Sürkrüt

Blog de l’atelier de Communication graphique de la HEAR

Compte rendu en bliss de la conférence de Pierre Rœsch


La version française (plus complète) se trouve dans les commentaires

Le bliss est un système d’écriture idéographique crée par Charles K. Bliss, que j’ai découvert lors de la conférence sur le pictogramme de Pierre Rœsch, il y a quelques mois.

Pour rester dans cette esprit du world without words, j’ai essayé d’écrire un compte-rendu simplifié de cette conférence en bliss (à ceux qui sauraient le lire, toute correction est la bienvenue !)

C’est aujourd’hui la Blissymbolics Communication International, organisation à but non-lucratif, qui se charge du développement et la diffusion du bliss dans le monde. Cette écriture est principalement utilisée par des personnes ayant des difficultés pour parler et apprendre.

Pour en savoir plus: http://www.blissymbolics.org/index.php/about-bci

La conférence à ré-écouter ici: http://www.hear.fr/sites/didactiquevisuelle/comment-les-pictogrammes-nous-parlent/

 

Ps: La version française de cet article (plus complète) se trouve dans les commentaires.

Catégorie: Observatoire | 1 Commentaire




Un commentaire

  1. Le pictogramme ou World Without Words

    Pierre Rœsch est graphiste, typographe et ancien enseignant à l’atelier Com Graph’ de la HEAR-Strasbourg. Il revient de temps en tant faire des cours de typographie aux élèves de première année de l’école et tient parfois des conférences comme celle qui a eu lieu le 13 octobre dernier, à l’invitation de l’atelier de Didactique visuelle de la HEAR dans le carde de leur programme de recherche « De l’image ». Elle avait pour thème : « Comment les pictogrammes nous parlent, voyage au cœur de la communication quotidienne ».

    Cette conférence était dense mais intéressante, les propos de Pierre Rœsch étaient soutenus par une riche iconographie et la présentation de quelques livres.

    Entre le temps qui sépare de cette conférence et ce post, j’ai parcouru Pictograms, Icons & Signs, a guide to information graphics, écrit par Rayan Abdullah et Roger Hübner (disponible à la médiathèque de l’école), tous deux professeurs de Design Graphique en Allemagne. Dès les premières pages, les auteurs posent une définition assez complète sur la fonction du pictogramme et des caractéristiques que voici :

    « Pictograms are used to warn, guide or protect and need to be immediately decipherable ; they must get right to the heart of the matter by visually conveying a vital piece of information in such a way that it canot be misunderstood, and they should therefore be internationally recognizable and independent of culture »*

    Les lignes qui vont suivre seront donc une réflexion à partir de cette définition du pictogramme, sur la base de ce que j’ai vu et entendu à la conférence de Pierre Rœsch, et qui me serviront d’exemples.

    « Les pictogrammes sont utilisés pour avertir, guider ou protéger »

    Et c’est l’essence même de ces derniers. Leur fonction propre est d’informer en général, de transmettre un message. Bien qu’ils soient utilisés dans des domaines différents, ils remplissent toujours la même fonction: être une aide à la transmission d’une information entre une entité émettrice et une entité réceptrice. Cela va des guides de communication universels destinés aux touristes, réfugiés ou autres (ICOON Pictures Dictionnary, Point-It, Yubisashi) à la signalétique dans les lieux de transport, en passant par les icônes de bureau de nos ordinateurs. On peut parler de l’usage du pictogramme sur les produits ménagers, dans les notices de montages, par la data-visualisation, etc.
    Au delà même de leur fonction, leur origine se trouve étroitement liée à l’écriture puisque les formes premières de transcriptions sensibles et pérennes dans le temps, par leur support d’inscription, et qui étaient de l’ordre du pictogramme ou du signe. Par leur évolution, elles ont pu donner les lettres de l’alphabet telles que nous les connaissons aujourd’hui, comme la fameuse tête boeuf qui devint notre lettre « A », nommé d’après le premier son du mot dont il est originaire: « alouph » devient aleph, dont ne garde que le son a (on fait ce qu’on appelle une acrophonie). Et comme le résume Pierre Rœsch « le système alphabétique, ce sont des petites images, dont on a gardé que le son de la première lettre, pour aller très vite ». Mais dans certains cas, l’écriture conserve encore sa base pictographique, comme par exemple les idéogrammes chinois.
    On pourrait aussi ajouter que l’image, au sens large, communique, et a souvent joué et joue encore un rôle informatif voire, « éducatif » vis à vis des citoyens. Nous avons bien sûr l’exemple des représentations Isotypiques conçues par Otto Neurath et réalisées par Gerd Arntz, concernant l’usage du pictogramme dans le graphisme à visée informative. On peut aussi penser, si on remonte un peu plus loin, aux tableaux à sujet religieux, à l’exemple des vanités baroques du XVIIe siècle, où les éléments, même si la représentation était « hyperréaliste » (le mot n’était pas encore employé), transmettaient par une représentation codifiée et étaient chacun un terme dans le message à visée moralisatrice contenu par le tableau et transmis au regardeur.

