Mot-clé : catalogue
Élise Gay & Kevin Donnot (E+K)
Élise Gay et Kévin Donnot forment un duo de graphistes spécialisé dans des projets éditoriaux aussi bien sur format papier que support écran. Dans le cadre des expositions du cycle « Mutation/Création », le centre Georges Pompidou leur a donné carte blanche, avec les éditions HYX, pour produire les catalogues de ses expositions. Leurs différents catalogues sont des objets-manifestes, mêlant design graphique et design programmatique.
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FJ : Dans le cadre de la création de ce catalogue d’exposition, quels ont été les éléments déclencheurs qui vous ont poussés dans votre pratique à utiliser ces technologies de web2print ?
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KD : Le projet s’inscrit dans un cycle un peu plus large qui s’appelle Mutation / Création, sur la question numérique de ces enjeux. Il se trouve que dans ce cycle, nous avions déjà réalisé un catalogue, Imprimer le Monde (2017) qui était le premier catalogue sur la question de l’impression 3D. Nous avions trouvé des techniques de mise en page, et utilisé des méthodes génératives pour travailler sur ce catalogue et pour générer des formes typographiques. Il y avait un vrai rapport entre le fond et la forme, l’idée c’était d’expérimenter un peu plus loin [...] d’inventer de nouveaux process de production qui soient cohérents avec le sujet. [...]
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EG : Nous avions une carte blanche de l’éditeur. C’est une série de catalogues où la question de la production, du process de travail est centrale. Il en existe quatre et le cinquième est en route. Pour Coder le Monde, le deuxième, comme pour les autres nous nous sommes basés sur la thématique de l’exposition, qui s’attachait principalement à des œuvres qui ont été programmées.
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KD : L’idée de Coder le Monde était de travailler un principe où le code est à la fin comme un système et comme un langage. Il y a tout un tas de textes dans le catalogue qui parlent de cette question du langage : la différence entre langage formel et langage naturel, la différence entre code en tant qu’encodage de données ou en tant que programme.
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Nous avons pris les éléments du contenu du catalogue et nous avons commencé par les baliser. Nous l’avions balisé suivant une norme standard : le TEI (Text encoding initiative), pour qu’il soit lisible par une machine et donc séparer les éléments [ici tu as « language html » ça permet de savoir que HTML est un langage] lorsque l’on travaille avec une machine on peut demander à un programme pour chaque langage : « tu fais ça ».
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EG : La mise en page se fait automatiquement et les références de page aussi, c’est-à-dire que le programme sait à quelles pages il va retrouver « Vera Molnár » sur l’ensemble du catalogue, et ajoute les références de page automatiquement.
Julie Blanc & Quentin Juhel
FJ : À l’occasion du Salon de l’édition alternative à la Gaîté Lyrique en 2017, vous aviez produit ce catalogue avec ces différents projets qui utilisent des types de conception alternatifS et donc vous êtes partis sur des technologies web, quels étaient les avantages et inconvénients de cette pratique ?
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QJ : Je vais revenir sur le terme « catalogue » : ce n’était pas vraiment un catalogue, c’était plutôt un objet manifeste. C’était le deuxième événement de PrePostPrint qui était marqué par la rencontre de différents acteurs : graphistes, développeurs, chercheurs, éditeurs, qui faisaient et qui font encore des publications imprimées avec les langages du web. Donc il s’agissait d’une réunion réelle, avec une réunion entre nous et avec le mini-festival, et cet ouvrage est à la fois un catalogue des gens présents, des potentialités du web2print ainsi que d’autres langages de programmation. Cela a été assez compliqué à mettre en place, notamment ces questions de polyfill. Tu vois ce que c’est qu’un polyfill ?
Mathieu Tremblin
De fait, avec mon collègue David Renault lorsqu’on a commencé à faire des expositions en duo en 2008, on avait envie de faire des livres d’artiste pour rendre visible tout le travail d’enquête urbaine préalable qui inspirait nos œuvres et nos interventions. Comme on n’avait pas les moyens de faire des tirages à grande échelle, on éditait nous-même. On allait chez le reprographe, on en faisait un, deux, trois exemplaires. On en mettait un en consultation dans l’exposition, et voilà. Parfois, on documentait les œuvres de l’exposition et on en faisait un petit catalogue. Carton-pâte a constitué une réponse en actes à une des questions persistante à laquelle nous étions sans cesse confrontés : que se passe-t-il quand on a un budget de production et que le budget permet soit de produire l’exposition, soit de produire le catalogue, soit de se rémunérer, mais aucun des trois à la fois ? Celle-ci ouvrait à une autre plus précise : pourquoi notre rapport à l’édition devrait-il forcément se plier à des logiques de production industrielle, alors que lorsqu’on travaille dans l’espace urbain, on travaille à l’économie de moyens ?
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PM : Je voulais rebondir sur cette notion d’urgence et d’économie de moyens. Pour moi, il y avait une forme d’écho avec la notion d’ici et maintenant. Ce que tu expliques dans une exposition où tu as un budget donné, tu vas dépenser une partie de ce budget dans l’installation, l’exposition, et tu ne vas pas forcément avoir les moyens d’avoir un catalogue. Il y a donc la question de faire avec les moyens du bord, et ici et maintenant, dans un temps donné avec un budget et un matériel donné.
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MT : La typologie de gestes éditoriaux en question, c’est celle qui part du fanzine et qui va jusqu’au livre-objet, en passant par les multiples supports que l’on retrouve disséminés dans notre quotidien urbain : affiche, autocollant, tract, etc. Il est question de conserver la liberté formelle et conceptuelle qui a pu exister avec les premiers livres d’artiste des années 1960 qui étaient très artisanaux ; certains artistes ont pris le parti de s’affranchir totalement des conventions éditoriales en faisant par exemple disparaître les informations éditoriales, en n’ayant pas de numéro ISBN voir en effaçant jusqu’à leur propre nom. Le passage au numérique permet de dessiner un cadre éditorial professionnel et une traçabilité où ces informations qui deviennent comme des sortes de métadonnées en ex-libris et de rejouer dans le même temps cette dimension bricolée. C’est d’ailleurs la fonction de la jaquette à motif de papier marbré – l’identité de Carton-pâte – qui vient « encapsuler » les éditions du catalogue et indexer les informations du contexte de création, qui dès lors n’ont pas la nécessité d’apparaître dans l’édition même.