Mot-clé : zine

Marcia Burnier & Nelly

Marcia et Nelly se sont rencontrées via une communauté militante queer-féministe. D’ici, elles décident de se retrouver le temps d’une journée pour donner corps aux textes qu’elles publient sur leurs Tumblr respectifs. Inspirées par la sous-culture punk-féministe américaine Riot Grrrl, et proches du spoken word [^Formes expérimentales d’oralisation d’un texte qui passe par différentes méthodes liées aux gestes, aux expressions corporelles et vocales. Cette forme est surtout popularisée dans les années 60 au sein des communautés noires américaines.] elle choisissent le zine comme espace de parole personnelle et de récits non-fictionnels. Armées de scotch pailleté, de ciseaux et inspirées par leurs collections d’images, elles dessinent une collection de 15 zines en se ré-appropriant écriture et création artistique.
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CD : Ok, ça marche. Donc l’idée c’était que… On travaille sur une biennale qui s’appelle Exemplaires et qui a lieu à Toulouse à l’automne 2021. Donc c’est une biennale qui porte sur les exemplaires et sur l’objet imprimé contemporain et nous, on a choisi d’orienter nos réflexions sur l’ici et maintenant, donc au vu du contexte actuel, ça faisait assez sens, et on a surtout choisi votre zine pour des questions qui portent sur l’urgence, le lien à la communauté, le peer to peer, la diffusion dans des espaces spécifiques et locaux. Voilà, donc c’est des questions que je vais ré-aborder dans ce que j’ai préparé pour vous. Mais j’aimerais aussi, peut être avoir plus d’informations sur le moment où vous vous êtes rencontrées. Qui est dans le… le collectif le Gang ? C’est ça ? L’association, collectif ?
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MB : Non mais en gros, le 8 mars pour toutes, c’était un collectif féministe, à Paris. Moi j’y était depuis un petit moment, ensuite, Nelly nous a rejoint, puis le collectif s’est dissous. Et avec une partie des personnes qui restaient, on a recréé le Gang, qui était un collectif. Mais en fait ça n’a pas tant à voir avec le zine, c’est vraiment des choses différentes, il se trouve que, plus ou moins en même temps, avec Nelly on se rapprochait sur des questions de… littéraires. Et on a eu envie de créer ce zine. Mais ce n’était pas tant lié au Gang. Il se trouve qu’on se connaissait via le 8 mars pour toutes quoi.
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CD : Ça m’intéressait de savoir exactement quel était le contexte de votre rencontre qui a pu ensuite mener au zine mais c’est… ok ! Est-ce qu’il y a peut-être quelque chose en particulier qui a lancé l’idée du zine ou alors… Comment, est-ce qu’en dehors de vos…
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N : Alors, moi c’était le premier texte que j’écrivais depuis assez longtemps, parce que pour moi, la pratique de l’écriture c’est quelque chose que je fais depuis longtemps mais j’avais vraiment eu un moment où je m’en étais un peu éloignée. Du coup, j’avais publié ce texte sur //euh bah voilà// c’est un peu intime, mais c’est à l’image du zine, et c’était sur la pratique de la scarification, enfin les pratiques, un peu, de se faire mal quoi. Et… ce n’était pas que ça, mais c’était en partie sur ça. Du coup, je l’avais publié sans trop savoir quoi en faire. J’avais envie de le rendre public et j’avais envie de pouvoir commencer un peu des discussions là-dessus, et je l’avais publié sur le tumblr que j’avais à l’époque et Marcia ensuite m’a écrit des messages, voilà !
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MB : Y’avait un côté où, tu sais on se disait, je crois que si je… J’essaye de ne pas refaire l’histoire, mais il me semble que la chronologie c’est qu’il y a ça qui se passe à ce moment-là : Il y a le bouquin tiré de la thèse de Manon Labry qui sort, Riot Grrrls [^Ouvrage de Manon Labry, retraçant l’histoire du mouvement nord américain Riot Grrrl. Il est paru en 2016 aux Éditions La Découverte.], qui est sur l’histoire des Riot Grrrls. Ça parle pas mal de la pratique du zine, et je pense qu’il y a, à un moment donné, un truc où on se… en tout cas j’avais l’impression que c’était peut-être, je mets un peu la charrue avant les bœufs, mais j’avais l’impression qu’on s’était dit ça Nelly, c’était que c’est cool de publier sur Tumblr, mais à un moment donné, t’as aussi envie de créer un objet qui se diffuse en fait et qui permet de mettre en regards des textes différents. Et voilà, je crois qu’il y avait vraiment cette idée-là quoi, ce n’était pas juste « il se trouve qu’on écrit, qu’est-ce qu’on en fait ? », c’était aussi, « créons quelque chose », tu vois ? C’était assez cool on n’avait jamais fait ça avec Nelly, ni l’une ni l’autre, on avait regardé des tutos sur internet, mais il y avait aussi une question de faire un objet ensemble, de ces textes-là, et de les mettre en valeur.
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CD : Mais d’ailleurs, vous aviez envie créer quelque part un espace de parole, de partage au sein d’un objet particulier ? Comment est-ce que vous avez mis ça en place ? Est-ce que vous aviez envie de laisser le zine, uniquement entre vous deux, ou alors d’ouvrir les contributions ou alors est-ce que ça s’est fait progressivement ? Comment est-ce que vous avez créé des liens avec les personnes que vous vouliez contacter ? Euh voilà, tout ça.
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MB : À mon avis, on a fait ça et on demande à ce moment-là. En fait, il se trouve que Nelly et moi on est, on a des gens autour de nous dont on sait qu’ils écrivent, notamment Sandra Calderan [^Sandra Calderan est une artiste, autrice, comédienne, féministe française qui s’exprime son engagement politique et artistique par la danse et la poésie notamment.], qui est… Qui fait du théâtre et qui est autrice, et à ce moment-là… Je pense qu’il n’y a qu’à elle. On lui propose à ELLE de mettre un texte dans le premier zine, en lui disant un peu « écoute on fait un zine à l’arrache, est-ce que tu veux être dedans ? » et elle dit « bien sûr » et elle nous envoie les textes.
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CD : Non, comment est-ce que vous vous réunissiez ? Est-ce que vous aviez défini des espaces en particulier ou alors est-ce que c’était par biais numérique ? Comment est-ce que vous mettiez en place les sessions pour la création du zine entre vous ? Quels objets est-ce vous réunissiez, est ce que vous vous serviez aussi du contenu Tumblr que vous aviez ? Euh… est-ce que les deux sont un peu perméables ?
