Sürkrüt

Blog de l’atelier de Communication graphique de la HEAR

Onze.Onze (14), des regards singuliers sur l’armistice du 11 novembre


Je viens de passer voir l’exposition « Onze.Onze ». Enfin « passer ». Elle n’est pas de celles où l’on passe mais plutôt de celles où l’on reste. À travers des vidéos, des installations, des applications et des photographies, les étudiants de l’atelier de Communication graphique y explorent depuis 2012 la commémoration de l’armistice du 11 novembre.

Je dois avouer que ces cérémonies m’ont toujours un peu ennuyée. Trop sérieuses. Mais là, c’est différent. Est-ce parce j’ai été accueillie à bras ouverts par des soldats en délire sur le portail ? Peut-être… Forcément le soldat en uniforme, ça fait toujours son effet. Même la cour avec ses nombreuses tentures m’évoque une fête.

 

Les festivités se poursuivent à l’intérieur avec des guirlandes lumineuses ! Ça détonne. Plus loin, le ton est plus grave. Des photographies brumeuses et funestes se heurtent à la première sensation joviale.

 

À droite, un pan de mur m’intrigue. À première vue, il semble être recouvert de photographies prises par la même personne. Mais il n’en est rien. Les élèves ironisent. Ils mettent en exergue l’ennui. Et la scénographie pensée par Alain Willaume me glisse dans la peau du photographe. Je ressens sa frustration. J’ai envie d’escalader ces barrières qui m’empêchent de m’approcher.

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Puis j’emprunte l’escalier. Rouge. Rouge coquelicot. Ces derniers sont un des symboles de la première guerre mondiale. À l’étage, je suis frappée par le chaos visuel. Jusqu’alors, le calme et la discipline régnaient. Mais ce désordre est en total adéquation avec les sujets photographiés. En effet, au plein cœur d’une manifestation, un mouvement anarchiste semble protester contre la violence de la guerre et la propagande militaire.

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Je fais le tour de l’escalier. Ici, je suis maire. Une des applications pour Ipad me permet de construire un monument aux morts pour ma propre ville. Un rêve se réalise.

 

Au fur et à mesure, l’exposition m’éloigne loin des banalités que j’appréhendais. Je découvre l’armistice sous des regards singuliers et je me dis… peut-être bien que cette année, moi aussi je vais y assister, juste pour voir ce que ça donne en réalité. »


Exposition « Onze.Onze (14) » dans le cadre du programme de recherches Lignes de front 1914-2018.
La Chaufferie, Haute école des arts du Rhin, Strasbourg
Du 11 octobre au 11 novembre 2014.

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Mommy / Bande de filles


Au jeu Xavier Dolan VS Céline Sciamma, autant être franc, je mets sans trop d’hésitation Dolan au tapis. Mais ce n’est pas ici de la mise en scène outrancière et quelque peu démagogique du jeune réalisateur québécois face à la pertinence des images proposées par la réalisatrice française dont je veux parler, mais bien plus objectivement de certaines similitudes entre les deux films : Mommy de Xavier Dolan donc, et Bande de filles de Céline Sciamma.

C’est certainement parce que ces deux films actuellement à l’affiche sont sortis pratiquement en même temps (et que j’ai donc également pu les voir pratiquement « en même temps ») que ces points communs me sont apparus de manière si évidente :

Pour commencer, tous deux ont étés découverts et aussitôt encensés par la critique à Cannes en mai dernier (Bande de filles ayant été présenté à la Quinzaine des réalisateurs et Mommy ayant remporté ex-aequo avec Godard le prix du Jury) mais cela ne reste que très anecdotique.

Plus concrètement Dolan et Sciamma sont tous deux de jeunes réalisateurs (25 et 35 ans), encore au début de leur carrière cinématographique (5 et 3 films), ce qui explique qu’ils puissent filmer ainsi la même génération avec semble-t-il plus ou moins les mêmes codes. Les protagonistes de Mommy et Bande de filles sont des adolescents et vivent dans des contextes sociaux difficiles à peu près similaires. Mais de ces situations ne résultent pas de visions sociales « terre à terre » mais plutôt des fictions stylisées, où les contextes deviennent romanesques (de l’ordre de la tragédie grecque chez Dolan et du roman initiatique chez Sciamma), et les images esthétisantes, allant parfois jusqu’au « clipesque ».

