Mot-clé : typographie

Camille Bondon

CB : C’était aussi une contrainte, il y avait des fois je ne notais pas mes journées durant trois jours, et ensuite j’oubliais. Ça devenait aussi des choses qui étaient pénibles. Mais c’est ça qui est paradoxal avec les contraintes, à la fois ça t’ennuie, mais ça fabrique quelque chose. Et même si c’est contraignant, je pense que tu continues à suivre un protocole parce que à un moment, à un endroit particulier, ça doit t’intéresser. Je crois que les protocoles ce sont des prétextes, c’est juste une manière de prendre des décisions à un moment donné et d’y aller. Par exemple, j’utilise la Futura parce qu’un jour, j’ai décidé que la Futura c’était chouette comme typographie, et c’est une manière de ne plus décider de typographie. Même si je me rends compte qu’à cet endroit j’aurais besoin de conseils sur les typos. Finalement les protocoles sont là comme règles du jeu, mais ce qui compte c’est de jouer. Il y a des règles, et là le fait que tu ne suives pas ta règle, fait que tu es en train de fabriquer de la forme. À mon avis ton journal est plus intéressant parce qu’il y a des vides, ce qui correspond à la vie aussi. Tu as d’autres choses qui se sont passées, tu as du hors-champ, et le hors-champ est visible parce que justement tu as des trous du coup, et nous on complète. C’est aussi un espace de projection, ces trous dans ton journal. En tout cas pour moi ce sont des lieux où nous en tant que lectrices on a l’espace pour rentrer. Ce sont des lieux d’accueil, c’est un peu comme un paillasson, un espace d’entre.
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CB : Moi j’ai voulu uniquement des agendas de l’année 2017, enfin d’une année en particulier, parce que j’étais intéressée par ces histoires de choses communes. C’est-à-dire que cette année-là, c’est notre axe central, et nous on l’a toutes vu depuis notre point de vue. Au début, pour la forme de La mesure du temps, j’imaginais dire une date et regarder dans tous les agendas ce qui s’était passé à ce moment. Notamment je voyais une date qui revenait beaucoup, c’était les élections présidentielles, de voir « élections », « voter », « premier tour », comment les gens notaient cette chose qui était la même pour tout le monde, mais chacune n’avait pas la même manière de le dire. Une autre date qui revenait aussi c’était mon anniversaire, parce que j’ai fait une grosse fête pour mes trente ans, et mes amis l’ont marqué avec plein de cœurs, plein de petits schémas, et je trouvais que c’était chouette aussi d’avoir cette entrée-là. Mais je me suis rendue compte que c’était trop artificiel de prendre ces dates communes, elles m’empêchaient de parler de tout un tas de trucs géniaux qui se passaient ailleurs. Un autre montage que j’avais envisagé, c’était de parcourir un an, en faisant une semaine chez quelqu’un, puis une semaine chez quelqu’un d’autre, de faire une sorte de zapping. Mais pareil, c’était justement une règle, qui arrivait, qui était parachutée. Et finalement le fait d’en parler avec d’autres « ohh attend j’ai reçu un truc génial cette semaine, regarde il utilise des smiley bières qui trinquent pour dire que c’est les vacances dans son agenda ». Finalement cette écriture là du cœur plutôt qu’une écriture de la tête dans La mesure du temps, c’est celle qui m’a semblé la plus juste. Mais pour en revenir à ton agenda, le fait de ne pas écrire, je trouve que c’est très bien aussi. Il y a une espèce de flou, où on se sait pas quel mois c’est... Ce flou là, le fait de retirer de l’information c’est bien. Enfin c’est quelque chose que tu as fait intuitivement et ce n’est pas anodin. À toi de décider si tu le gardes ou pas. Quand tu écris « Océane entre parenthèses m’a dit que trois petits points », là tu as aussi la question de la parole rapportée. Comment dans ton journal, tu convoques des paroles d’autres personnes ? Et tu as les prénoms, j’aime bien les prénoms parce que ça peuple. Tu pourrais avoir « O. », tu pourrais avoir une autre typographie, ça pourrait être aussi juste « Océane, les suffragettes... » enfin c’est à toi de décider. Tu es un peu à la frontière d’une pièce de théâtre, tu as plusieurs niveaux de lecture, des didascalies, et c’est vachement intéressant entre ce qui est écrit et ce que tu vas dire, par exemple est-ce que tu dis « J » pour dire « jeudi », ou est-ce que tu dis « jeudi » ? C’est la marge entre la partition, ton texte et son interprétation. Par exemple « samedi j’ai fait un rêve en forme de visioconférence », tu as mis des parenthèses, pour moi cela veut dire que c’est dans un registre plus intime, donc tu le mets entre parenthèses un peu pour le protéger. Je me demande comment tu l’as notifié dans la version lue à voix haute ?

Élise Gay & Kevin Donnot (E+K)

Nous avions choisi ce caractère qui s’appelle Cardinal édité par Production Type, car il est présenté comme une espèce d’androïd du Garamond, une typographie trop parfaite pour être dessinée par un humain, et cette ambiguïté nous plaisait bien.

Garance Dor & Vincent Menu

VM : J’ai optimisé son intention, j’ai remis en page avec la typographie qu’on utilise dans Véhicule, avec nos outils, typographiques, etc. Ensuite on a cette grande planche ou on essaie de trouver des formes : parce qu’on a des textes qui arrivent totalement bruts, généralement c’est plutôt ça. Donc il faut jouer un peu avec tout ça.

Mathieu Tremblin

MT : Oui, il y a un rapport certain. Une des influences que je n’ai pas cité, mais qui est assez exemplaire sur ce rapport entre espace en ligne et espace urbain, c’est François Chastanet et son site web Les partisans du moindre effort depuis 2003. Il proposait des affiches et des éditions en téléchargement à imprimer en A4 sur son imprimante de bureau. Il le faisait dans une perspective expérimentale, en créant un trait d’union entre l’architecture, la typographie et le graphisme. De mon côté, je n’avais pas les moyens de faire des tirages professionnels et je ne voulais pas fabriquer mes affiches à la main. Comme beaucoup de gens, l’idée d’utiliser des tirages A4 ou A3 en mosaïque pour les coller dans la rue s’est imposée. Je trouvais cela juste un peu idiot d’imprimer des formats pour ensuite couper les marges techniques, afin de les ré-assembler et feindre un format A2, A1 ou A0 alors que l’on pouvait directement faire des tirages au traceur à ces formats. J’ai donc réfléchi à la manière dont je pourrais partir des contraintes propres à la reprographie pour définir la forme des publications à diffuser sur Éditions Carton-Pâte. De sorte que toutes les éditions qui sont sur le site puissent être téléchargées et imprimées depuis le site par n’importe qui chez le reprographe du coin en utilisant les grammages et types de papier les plus communs.

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