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MB : C’était quand même très… On faisait la couv’ dans la même journée. C’est à dire que moi j’avais un appareil photo et on se disait « vas-y on fait vite fait comme ça ». Enfin, on a beaucoup moins réfléchi je pense au début, que ce qu’on peut imaginer. C’est à dire que même le premier numéro n’était pas censé être le début d’une série. Vraiment la seule raison, enfin la raison pour laquelle on l’a fait aussi rapidement, c’est qu’en fait moi j’avais dit à une meuf que je draguais que je faisais un zine, et après j’ai envoyé un message à Nelly en lui disant « il faut qu’on en fasse un, parce que… parce que j’ai dit qu’on l’avait fait » //ahahahah//
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CD : Oui, j’imagine bien ! Ok, et j’avais vu aussi que vous étiez beaucoup inspirées par… Lola Lafon [^Autrice, chanteuse, compositrice, féministe française.] et Dorothy Allison [^Autrice lesbienne féministe américaine.], est-ce qu’il y a aussi d’autres autrices, auteurs, que… qui vous inspirent ou d’autres zines… Que vous avez en référence, auxquels vous avez pensé qui vous ont quelque part inspirés ? Pour la suite en fait, pour les autres exemplaires qui ont suivi le premier du coup.
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MB : Oui c’est vrai !! //ahahahah// J’étais très, très amoureuse, ouais ! Et de fait, elle parle, je crois, dans Valencia de ces moments où elle fait des zines !
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MB : Donc, ouais… je crois que ça c’est un truc. Moi j’ai découvert après toi Nelly. Tu m’as pas mal fait découvrir des zines ensuite. Mais moi c’est plutôt venu après, une fois qu’on s’est lancées, je me suis un peu intéressée et du coup maintenant j’ai une énorme zinothèque parce que j’ai développé une passion pour ça. Mais, c’est venu plutôt après et c’est vrai que j’avais l’impression que toi Nelly t’avais une bonne connaissance de ça, quoi !
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CD : Ouais, c’est pour ça que vous vouliez rester dans quelque chose de très « fait main » justement pour pouvoir sortir quelque chose qui, qui était assez ancré dans le réel, et puis aussi accessible au plus grand nombre quoi. Et hum… Concernant la diffusion du zine, il me semble que vous avez participé à plusieurs fair c’est ça ? Est-ce que vous les avez diffusés aussi dans… des milieux spécifiques, enfin… Est-ce que vous avez un peu ciblé des endroits ? Ou comment ça s’est fait ? Progressivement aussi, parce que j’imagine que le premier exemplaire n’a pas été diffusé de la même manière que les suivants et ainsi de suite. En dehors de la page Facebook bien sûr ?
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MB : Mais en fait de manière assez étrange, le premier est celui qui a été le plus diffusé, il me semble. Parce qu’on n’était pas très… Enfin si, c’était une forme d’organisation. Mais le truc c’est qu’on n’a pas arrêté d’imprimer les premiers numéros, pour ensuite diffuser les suivants à chaque fois. C’est juste que ça nous faisait beaucoup de boulot. En fait la diffusion ça dépendait beaucoup, d’où est-ce qu’on pouvait imprimer. Donc, nous ce qui était important c’était que le zine, on l’a toujours fait à prix libre. À part ensuite quand il a été diffusé en librairie, parce que là tu ne peux pas faire de prix libre. Et sur Etsy. Mais sinon, on le faisait en prix libre et donc il fallait réduire les coûts le plus possible et donc on a d’abord beaucoup utilisé les imprimantes à droite, à gauche, des potes quoi, ou au boulot ! Enfin c’était vraiment… on a fait beaucoup comme ça. Et ensuite on a… je sais pas si on a ciblé, mais on a diffusé le plus qu’on pouvait. On a été voir des librairies, Etsy on l’a fait assez tardivement, mais c’était cool. Qu’est-ce qu’on a fait ? Ouais, les zine fair quand on nous proposait, on les faisait.
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CD : Ok. Et… au niveau de la prise de parole et de l’espace que vous vouliez créer, il y a des messages qui ont un peu marqué genre, le début un peu, de la création du zine, par le contexte… Mais qu’est-ce que vous vouliez transmettre comme message premier ? En gros au travers du zine. Dans quel… Quelles sont vos positions politiques quelque part, et quelles étaient vos positions politiques ?
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N : Ouais c’est ça ! Ouais, ouais, moi j’ai l’impression que en fait, du fait qu’on s’est rencontrées et qu’on a créé ce zine, dans un truc en fait où on était plutôt sur des positions politiques similaires et qu’on le savait en fait, ça fait qu’il y a plein de choses qu’on n’a pas vraiment formalisé. On s’est pas dit « Ah en fait, ouais ». Mais que finalement ça a coulé de source que voilà, par exemple, enfin clairement on créait cet espace parce qu’on avait envie de donner la parole aux meufs et aux queer et pas aux mecs cis //ahah// Et que voilà, comme tu dis, on avait envie que ce soit plus de l’intime et du perso, et on voulait quelque chose qu’on ne voyait pas ailleurs. Ou qu’on voyait peu.
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MB : Oui je crois qu’il y a un enjeu très fort sur, quels textes ont le droit de cité en fait, dans l’espace public. Même dans l’espace des zines, je me rappelle qu’on avait essayé de les mettre sur infokiosque et qu’ils nous avaient refusées. Et, je ne pense pas spécialement pour le contenu, mais enfin eux ils disaient : « c’est pas trop… ». Ils ne comprenaient pas trop ce que c’était. « C’est quoi ? C’est un zine littéraire ? Mais pourquoi il y a plusieurs numéros ? C’est pas une brochure ? ». Enfin voilà, et c’est vrai que comme ce que Nelly disait tout à l’heure, c’est vraiment la question des influences états-uniennes voire anglo-saxonnes, enfin un peu plus large, sur le spoken word il y avait vraiment cette question : en France, on a du mal à valoriser les contenus intimes. Moi souvent, je me rends compte que comme les textes ne sont pas de la fiction, il y a très, très peu de fiction qui a été publiée. Je crois qu’on s’est essayées toutes les 2 une fois, mais c’est tout. C’est comment tu qualifies des textes qui sont littéraires, mais qui parlent de choses vécues ? Et en fait, dans plein de pays, ils parlent de non-fiction et ils ont aucun souci à considérer que c’est de la littérature. Et moi j’avais l’impression que nous on était très attachées à ça. À dire que, tout le monde a des choses à dire sur son expérience de personnes minorisée pour un certain nombre d’oppressions et que c’est important qu’on entende ces voix-là. Et qu’on ne le relègue pas uniquement dans la catégorie du témoignage, qu’on considère que c’est une question littéraire, que par ailleurs, ça a de la valeur dans un zine littéraire, et que les gens ont envie de l’écrire. Après, nous on faisait pratiquement 0 sélection au cours des 16 numéros. On l’a peut-être fait une ou 2 fois quand c’est… Quand ça rentrait vraiment pas du tout. Mais sinon, à priori on a toujours pris un peu ce que on nous envoyait, et on ne faisait pas non plus beaucoup de modifs. À moins que les gens nous le demande, mais il y avait un peu un côté : cet espace c’est aussi le vôtre quoi.