En parlant de clip justement, on peut extraire de ces deux films deux scènes quasiment identiques : elles se jouent toutes deux dans la première partie du film, et montrent précisément le moment où un « nouveau membre » est accepté dans le « groupe » : la voisine bègue acceptée par le fils et sa mère dans un cas et la timide jeune fille de cité acceptée par la « bande de filles » dans l’autre. Cette « adoption » se fait en musique, en buvant et dansant tard le soir, dans un contexte intime (une cuisine et une chambre d’hôtel), sur des hits très populaires : On ne change pas de Céline Dion et Diamonds de Rihanna. Dans les deux cas la chanson passée en intégralité  est proposée par les personnages eux-mêmes, jouant à devenir les protagonistes d’un véritable clip improvisé (que les réalisateurs mettent en scène et éclairent de la sorte).

On notera aussi une ressemblance dans les scènes du bureau de la directrice dans un cas et de la conseillère d’orientation dans l’autre, où sont mis en jeux l’avenir présumément peu glorieux des deux personnages principaux des deux films. Ainsi que les contextes des scènes du karaoké d’une part et du mini-golf de l’autre qui jouent avec ironie des clichés sur la classe populaire. Niveau références populaires également, Sciamma fait un clin d’œil au film La Boum en appelant son héroïne « Vic » tout comme Dolan lui cite Maman j’ai raté l’avion en reproduisant les scènes de l’aftershave et du sac de course qui se perce… Il est d’ailleurs amusant de remarquer que dans les deux films, quasiment le même collier avec les noms « Mommy » et « Vic » sont offerts (éléments importants dans les deux films qui sont par ailleurs mis en avant dans les affiches des deux films).affiches-badedefilles-mommy

En plus de leur jeune âge, un autre détail me semble important dans la vie de ces réalisateurs; ils sont tous deux homosexuels. Cela est pour leur cas loin d’être anecdotique puisque le thème de l’homosexualité (et notamment du « genre » pour Sciamma) était l’un des sujets central de leurs précédents films. « Pas ici », me direz-vous ! En effet pour tous deux, il semblerait que ce soit le premier film ne traitant pas d’homosexualité. Mais peut-être n’est-ce pas aussi évident :

-Bien qu’ayant évacué toute thématique gay, je reste convaincu que Bande de filles est avant tout un film interrogeant le genre. Dès la première scène ces « filles » sont (merveilleusement) mises en scène en train de jouer un match de football américain très « musclé », le ton est lancé, mais en revenant de cet entrainement camouflées en « bonhommes » ce groupe féminin se disloque peu à peu sous le regard des (jeunes) « hommes » qui dominent la cité. Par la suite, les membres de la bande qu’intégrera l’héroïne s’affirment vestimentairement comme très féminines et « coquettes », mais avec des attitudes parfois brutales et quasi « viriles » (racket, relations conflictuelles, bastons organisées etc…). Pour ces filles, le « graal » de leur féminité (féministe) est représenté par le soutien-gorge qui dans une première scène marque un rite de passage pour la petite sœur de l’héroïne dont les seins commencent à pousser, puis dans une scène plus éloquente de combat de rue féminin où le soutien-gorge est arraché au couteau sur l’adversaire mise au sol (tel un scalp) afin de l’humilier en lui retirant symboliquement sa féminité. Par la suite cette même féminité est à nouveau questionnée par l’héroïne lorsqu’elle change de « groupe »; elle se vêtira à nouveau en véritable « bonhomme » et ira jusqu’à se bander la poitrine pour l’aplatir.

