temps de communauté.
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Mais on ne fait jamais d’appel public, à candidature pour la revue, c’est toujours le fruit d’invitation sauf quand quelqu’un de temps en temps nous propose spontanément quelque chose. En général on les a accueillis avec joie puisqu’il y avait un réel désir de leur part et l’idée c’est pas de se transformer non plus en curateur ou en programmateur, donc on est très attentifs à accueillir aussi les propositions.
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GD : Puisque c’est un objet qui est vraiment terminé à la main… Puisqu’il y a certaines choses que l’on est obligé de faire manuellement, par exemple dans le numéro 3, la proposition de Jacques Jouet il fallait insérer les textes dans les enveloppes. Il y avait certaines choses à agrafer, plier, et enfin rentrer chaque fascicule dans la pochette : c’est un travail manuel qui prend du temps.
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CD : Oui, c’est marrant parce que la première fois que j’ai eu la revue dans les mains elle était complètement ouverte et déballée. J’ai dû regarder les images sur le site pour tout remettre dans le sens inverse. J’ai une dernière question, combien de temps dure la fabrication d’un numéro ? Est-ce que c’est changeant, fixe ?
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VM : C’est changeant. Entre le moment de la première invitation : le temps que les artistes nous fassent les propositions.
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VM : Ensuite on reçoit les propositions et à partir du moment de la réception des propositions, le temps de mettre en forme, d’imprimer c’est de l’ordre de deux mois. Pour le numéro 4 ça s’est un peu allongé parce que l’on attend une réponse de subvention et avec le contexte actuel c’est assez compliqué d’organiser des choses donc on a préféré différer.
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GD : Oui, c’est deux mois extrêmement pleins et comme ce n’est pas une activité économique, rentable, ça ne peut pas vraiment prendre plus de temps. Il faut bien qu’on condense ce temps-là au maximum, ça ne peut pas prendre tout l’espace, tout le temps. Malgré tout, il y a beaucoup d’autres temps de travail : Vincent parlait du temps de travail de réception des propositions, du dialogue avec les artistes et de mise en forme graphique, puis l’impression et finalement l’assemblage. Mais il y a aussi tout le travail de diffusion, et de recherches de partenaires qui est très chronophage, puisque la revue on la diffuse sur notre site et on l’envoie par la poste : il y a un système d’achat sur le site. Mais on essaie également de la diffuser en librairie et on a pas de diffuseur pour ça donc on est artistes-colporteurs avec notre revue sous le bras pour aller déposer la revue et intéresser des lieux. Et ça, ça prend beaucoup de temps, mais c’est essentiel en même temps pour la question de la diffusion. Il n’y a pas de partitions sans édition de partitions : sinon comment est-ce qu’elles voyagent ? Comment est-ce qu’elles se transmettent ? Mais l’édition nécessite la diffusion, et pour nous, c’est très important que la revue ne reste pas dans les cartons, mais qu’elle vive sa vie, qu’elle voyage.
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CD : Très bien, je vous remercie beaucoup pour votre temps. Je vais retranscrire et je vous tiendrai au courant de notre avancée par rapport à la Biennale, si vous le voulez.

Élise Gay & Kevin Donnot (E+K)