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CD : Ok. Et vous vous réunissiez avec les personnes qui contribuaient au zine ou alors c’était juste des appels à contribution à distance, et vous vous mettiez en page ensuite ?
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N : Non, non, mais je suis assez d’accord avec ce que tu allais dire, enfin je ne sais pas ce que t’allais dire. Enfin, déjà comme disait Marcia tout à l’heure, au début, on avait des envies, mais alors on savait pas du tout que ça allait nous emmener jusque-là et donc on a commencé par, comment dire ? Les personnes qui participaient, c’était des personnes qu’on connaissait plutôt personnellement avec qui on était en contact. Du coup, pas tant des appels à textes. Je te faisais lire des textes déjà existants généralement comme nous, qui avaient soif en fait de cet espace, pour publier leurs textes et du coup… voilà. Jusqu’au moment où vraiment ça a pris de l’ampleur et où là des personnes qu’on ne connaissait pas nous ont contacté, parce qu’on laissait toujours l’adresse mail sur les zines. Du coup, il y avait ce truc où les gens, spontanément nous écrivaient aussi pour envoyer leur contribution. Et à un moment donné… je ne sais pas si je rate des étapes donc peut être que tu rajouteras Marcia ! Mais j’ai l’impression que du coup il y a eu ce moment où les personnes venaient contribuer spontanément etc. et qu’il y a eu un moment aussi où on s’est posé la question du thème parce qu’on commençait à faire vraiment pas mal de numéros. Et qu’on s’est dit « OK, peut-être qu’on a aussi envie de NOUS décider, qu’est-ce que… ’fin voilà que de faire des… d’avoir des fils un peu, comme ça à suivre ». Là on a commencé officiellement aussi à lancer des appels à textes. Voilà, c’était un peu plus dirigé, quoi.
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CD : Et quelle réception il y a eu, par exemple, dans les librairies ? Et comment est-ce que vous avez réussi à les diffuser à prix libre en librairie, ou… Comment est-ce que ça s’est organisé ? Parce que j’imagine que l’argent que vous receviez après vous permettait de financer la suite des numéros… non ? Comment d’un point de vue… Ouais comment de ce point de vue-là est-ce que ça s’est organisé ? Tant vis-à-vis d’un endroit comme la librairie qui est un peu plus institutionnel, finalement, comment est-ce que vous avez réussi à gérer ça et par rapport à ce que tu disais aussi Marcia, sur le fait qu’il n’y a pas d’espace pour cette parole-là, alors dans une librairie quelle place trouve le zine et comment est-ce que ça a été reçu par les libraires ?
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MB : Et c’est vrai que ça a démarré avec de l’impression sauvage et c’est un peu le principe du zine, hein. Je veux dire, pour moi. Après Nelly, toi je ne sais pas ce que t’en penses, mais moi j’ai été assez attachée à l’idée qu’un zine, ce n’est pas un magazine. Il n’y a pas de modèle financier derrière, il n’y a pas de ouais, j’sais pas, de business plan, ou un truc comme ça. Donc nous on a fait des impressions sauvages et puis on l’a fait à 2€ parce qu’il fallait que ça soit quand même accessible, sinon c’était prix libre. Et en vrai, non on n’a jamais… Ça a dû au début, un peu remboursé les cartouches d’encre et peut être un peu tes allers-retours en Ouigo depuis Marseille. J’ai l’impression qu’on a réussi à les financer à un moment donné, mais je veux dire, imprimer un livre de 40 pages en couleur ce n’est pas possible de financer ça avec du prix libre. //ahah//
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Bon et après il y a eu 2 trucs : Je dirais qu’il y a eu certes, le fait qu’on a moins réussi à trouver des gens qui nous les imprimait donc il a fallu payer des fournitures. Mais aussi que je trouvais que dans la question d’une production artistique, de parler uniquement de coût de revient, combien ça te coûte les fournitures pour estimer ton travail, en fait c’est un peu biaisé, et ça nous prenait beaucoup de temps. Je ne sais pas, moi, j’ai eu l’impression Nelly, qu’on a eu pas mal ces conversations-là, au bout d’un moment. Que quand même bah ce temps-là, on ne le comptait jamais comme une dépense, ou comme un travail qui pourrait être compensé, même pas rémunéré mais juste compensé. Parce que j’ai le souvenir d’une fois une de nos premières zine fair, on avait dû faire 50 € on était limite… on avait l’impression qu’on ne méritait pas cet argent-là. Enfin tu vois, il y eu quand même un rapport à l’argent qui a été difficile et qui a évolué dans le temps quoi.
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MB : Ouais, c’est ça, mais ça je trouve que c’est un truc qui est en fait souvent séparé de toutes les autres problématiques alors qu’en fait mettre un prix, même dans une fourchette, même avec des options plus libres, mais mettre une valeur monétaire à ton travail, ça fait aussi partie de : le prendre en compte et le valoriser. Je trouve que des fois on a du mal à se positionner entre : tout doit être gratuit et les trucs sont très chers et on est rémunérés au SMIC. Après, je ne sais pas si on l’a ressenti pareil mais moi j’ai eu des moments où je me rendais compte que je n’étais pas au clair là-dessus. Quand par exemple, je me rappelle d’un événement ou on avait mis les zines à prix libre sur une table et qu’il y avait plein de zines qui avaient été pris et qu’on avait récolté je crois, genre… Je sais pas, 2,50€. Et où je m’étais dit, mais enfin les gens se rendent compte quand même qu’on met du taf, qu’on le produit, que le papier on doit l’acheter etc. ? Et je m’étais dit putain, c’est… Ouais moi ça m’avait fait me sentir un peu saoulée, quoi. Alors que tu vois sur la base, on était en mode « non mais vas-y, on les donne gratos et tout ça ». Et ouais je me rappelle que c’était un peu le moment où je m’étais dit, ouais enfin faudrait peut-être pas non plus abuser quoi. Là, s’il y en a 15 qui sont partis et qui a 2,50€, c’est pas possible que ça soit uniquement des gens qui… Enfin, il y avait quand même un problème de valeur.