-Dans Mommy, la sexualité du personnage principal n’est pas évoquée, mais quelques éléments viennent cependant fréquemment nous interroger sur une éventuelle homosexualité (mais de manière beaucoup plus gratuite que chez Sciamma; Dolan se complait juste à revendiquer la « différence »); le personnage est hyper-actif et parfois très violent mais entretient une relation plus que fusionnelle avec sa mère, il reste ébahi dans un supermarché devant des feutres roses qui « sentent’ la fucking fraaiise », partage un échange de regards au ralenti assez ambigu avec un jeune de son âge dans la rue (dans la scène juste avant de découvrir la nouvelle maison de sa mère), et passe son temps à interpréter en dansant des chansons ringardes tantôt affublé de mascara sur Céline Dion, où bien se faisant ouvertement traiter de « pédé » par l’assistance du karaoké où il interprète Vivo per lei.

En somme, il me semble que les protagonistes des deux films interrogent chacun (dans une certaine mesure) l’hybridation des genres féminin et masculin, sans jamais évoquer directement la question de l’homosexualité (ou de la transexualité…) comme c’était quasi systématiquement le cas dans les précédents films des réalisateurs. Xavier Dolan et Céline Schiamma se servent tous deux de climats sociaux semblables pour les transformer en fictions avec semble-t-il des codes souvent similaires qui sont peut-être simplement ceux de leur génération (et de la nôtre).

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Ed Van der Elsken “imprimés” : les livres du photographe exposés


De notre envoyé spécial à Cherbourg-Octeville (Manche).

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Quoi de plus naturel que de présenter dans un centre d’art dédié à la photographie et qui est tout autant lieu d’exposition qu’éditeur de livres de photographie (ce qui fait la singularité du Point du Jour), une exposition de livres de photographie ? Bien que l’exercice n’aille  pas de soi, c’est ce que nous proposent à travers le travail exemplaire du photographe néerlandais Ed van der Elsken (1925-1990) un groupe d’étudiants en design graphique de l’école d’art de Rennes (EESAB), encadrés par les enseignants George Dupin et Kévin Donnot.

Le résultat, magnifiquement réalisé, est le fruit d’une collaboration entre les étudiants, les enseignants qui ont accompagné le projet et proposé le matériau de l’exposition, et le centre d’art. George Dupin, lui-même photographe et artiste (et – autant le préciser – ancien collègue), a confié aux étudiants les quelques soixante-dix ouvrages issus de sa propre collection et accepté de laisser les étudiants les manipuler (et donc les maltraiter !) pour les étudier, tout au long de leurs recherches, avec l’idée que les livres – de véritables trésors et références historiques en ce qui concerne ceux de Van der Elsken – ne sont pas destinés à mourir dans une bibliothèque, mais doivent être partagés.

Après une première exposition à Rennes et durant trois workshops qui se sont déroulés in situ, les étudiants ont élaboré différentes stratégies de monstration des ouvrages, en dialogue avec les responsables du lieu qui ont accepté de se prêter au jeu. Un jeu qui permet de questionner – en écho avec l’activité même du centre d’art/éditeur –, la nature et la place du livre dans le travail d’un photographe tout en montrant le travail photographique lui même. Car en ce qui concerne celui de Van der Elsken, il est admirable aussi bien d’un point de vue photographique que de celui de la conception des livres, et il serait donc réducteur de n’en présenter que l’un des deux aspects. Et, plus généralement, comment montrer des livres, les exposer, les partager ? On le sait, présenter des livres dans une exposition est un exercice difficile, voire contradictoire avec la nature d’un objet destiné à la consultation individuelle, et souvent frustrant, auquel beaucoup s’essayent, en particulier ces dernières années. Y parvenir, comme ont su le faire les étudiants de Rennes, sans trahir le contenu même des ouvrages est une véritable réussite.

Pour chaque livre un dispositif singulier a été pensé par les étudiants, et chaque livre est systématiquement montré de plusieurs manières (à travers un exemplaire du livre, une réédition, les pages accrochées au mur, filmées en vidéo, photographiées…). Différentes éditions du même livre sont présentées, notamment sur le mur d’ouverture sur lequel sont accrochées des boîtes en Plexiglas contenant les sept ouvrages que l’on retrouve au fil de l’exposition, au milieu d’un immense montage photographique qui reproduit en trompe l’œil des double pages d’autres livres du photographe.