KD : C’est une logique d’agencement et de combinatoire. L’idée, c’est d’associer des petits outils qui effectuent des tâches minimales, ou de développer de tout petits outils, à l’instar de ce petit système de gestion de contenu. Puis de brancher les choses ensemble pour arriver à un résultat particulier. Pour Coder le Monde, le fait d’avoir balisé l’ensemble du contenu permet de faire des références entre toutes les différentes itérations, les différentes occurrences d’un même terme. Le livre s’ouvre donc sur 48 pages d’index qui viennent donner les récurrences des pages. Il y a un index des noms, un index des noms d’œuvres il y a un index des langages. Il nous paraissait intéressant à lire en tant que tel, c’est intéressant de rapprocher « Farah Atassi » de « Jean-Sébastien Bach » [...] cela créé une espèce de générique qui fait sens et en même temps avec les références de pages, cela produit une sorte de visualisation de données des nombres d’occurrences.
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KD : Il fallait que ce soit flexible, pour effectuer des corrections pas dans l’idée de mettre le livre à jour dans un second temps : parce que la technique d’impression est en offset et est tiré à deux ou trois milles exemplaires, donc nous n’allons pas en faire une mise à jour.
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EG : Donc toutes les corrections qui ont été faite sur InDesign dans un dernier temps, en correction sur maquette, ne sont pas dans les documents Word envoyés à la base.
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KD : Oui, cela a posé de très grosse contrainte de temps de calcul, c’est-à-dire que concrètement nous avons dû faire apprendre à un réseau de neurones, depuis un modèle de réseau développé à l’université de Toronto, il y a 5-6 ans. Nous avions le jeu de données brutes mais nous n’avions pas le modèle appris. Pour faire apprendre le modèle, cela représentait un mois de calcul sur nos ordinateurs.
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KD : Il faut jouer avec, en même temps le rôle du designer se transforme et revient plutôt à choisir des formes que la machine à produire. Nous ne produisons pas nous même, nous faisons produire avec un certain nombre d’itérations, généralement grand, et nous venons après choisir déterminer voir retouché à certain moment, pour avoir la forme qui nous convient. Nous déléguons la partie de production, nous devenons des commissaires.
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KD : Il est clair que c’est contradictoire, mais en même temps cela répond à une économie : avec Back Office, rien que le travail sur les contenus nous prend un temps complètement fou, si nous devions repenser à chaque fois la maquette nous ne pourrions pas produire dans les temps.
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Nous avions identifié ce problème assez tôt, nous voulions un truc qui ne soit pas spécifique, et c’est un peu contradictoire avec ce que nous disons. Mais en même temps c’est aussi une réalité pour sortir le numéro. Quand nous arrivons à le sortir en un an et demi, nous sommes déjà contents. S’il y avait à imaginer des mises en forme qui soit singulières à chaque fois... et en plus nous n’avons pas de recul : nous avons une casquette d’éditeur, une casquette de rédacteur en chef, de graphiste. C’est compliqué d’avoir du recul sur un numéro lorsque nous
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nous conservons les mises jours : tout change tout le temps et donc comment est-ce que nous nous arrêtons ? Comment est-ce que nous gardons en mémoire un état ?