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N : Ah vas-y, je refais ! J’étais en train de dire que oui, moi j’ai l’impression aussi que le fait d’avoir été dans des zines fair, moi, y a eu ce truc, et on en avait parlé. Ça m’a fait prendre conscience qu’en fait il y a des gens qui vendent des zines à des prix… Enfin, comment dire, qu’il y avait aussi des fois des décalages de prix assez forts et que nous, là, on avait l’impression de demander TROP aux gens et quelque part, enfin, c’était aussi des choses que les gens étaient prêts à mettre et OK de mettre. Quelque part, dans cette espèce de culpabilisation par avance, y a aussi ce truc d’oublier que peut être parfois, les personnes ça leur fait plaisir de mettre de la thune dans des trucs qu’elles ont envie de lire et qu’elles ont envie de soutenir quoi. Et bon bref. C’est des discussions un peu difficiles je trouve et surtout quand on a cette espèce de posture anticapitaliste, où du coup on est là avec notre culpabilité et tout, et que ça peut, ouais, ça peut rendre les choses compliquées des fois je trouve. Voilà… Les réflexions là-dessus.
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CD : Ouais c’est ça. Et puis il y a la question de l’accessibilité aussi du coup, qui est lié au prix aussi… alors j’imagine que vous avez vous aviez envie de de diffuser le plus largement ça et justement de sortir un petit peu des revues institutionnelles où des magazines, comme vous disiez donc…
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MB : Oui ! Après je crois que nous la question c’est ça, c’était tellement évident tu vois, le zine il est disponible en accès libre sur Facebook, il est, on l’a toujours envoyé ! Les fichiers imprimables sont envoyés gratuitement à n’importe qui le demande. Et c’est dit de manière assez claire. Donc, je pense que nous, on est toujours parties sur ce principe-là. On a fait plutôt le chemin inverse, on n’est pas tellement parties d’un principe où on s’est dit bon, « comment faire pour qu’il soit accessible ? » On s’est dit, bon on va le filer à tout le monde et puis ensuite on s’est dit « bon par contre, ouais, il faut quand même… ». Enfin, c’est vraiment un cheminement inverse. Mais c’est intéressant aussi.
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MB : Il y a juste un truc, que je trouve qu’il faudrait rajouter. C’est aussi, enfin c’est peut-être, c’est bizarre, le lien que je fais, mais, j’ai l’impression que, nous l’idée ce n’était pas que notre zine soit pérenne, tu vois. On n’était pas dans un truc de : c’est notre formule et voilà, on était plutôt sur : regardez un zine c’est facile à faire, et tout le monde peut en faire et je crois qu’aussi on s’est… on a mis le zine en pause, dans un moment ou tout d’un coup il y a eu aussi plein de projets de zines qui ont commencé à sortir en France. Qui étaient plutôt… trop cools ! Moi j’ai l’impression qu’il y en a… Enfin qu’il y en a de plus en plus que c’est quelque chose dont les gens se sont emparés et du coup, c’est déjà arrivé évidemment, c’est pas la première fois que ça arrive, mais je trouve ça très chouette et je crois que c’est ça aussi la grosse différence avec un magazine où il y a une formule et t’as envie que ta formule soit justement pérenne, c’est ton but. Et que nous l’idée c’était un peu de dire mais, on n’est pas des pros et ça ne sera jamais pro et regardez, en fait tout le monde peut le faire et en fait, peut être si vous avez envie d’écrire des textes et de nous les envoyer, posez-vous d’abord la question de, est-ce que vous ne voudriez pas vous-mêmes faire un zine avec vos textes ? Enfin, je sais pas ce que tu en dit Nelly ?
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MB : Et ouais à l’écriture et à l’artistique ! Enfin je pense qu’il y a vraiment cet aspect-là qu’on oublie. Un zine c’est, enfin tu te rappelles Nelly quand je t’ai dit « vas-y on postule à cette expo collective à Toronto ? » En fait on a été prises dans une expo collective à Toronto, juste avant le covid en février 2020, et bah c’était un truc pour les artistes et y avait un peu le côté de dire « bah ouais, mais on est des artistes, vas-y c’est bon ! » Et je crois que ce rapport-là, en tout cas je dis ça parce qu’on a fait aussi des ateliers d’écriture et on a donné aussi des ateliers zines, et qu’en fait c’est aussi ça qui est aussi très présent chez les gens. C’est qu’on a l’impression que la pratique artistique est quelque chose qui est soit inaccessible, soit extrêmement compliquée, soit réservée à des gens qui sont créatifs depuis qu’ils ont 2 ans, voilà. Et moi, la première, j’étais vraiment terrorisée à l’idée, enfin, je disais tout le temps, « mais nous on ne fait pas de l’art, enfin on fait un zine, etc. », et il y a quelque chose de déculpabilisant sur ce côté-là je trouve. Quand tu fais des ateliers de fabrication de zines ou quand tu fabriques un zine et que tu montres que, bah nous, //je veux dire les séances de fabrication// on mettait du scotch et on se dit :
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On décolle, on découpe, enfin voilà c’est un truc assez décomplexé. Et je trouve qu’il y a aussi ça à transmettre quoi, de dire franchement, il n’y a pas besoin d’être une pro, de quoi que ce soit, il n’y a pas besoin d’avoir fait une école d’art pour faire des zines, ça c’est une pratique qui existe depuis longtemps et qui permet justement de faire des trucs très chouettes et comme ça n’a pas besoin d’être parfait, ça fait que n’importe qui peut le faire.
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CD : Ok, ouais. Donc c’est ça c’est sortir un petit peu du sentiment d’imposture et de déplacer l’accès à l’art et à l’écriture. Est-ce que c’était la première fois pour vous 2 où vous publiez vos textes ? Est-ce que, comme Marcia, enfin t’as écrit les orageuses [^Marcia Burnier, Les orageuses, Éditions Cambourakis, Paris, 2020.] récemment, aussi est-ce que… est-ce que c’est une suite quelque part de la création du zine ? Ou alors, est-ce qu’il y a une continuité entre tout ça ? Est-ce que ça vous a libéré sur d’autres choses aussi ? Et enfin ça a été un peu un tremplin sur d’autres, sur votre rapport aussi à vous-même peut être ? Je sais pas ? Vous voyez ce que je veux dire ?