Plusieurs ouvrages ont  été démantibulés, découpés, et les pages accrochées directement au mur, ce qui permet de rendre les livres accessibles et de comprendre comment ils ont été conçus et fabriqués, leur structure, mais aussi d’apprécier réellement la qualité de l’impression (le plus souvent en héliogravure, procédé de prédilection pour les livres de photographie à l’époque, qui produit des noirs charbonneux particulièrement profonds), la qualité du papier, le format, etc…  Altérer un livre de cette manière, irréversible, peut sembler surprenant au premier abord de la part d’amateurs de livres, mais il ne faut pas oublier qu’un livre n’est pas un objet unique, irremplaçable, et que ce procédé d’accrochage permet de les rendre accessibles aux visiteurs de l’exposition et donc de diffuser le travail du photographe auprès d’un plus grand nombre grâce à des ouvrages qui autrement resteraient parmi d’autres livres sur une étagère sans nécessairement être consultés.

La photographie de (et par) Van der Elsken qui a servi pour l’affiche et le carton d’invitation, et que l’on retrouve dans l’exposition sous forme d’agrandissement géant, lui sert d’introduction : c’est un autoportrait dans lequel le photographe pose dans un coin de l’image, devant les portraits photographiques constituant le « chemin de fer » de l’un de ses ouvrages (Love on the Left Bank), ce qui permet d’apercevoir la manière dont il travaillait à ses livres. Bagara a été démonté et exposé au mur cahier par cahier et la couverture, ainsi que la jaquette sont également exposés recto et verso (il a fallu pour chacun des livres découpés en démonter deux exemplaires), ce qui permet même de voir, (chose rare !), l’intérieur du dos. Jazz est déroulé sous forme d’un clavier de piano composé de reproductions, placé sous des tirages encadrés de photographies issues du livre, « habillées » de fragments d’une conversation travaillés typographiquement. Une « table » présente, face a un mur d’images et de pages découpées, une vidéo sur un écran horizontal montrant des mains manipulant et comparant les photographies contenues dans Hallo aux mêmes images trouvées dans d’autres publications. Cela questionne la nature matricielle de l’image photographique, et sa capacité à changer de formats et de supports, capacitée décuplée lorsqu’elle est imprimée.

Sans rentrer dans le détail de chaque dispositif, la présentation de chacun des sept livres sélectionnés parmi les presque quatre-vingt que le photographe a produits a fait l’objet d’une réflexion particulière, en fonction de son contenu, de son format, de son mode de fabrication et des éléments documentaires disponibles. On notera aussi une véritable volonté didactique, notamment en rendant systématiquement accessibles sous formes de facsimilés, les textes des ouvrages.

Le livre est pour beaucoup de photographes, et bien plus que l’exposition, le médium de prédilection pour montrer leurs images et les monter en séquences. Il est souvent une finalité. La prouesse ici était de transcrire, à travers le médium de l’exposition justement, le travail éditorial de Van der Elsken, sans pour autant mettre sur un second plan les images, car c’est tout de même le travail du photographe, dans cette forme particulière, qui en est l’objet. Le contexte pédagogique et la manière dont le processus de conception de l’exposition s’est déroulé à certainement permis d’envisager l’exposition comme un expérimentation – loin de réponses attendues – que l’on voit rarement aussi aboutis dans des institutions.

Étudiants : Axel Benassis, Chloé Bernhardt, Justin Bihan, Mélissa Brion, Cyril Cosquer, Alice Dhinaut, Marie Hume, Azur Lucas, Marie Remize et Manon Riet.

Ed van der Elsken, imprimés
Exposition du  2 novembre 2014 au 1er février 2015
Le Point du Jour
109, avenue de Paris
50100 Cherbourg-Octeville
Mercredi, jeudi et vendredi, de 14h à 18h
Samedi et dimanche, de 14h à 19h

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