Julie Blanc & Quentin Juhel

QJ : Ce sont des scripts qui vont permettre d’interpréter d’autres langages qui ne sont pas connus ou implémentés dans le navigateur de base. Par exemple le polyfill dont nous parlions, était des CSS regions : donc des spécifiés CSS écrites pour pouvoir faire de la mise en page assez dynamique, en ayant une vraie mise en page liquide. Il n’a pas été implémenté très longtemps dans le navigateur. Ainsi des personnes ont créé des scripts en JavaScript pour interpréter ces règles de styles CSS, pour faire en sorte de faire comme si l’on faisait du CSS regions dans le navigateur.
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JB : La problématique du web, c’est que c’est un flux, mais lorsque nous mettons en page nous avons besoin de découper ce flux de textes, en bloc pour en faire des pages. Cette fonctionnalité n’existe pas dans le web, le CSS regions c’est une proposition pour faire ça. Mais comme l’indique Quentin, cela a seulement été implémenté pendant un laps de temps très court – peut-être moins de 3 ans sur Chrome, dans le moteur de rendu Webkit. Alors c’est assez rare, d’habitude tout ce qui est implémenté sur le web, n’est jamais détruit – pour le coup c’est vraiment un contre-exemple. Donc, quelqu’un a mis en ligne un script qui simule cette fonctionnalité.
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Heureusement qu’il y avait un format imposé, compte tenu du peu de temps que nous avions pour produire l’objet.
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Je passe plus de temps à produire des bouts de code, à récupérer des librairies, à tester des outils pas forcément conçus pour faire du graphisme, pour chercher des formes graphiques et trouver de nouvelle façon de faire. Plus dans l’expérimentation, même si je n’aime pas le terme « expérimentation » car il exclut une application professionnelle. Il y a un très beau texte d’OSP qui résume cette idée : qui s’appelle « la caravane » disponible sur f-u-t-u-r-e.
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Cela fait longtemps que l’on parle à différents endroits de la production imprimée avec les technologies du web. Quentin te parlait d’OSP, ils avaient produit leur propre outil, qui avait certaines contraintes, notamment l’usage d’un ancien navigateur pour la gestion du CSS Regions. Il existait plein de petits outils pas très stables ou inversement des gros outils propriétaires – comme Prince ou easy Print.
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Le CSS est construit sur des spécifications données par le W3C – un organisme qui structure les implémentations des langages du web, il publie le document de travail, car le CSS évolue tout le temps. Le document présente les spécifications des médias CSS print ou CSS pour médias paginés, qui ne sont pas encore implémentées dans les navigateurs web. L’idée de Page js est de produire un polyfill, pour ces spécifications de CSS print. Paged.js a donc pour but de pallier les manques des navigateurs, ainsi au fur et à mesure que les navigateurs implémenteront ces spécifications CSS print, Paged.js disparaîtra.
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Quand tu es sur Paged.js et que tu parles à plusieurs communautés en même temps faut faire attention, cela peut être repris par PrePostPrint ou Quentin qui expérimente avec et qui pousse le graphisme plus loin. Mais cela peut aussi être repris par des gens qui l’utilisent juste pour ne pas payer un graphiste, et automatiser le design.

Rencontre avec Denis Tricard

YMN : Et du coup les affichettes seraient arrivées en même temps ? Enfin dès le début du journal ?
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DT : D’accord, écoutez, moi je suis le seul à les relire le soir, j’ai des heures de boulot derrière moi et parfois il y a quelques erreurs, et j’en ai fait passer une d’ailleurs, apparemment, il y a deux jours… De toute façon, ce sont des choses qui arrivent ! Le journal se compose d’une édition différente d’une commune à une autre. Et pour nous le but des affichettes c’est de mettre en avant un événement local pour pousser à la vente, par exemple si il y a un accident mortel quelque part on sait que ça va apparaître sur les affichettes, car les gens vont se demander par « amplification » : est-ce que c’est quelqu’un du village, quelqu’un que je connais ? et ils vont acheter le journal. Par exemple la dernière fois, il y a eu une émeute à Sainte-Marie-aux-Mines, des échauffourées entre deux communautés de gens du voyage. Les flics sont arrivés, il y avait deux cents flics dans le village, tard le soir à partir de 19 h et moi j’ai fait l’affichette là-dessus pour le village parce que je me suis dit : ça va vendre. Bon, le journal il est acheté par des personnes plus âgées, sur le web c’est une autre logique, mais l’affichette ça peut marcher. On s’aperçoit que quand on a un fait divers, ça vend plus, l’affichette elle sert à susciter de la vente. Je vous cite l’exemple du sommet de L’OTAN à Strasbourg en 2009, je crois qu’on a vendu dix milles journaux de plus, ce qui est quand même énorme. Mais ça ne marche pas tout le temps, d’abord les dépositaires… parfois, il y a des affichettes qui datent d’il y a un mois, parce que le buraliste ne l’a pas changé, et ce n’est plus du tout dans l’actu… C’est assez marginal maintenant on les fait encore mais jusqu’à quand, je ne sais pas.
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YMN : Et ça fait combien de temps que vous avez ce système ?
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YMN : Vous les gardez combien de temps ? Parce que les journaux sont archivés, eux.

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