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MB : Non, non, je pense que c’est une réponse qu’on a chacune, qui… ça va faire 2 réponses différentes là pour le coup mais, si tu veux, je peux commencer moi. C’est sûr que c’est une continuité. Moi je suis persuadée que sans le zine je n’aurais jamais écrit les orageuses, enfin il y a évidemment un processus. Je suis en train de réfléchir à ce que j’avais déjà écrit… Moi, oui je pense que j’avais déjà publié dans retard magazine des textes avant le zine j’en suis quasi sûre, puisque Nelly toi t’avais déjà lu des textes que j’avais écrit et Nelly avait déjà publié vu que moi j’avais déjà lu. Mais du coup, oui, moi c’est 3 ans où j’avais un endroit où mettre mes textes, ce qui m’a motivée à écrire. Ça m’a fait explorer la poésie, ça m’a fait prendre l’écriture au sérieux, et par ailleurs ça m’a fait explorer des textes ultras persos et ensuite j’ai eu envie de passer à la fiction, tu vois. Donc c’est sûr que c’est lié, et je veux dire c’était aussi un énorme moteur de valorisation de l’écrit, Nelly ça a été un soutien monstrueux, il y avait vraiment un truc de valorisation de soi en fait. Écrire ça peut être très solitaire, quand t’as pas une communauté ou un master ou je ne sais pas quoi autour de toi. C’est un peu toi et toi-même et là moi je suis évidemment extrêmement reconnaissante de ce soutien-là, quoi.
[…]
N : Alors moi je m’inquiète, vous me dites si vous ne m’entendez pas parce que j’ai l’impression que la connexion est de pire en pire ! Mais… oui moi je crois que… juste mon rapport à l’écriture il a été profondément transformé par ce projet, par cette expérience et par le fait de l’avoir partagé avec Marcia. En fait, juste je crois que dans ma vie je n’aurais pas passé autant de temps à écrire et à prendre au sérieux ce que j’écrivais s’il n’y avait pas eu ce projet en fait. Aussi, c’est que du coup ça a… « ça m’obligeait, tous les mois ou tous les 2 mois » ou quoi. J’avais envie de proposer quelque chose pour ce zine et j’y travaillais et j’y passait du temps et je pense que ça prenait de la place dans ma vie et ça m’a permis d’évoluer. Donc aujourd’hui, quand je regarde les textes que j’ai écrit il y a quelques années, j’ai un peu honte et en même temps je me dis bon bah ça fait partie du processus d’écriture. Et à ce moment, ’fin, quelque part, le fait de pouvoir voir l’évolution aussi c’est très chouette et après, moi par exemple, aujourd’hui, je suis restée très attachée à la forme du zine et j’ai envie de créer d’autres zines ou des choses comme ça, mais ça m’a aussi permis je crois, d’aller au… J’allais dire au bout d’un truc, c’est pas d’aller au bout d’un truc, mais d’explorer quelque chose, au point où je peux aussi en voir la limitation ce qui fait que, par exemple, moi aujourd’hui j’explore plus de l’oralité, donc peut-être des choses autour de la performance. Comme j’ai envie que ces textes-là, ils sortent juste de l’écrit et d’en faire aussi quelque chose avec mon corps, avec ce que je suis. Je pense que ça, en fait ça a aussi été permis parce qu’à un moment donné j’ai pu passer énormément de temps à écrire jusqu’au point de voir, je ne sais pas, comme la frontière quoi, et c’est ce que j’avais envie de faire dans l’étape d’après du coup. C’est chouette pour ça.
[…]
CD : Est-ce que vous avez eu des retours des contributrices et contributeurs par rapport à ce sentiment d’imposture et aussi s’il y a eu des personnes qui ont contribué régulièrement… Si vous aviez pensé aussi à comment signer un peu le zine, si vous mettiez des noms si les personnes utilisaient des pseudos, puisque c’est des choses très intimes enfin quel rapport y avait un peu à l’identité quoi ? Voilà. Est-ce que c’est assez clair comme question ?
[…]
CD : Peut-être d’abord sur les retours des contributrices sur le zine, est-ce que vous en avez eu ? Est-ce qu’est-ce que vous avez vu des discussions justement au sujet de ce sentiments d’imposture un petit peu et si ces personnes aussi ont senties une évolution ? Enfin si c’était des personnes qui contribuaient régulièrement.
[…]
MB : On a eu des gens qui ont contribué régulièrement, ça c’est sûr. En fait le truc c’est que ça… ça regroupe une réalité assez différente je trouve, avec des gens qu’on connaissait très bien, avec qui on a pu beaucoup discuter du zine, et de ce que ça avait pu faire pour eux et des gens qu’on a jamais rencontré en fait, et avec qui il y a eu des personnes avec qui les échanges ça a été : « Bonjour, voilà, je voulais savoir si c’était ok si vous vouliez… mettre, proposer, ce texte », on disait « bah ouais grave » les gens étaient contents et après on leur envoyait le zine fini, puis bah on avait plus trop de contacts. Et on se rencontre des années plus tard et on se rend compte que les gens sont très contents, mais pour le coup moi j’ai eu le sentiment à un moment donné que certaines personnes utilisaient ça, et il n’y avait vraiment pas de soucis, mais un peu comme un endroit où tu déposes quelque chose et ensuite tu t’en occupes plus. Voilà, et je me suis demandé si ça avait cette fonction là pour certaines personnes. Après, le truc c’est qu’il y a aussi des personnes à qui on a sollicité des textes qui avaient déjà été publiés, je pense à Daria par exemple, on avait lu son texte sur son blog et on lui avait proposé de le republier. On avait proposé ça aussi. Donc ça c’est un rapport différent. C’est des gens qui ont déjà mis leur texte quelque part. Donc ça, c’est de mon côté, je ne sais pas si toi Nelly tu avais eu d’autres retours ?
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N : Ouais, j’essaye de réfléchir justement… Je trouve ça pas évident. Je vois qu’en fait moi là où je suis surprise, mais ça rejoint un peu ce que disait Marcia, c’est que j’ai l’impression que le zine a un peu fait sa vie quelque part. Il a été aussi diffusé dans des endroits où moi des fois je découvre des trucs… des gens qui parlent de ça et je ne le savais même pas ! Et du coup je me dis que bon… Potentiellement, ouais il y a eu des fois où des personnes ont contribué, que finalement on n’a pas trop eu de nouvelles, derrière. Puis que, j’ai l’impression que des années après, je me rends compte de ce que ça a créé, que ça a été très chouette, mais juste que ça ne nous a pas été communiqué à nous ! Mais voilà ! Ouais, du coup, je ne sais pas sur ces histoires de retours. On avait à un moment donné eu cette espèce d’idée qui était apparue, de faire un évènement autour du zine. Et qu’au final ça n’avait jamais vraiment pris forme ! On voit peut-être que ça dit quelque chose aussi de cette histoire de rapport aux contributrices et contributeurs. Que ça ne s’est pas développé plus que ça, mais il y avait eu une émergence à un moment donné. Un petit truc comme ça qui ne s’est jamais fait ! //ahah//
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MB : Le truc c’est que nous c’était : « je suis là, s’il faut être là », en fait. Parce que l’histoire de l’événement, c’est une personne qui contribuait régulièrement qui nous l’avait proposée et on a eu des demandes aussi de gens qui disaient « Ah, est ce que vous avez besoin d’aide pour fabriquer le zine ? » et c’est vrai que nous on n’avait pas trop envie ! À ce moment-là, on était un peu là, « bah non, c’est notre moment ». Donc ça c’est vrai aussi, on n’a pas ouvert la fabrication à plein de gens. Sur ce qu’on proposait c’était : si les gens voulaient donner des illustrations, bien évidemment qu’on prenait les illustrations que les gens voulaient. Et sur la question du pseudo ou pas, ça c’était vraiment… On n’a jamais rien… On ne s’est même pas posé la question, les gens nous envoyaient, on leur demandait comment ils voulaient signer et puis voilà quoi. Ça c’était tout. Je pense, tu corriges Nelly, mais qu’on n’a jamais mis nos noms de famille.
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MB : Ouais, moi j’avoue, je sais mais c’est ça rejoint un peu ce que tu disais sur quand tu regardes tes textes d’il y a longtemps, mais moi maintenant, je crois qu’après avoir publié les orageuses où il y a mon nom de famille… Des fois, je trouve ça un peu vertigineux d’avoir écrit d’autres textes, autant de trucs intimes en public quoi ! J’essaie de ne pas trop y penser. Ça c’est sûr, parce que j’ai vraiment déversé ma vie et de manière évidemment très subjective, c’est à dire qu’il y a plein de trucs tu les relis, et tu te dis : « Ah ouais je ne sais pas si je l’aurais dit comme ça… » et là, c’est marrant parce que je vois que j’ai moins envie… Tous les appels à textes justement sur le vécu, sur les trucs comme ça, maintenant je suis un peu plus genre « oui bon peut être que j’ai assez dit de choses sur moi, et que j’ai plus trop envie de ça ». Mais c’est un peu ce que tu disais Nelly, d’aller jusqu’au bout d’un truc. C’est hyper agréable je trouve d’arriver à un endroit où tu te dis « Ah ouais maintenant je commence à voir les limites et qu’est-ce que j’aimerais refaire et ne pas refaire ? » Je trouve ça très chouette, mais toi, t’as publié dans plein d’autres zines Nelly après.
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N : Oui c’est vrai, ouais. Ensuite, déjà y’a eu ce truc ou j’ai publié dans retard magazine, mais ça c’était pas mal parce que tu m’avais aussi… enfin bref ! J’avais découvert ça, ce magazine, à travers toi. Mais après non. On a publié toutes les deux dans ce zine sur le tatouage là : Encrage. J’ai publié dans un zine qui s’appelle Pornésie c’est des textes érotiques/poétiques. Ouais, c’est vrai que j’ai publié ensuite, mais c’est vrai que je me sens encore à l’aise et je vois encore quelque chose de bénéfique pour moi de là où j’en suis à partager l’intimité du vécu personnel. Juste, je pense que je le fais différemment. C’est vrai que moi aussi, j’essaie de ne pas y penser, sinon je pense que je ne dors pas ! Quand je regarde toutes les ruptures que j’ai réglé par textes interposés //ahah// je vois là… c’est gênant aujourd’hui, mais c’est OK ! //ahah// Mais oui c’est sûr, que maintenant les choses que je publie elles sont peut-être un peu différentes, en tout cas, dans le rapport que moi j’entretiens à ça, j’essaie de le faire un peu différemment.
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MB : Oui ce que je voulais dire, c’est sur la question d’écrire l’intime, parce que c’est quand même le gros du zine. S’est posée aussi assez rapidement une question, que je trouve des fois, et que t’anticipes pas, c’est la question de qui te lis ? Et qu’est-ce que ça provoque chez les gens ? En fait, le texte à un moment donné ne t’appartient plus. Puis il circule, il est interprété, réinterprété, et ça, je trouve que le zine était un bon apprentissage, parce que c’était progressif. C’est ça, ça s’est diffusé petit à petit. C’est d’abord des gens que tu connais, puis des gens que tu ne connais pas et comme dit Nelly, l’avantage, d’un zine, c’est qu’au contraire, d’un post Facebook qui est partagé par plein de gens que tu peux voir, les zines on a eu pendant longtemps aucune idée de comment ils circulaient et on s’est juste rendu compte de manière assez fortuite qu’il y avait des… endroits qu’on n’avait pas anticipés, d’où ils étaient. Mais ça, moi je crois que j’ai trouvé que c’était un bon apprentissage et que c’était intéressant de voir ce que ça peut provoquer un texte et de te rendre compte que tu ne peux pas tout contrôler.
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N : Je crois qu’on avait une forme de confiance entre nous aussi, tu vois, et une forme de naïveté. Du fait, que nous on était dans notre bulle en train de créer notre petit zine et que vu qu’on est potes, il y a aussi ce truc où le texte que je vais faire sur ma rupture, quelque part, je le fais lire à ma pote, et pour moi c’est normal. //ahah// Je crois qu’il y avait un peu ce truc d’avoir sous-estimé la réception, voilà. Après bon, de toute façon le texte, une fois qu’il est sorti, il est sorti et plus trop à soi, mais ouais. Moi j’ai largement sous-estimé ce que ça créait ! //ahah//
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CD : Et au niveau des espaces où vous avez retrouvé le zine et qui vous ont surpris vous avez des exemples ?
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N : Moi j’ai le souvenir, quand on a rencontré notre premier fan, aux UH ! //ahah// Je me rappelle qu’on avait fait, une espèce… C’était quoi ? On avait fait un mot, mais un peu anonyme. On a annoncé qu’on allait vendre les zines et où il y avait quelqu’un qui s’était levé et qui avait dit « mais il est génial ce zine ! », enfin je ne sais plus, j’ai un souvenir comme ça, j’étais hyper surprise de découvrir qu’il y avait ça, qu’on avait des fans ouais ! Je ne sais pas sinon Marcia, si t’as d’autres trucs auxquels tu penses ?
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« Ah mais tu sais, Marcia fait aussi des zines » !
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Il m’avait dit de manière très condescendante « Ah mais tu sais, il y a un super zine qui est sorti, tu devrais te renseigner »
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N : Oui très honnêtement ! Ouais c’était un hasard complet en fait, on n’avait même pas prévu que ce soit le titre. Donc on avait juste fait un découpage, qu’on trouvait vachement joli, et puis ensuite quelqu’un a parlé du zine en disant ça et on s’est dit « Ah bah en fait c’est le titre du zine on dirait », mais on ne l’a pas vraiment choisi ! //ahah//
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MB : Oui c’est ça, c’est quelqu’un qui nous a dit j’adore le Zine bla bla bla bla bla bla et nous on était là « Ah ! Ah ! On n’avait pas pensé qu’en mettant une énorme phrase sur le devant ça ferait un titre, mais ok ! » et c’est resté ! //ahah//

Garance Dor & Vincent Menu

faire des zines et des ami·e·s,
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Je suis particulièrement sensible à ce début de mémoire puisque j’ai rencontré Guilhem en faisant des fanzines. Dans son mémoire il aborde la publication comme moyen de faire communauté.
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CD : Très bien, alors c’est un objet hybride, un espace, un objet... On s’est aussi posé des questions d’économie de l’œuvre dans ce genre de projet. Comment vous situez ces objets qui sont à la fois œuvre et documents, par rapport à d’autres publications avec lesquelles on peut faire des liens comme Shit Must Stop [^SMS (Shit Must Stop) est une collection d’éditions d’artistes conçus par William Copley et Dimitri Petrov. La collection a été publiée toutes les deux semaines de février à décembre 1968. Chaque numéro est composé d’œuvres d’art diverses aux formes variées.], Aspen [^Aspen (magazine) a été créé en 1965 par Phyllis Johnson, il a été le premier magazine prenant la forme d’un multiple, développé sous plusieurs dimensions. Il était édité sous la forme d’une boîte dans laquelle on pouvait trouver différents supports éditoriaux (cartes postales, affiches, enregistrements sonores, films etc.).] magazine… ?
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GD : Alors, par rapport à des revues qui ont effectivement traité de la performance, nous on n’a pas de documents à l’intérieur. C’est-à-dire de documents qui soient de l’ordre de la trace. Par exemple il n’y a pas de photographies de spectacle ni de témoignages. On a essayé d’avoir un axe spécifique qui est celui du script, uniquement de l’œuvre. Bien évidemment il y a des traces du passé quand celles-ci ont existé, mais elles sont toujours projetées vers l’avant. Je crois que c’est ce qui nous différencie de ces magazines-là. Après, la question de l’économie je suis peut-être en train de m’en éloigner, mais… on avait envie que ce soit un bel objet accessible. Que tous lecteurs puissent l’acheter et que ce ne soit pas un objet luxueux. Donc le prix initial a été fixé un peu arbitrairement avec un seuil imaginaire qui était celui qu’on pourrait aisément dépenser nous-mêmes. C’était important pour nous, par rapport à la diffusion des partitions : ça devait être quelque chose qui se dissémine. On a décidé que ce serait payant malgré tout, on aurait pu opter pour la gratuité, mais il y a des coûts. Le prix de vente nous permet un tant soit peu de récupérer l’argent qui a servi à éditer la revue. Actuellement le financement de la revue, du moins son budget est uniquement lié aux coûts de fabrication. C’est-à-dire que tout l’argent de Véhicule sert pour les coûts d’impression, les achats de la pochette, les envois, etc. Ce qui veut dire que tout le reste est une activité bénévole : aussi bien au niveau des artistes que l’on invite que de nous-même.

Mathieu Tremblin

MT : Ok, revenons à ta question. Tu l’as assez bien identifié, à l’origine les éditions Carton-pâte en 2007, ce sont des fanzines que nous pouvions réaliser avec des camarades issus de mon crew de graffiti et que nous n’avions pas les moyens d’éditer en grande quantité. Il s’agissait de tirages confidentiels diffusés de la main à la main. Ils étaient presque vendus à prix coutant parce qu’ils coutaient cher à produire. Jiem L’Hostis, lui, utilisait vraiment la photocopieuse en collant les photos et le texte pour composer sa mise en page. C’est un parti pris qui existait à cette époque dans le monde du graffiti. De mon côté, je faisais de la mise en page avec des logiciels comme QuarkXpress ou InDesign : des outils liés à la production industrielle du livre. Très vite, je me suis dit que c’était dommage que le cadre éditorial soit tributaire d’une logique marchande. Je trouvais que ce rapport à l’autoédition à l’époque d’Internet méritait d’être repensé. Le mode de production induisait une certaine rareté. Je ne voyais pas en quoi limiter le nombre d’exemplaires apportait quoi que ce soit au travail.
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Pour moi la vraie rareté, dans l’espace urbain en particulier, c’est l’expérience. Ce n’est pas la préciosité artificielle créée par une spéculation sur le rapport en l’offre et la demande. La confidentialité dans le graffiti a aussi à voir avec la communauté ; un fanzine a une adresse.
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MT : La typologie de gestes éditoriaux en question, c’est celle qui part du fanzine et qui va jusqu’au livre-objet, en passant par les multiples supports que l’on retrouve disséminés dans notre quotidien urbain : affiche, autocollant, tract, etc. Il est question de conserver la liberté formelle et conceptuelle qui a pu exister avec les premiers livres d’artiste des années 1960 qui étaient très artisanaux ; certains artistes ont pris le parti de s’affranchir totalement des conventions éditoriales en faisant par exemple disparaître les informations éditoriales, en n’ayant pas de numéro ISBN voir en effaçant jusqu’à leur propre nom. Le passage au numérique permet de dessiner un cadre éditorial professionnel et une traçabilité où ces informations qui deviennent comme des sortes de métadonnées en ex-libris et de rejouer dans le même temps cette dimension bricolée. C’est d’ailleurs la fonction de la jaquette à motif de papier marbré – l’identité de Carton-pâte – qui vient « encapsuler » les éditions du catalogue et indexer les informations du contexte de création, qui dès lors n’ont pas la nécessité d’apparaître dans l’édition même.
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De cette manière de 2007 à 2016, au moment où j’ai réintégré au nouveau site web toutes les éditions réalisées avec David Renault à mesure des années, j’ai reposé des contraintes éditoriales très strictes. Les premières publications que nous avions faites entre 2006 et 2012 étaient certes en reprographie, mais le façonnage – dos carré collé et massicotage – ralentissait et complexifiait le processus. On perdait la spontanéité qui pouvait exister avec un fanzine un pli agrafé, on perdait cette urgence et cette fluidité du geste : on était dans l’attente de la livraison et on retombait dans une logique éditoriale plus classique. En 2016, j’ai donc normalisé toutes les publications pour revenir à l’essence de cette typologie éditoriale. Des publications qui intègrent dans sa forme les marges techniques autant comme contrainte que comme signature graphique – pas d’images à fond perdu – ; le moins d’impression couleur possible et le recours à des papiers de couleur tels q’on en trouve chez tous les reprographes – avec les trois grammages de papier 80, 120, 160 g/m2 les plus courants – ; une reliure à plat avec des relieurs d’archives ce qui permet de ne pas s’embêter avec l’imposition des pages puisque les pages sont imprimées dans l’ordre du chemin de fer – puisque la reliure n’est pas fermée, il y a la possibilité d’augmenter ou de modifier l’édition, avec l’ajout d’une traduction des textes dans un second temps par exemple.
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MT : Oui, en quelque sorte. J’avais appelé cette série « croquis d’étude », littéralement Study Sketch. Ce que je fais en peinture a un intérêt parce que je le fais dans un certain contexte. Je choisis un mur et comme je procède la plupart du temps sans autorisation, je n’ai aucune certitude que l’intervention reste ; elle va vraisemblablement générer des réponses ou des interactions multiples et inattendues à cause de cela. Si je fais ce même travail sous forme de dessins, qu’il ne reste plus à voir que le pseudonyme des tagueurs sans leur calligraphie originelle en référence, je soustrais en quelque sorte toutes les questions que l’action sur le terrain va soulever. Le dessin a son autonomie et je préfère que cette autonomie trouve une place dans le quotidien plutôt que dans un espace d’exposition. L’intérêt de l’édition, c’est qu’elle circule dans les espaces du quotidien, qu’elle a une existence dans la vie de tous les jours comme l’art dans l’espace public. On rencontre autant une œuvre urbaine de manière fortuite en marchant dans la rue, que sa documentation sous forme de publication en ligne au détour d’un blog, dans le fil d’un réseau social ou imprimée dans un magazine ou un livre. On arpente indifféremment une ville ou un livre, et l’œuvre est trouvée plutôt que montrée.
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MT : Les Study sketches avait été faits dans la perspective d’un dossier pour présenter le principe de l’intervention dans un cadre qui n’a finalement pas abouti. Pour Tag Clouds Parable, c’est une proposition préméditée. À chaque fois qu’on me sollicitait pour la publication et la diffusion dans la presse de la documentation de Tag Clouds, j’envoyais les mêmes images pour avoir le plus d’occurrences possibles de ce travail. J’avais choisi de ne pas m’inscrire à l’ADAGP parce que je souhaitais que mes images conservent la même accessibilité que les œuvres urbaines qu’elles documentent, et que le contrôle algorithmique de la propriété intellectuelle en ligne y contrevenait. De fait, je savais qu’il serait quasi impossible d’être rémunéré pour une diffusion – puisque les médias préfèrent traiter la question du droit par le biais de cet organisme plutôt qu’avec les auteurs des œuvres –, alors je demandais une copie papier de chaque publication. À l’origine, je pensais découper dans les magazines ou les livres, et épingler variations des mêmes images imprimées comme des papillons pour en faire une œuvre unique, une fois arrivé à une collection assez conséquente. Et puis finalement, ça m’embêtait de recréer de l’unicité alors que ce qui m’importait, c’était la question de l’accès à l’œuvre urbaine par sa documentation et sa diffusion ; je suis reparti sur un projet éditorial. Plutôt qu’être le personnage de la fable, formuler le geste comme une hypothèse éditorial. C’est devenu une sorte de projet de recherche qui me permettait de revenir sur le buzz en ligne de 2016. Depuis 2010 où j’avais commencé cette série d’interventions urbaines, j’avais fait attention à ce que Tag Clouds ne devienne pas viral. Entre autres, parce que je sais très bien que quand une œuvre devient virale, l’auteur devient l’artiste d’un seul projet. Or, Tag Clouds représente un centième de mon travail, ça aurait été un peu ridicule de réduire des années de pratique à une seule œuvre. Cela peut être une stratégie de communication pour certains – un jeu avec l’économie de l’attention –, mais en ce qui me concerne la destination de mon travail a toujours été l’espace urbain et non le marché de l’art. Je ne voulais surtout pas me retrouver dans une situation où les municipalités m’inviteraient pour réaliser un Tag Clouds : la proposition se serait déplacée vers le repeint hygiéniste de ce qu’ils considèreraient comme des murs de tags « moches ». Ainsi, à chaque fois qu’on m’a demandé de réaliser cette intervention dans le cadre d’un programme, j’ai refusé. Et j’ai continué à la réaliser spontanément sans commissionnement et sans autorisation. Le buzz autour de cette intervention m’a fait réaliser qu’entre les années 2000 et les années 2010, le web décentralisé s’est transformé en réseau privé-public avec les médias sociaux. Avant les curieux, amateurs et journalistes allaient consulter les sites web des artistes et y découvraient les éléments de contexte publiés qui les renseignaient sur le processus créatif et le contexte de l’œuvre urbaine. Aujourd’hui, les œuvres urbaines diffusées via leur documentation sur le web sont réduites à des images dont l’intérêt fluctue avec le marché de l’attention. Elles deviennent des éléments d’une conversation plus large que celle qui les relie à leur contexte urbain, comme des sorte de template de mèmes. En remettant récemment en circulation ces Study Sketches, j’ai voulu réintroduire d’autres registres d’images qui renseignent le processus de création, le travail d’observation et de préparation préalable qui correspond aussi au rythme et aux usages de la ville plutôt qu’à ceux, instantanés, des réseaux sociaux.

Julie Blanc & Quentin Juhel

Code X est dans la même logique qu’un fanzine, où nous créons une publication rappelant et communiquant sur nos pratiques avec nos moyens – avec une petite maison d’édition qui veut parler aux étudiants.
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PrePostPrint est dans cet héritage du fanzine, dans ce rapport à l’édition.

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