    « Les pictogrammes doivent être immédiatement déchiffrables, aller droit au cœur du sujet par le visuel et transmettre une information vitale de façon à ce que celle-ci ne puisse être incomprise  »

    Quiconque a joué à Pictionary ou Cranium sait à quel point il est difficile de cerner et/ou délimiter l’essence d’un sujet ou d’une notion tout en dessinant de façon rapide et claire, qui fasse deviner aux membres de son groupe l’une de ces deux choses. On éprouve ses talents artistiques, certes, mais aussi sa capacité à communiquer, dans des synthèses d’idées avec un dessin simple.
    Même si on enlève le côté récréatif et que l’on transpose à des domaines moins légers, l’image pictographique, c’est au fond cela : la synthèse d’une information quelconque avec une forme schématique et universelle, que tout le monde doit comprendre le plus vite possible afin de non plus faire gagner un maximum de points à son équipe mais prendre la bonne sortie d’autoroute. Un message incompréhensible peut avoir de sérieuses conséquences, on peut citer ici l’histoire de FF Transit, caractère pour la signalétique développé par Erik Spiekermann en réaction à un incendie à l’Aéroport de Düsseldorf, où des personnes perdirent la vie en raison du mauvais fléchage des issues de secours.
    Pour que l’information passe, et passe correctement, il faut trouver quelles combinaisons d’éléments sont les plus à mêmes de transmettre l’idée et savoir les agencer de façon logique dans l’espace de sorte que le message ne puisse être mécompris. Au delà du simple aspect stylistique (qui n’a volontairement pas été plus développé par le conférencier), le développement de pictogrammes passe, parfois au sein de comités de recherches, par le recensement des travaux ayant traité du même sujet (exemple : l’interdiction de fumer), d’analyses de propriétés graphiques et physiques (telles que la lisibilité à une certaine distance, en déplacement, ou dans l’obscurité), accompagné par des phases de tests auprès du grand public devant déterminer s’il comprend ou pas le dessin (et pour terminer, la recommandation du comité, en fonction de ses conclusions, du pictogramme à adopter.) L’image est étudiée pour se suffire à elle-même.
    Intervient alors une différence entre les représentations graphiques à usage public ou privé, à l’exemple des icônes d’interfaces, qui sont opposées au pictogramme, selon Rayan Abdullah et Roger Hübner par leur ton plus léger et leur « liberté dans la conception graphique »*. L’évolution de l’interface des Mac de 1984 et les icônes de 32 x 32 px en noir et blanc de Susan Kare jusqu’au récent flat design. Seul des familiers de l’interface des ordinateurs d’Apple sauront reconnaître l’icône du Finder, d’iMessages ou de Siri.
    On pourrait aussi objecter que tout ne peut être traduit en pictogramme. S’il est aisé de distinguer la femme de l’homme, le chien de la vache, il est plus difficile de savoir quel dessin est le plus à même de transcrire un verbe. Comme le souligne Pierre Rœsch, comment traduire en pictogramme le verbe être ? Dans ce cas, associer plusieurs pictogrammes à déchiffrer comme un rébus, ou ajouter du texte peut aider.
    On ajoutera encore que la compréhension du pictogramme ne peut se passer d’un apprentissage, on apprend comment déchiffrer les panneaux, de manière implicite. Le pictogramme a, comme les langues, sa propre syntaxe visuelle. Si l’on garde l’exemple de la signalétique de transport, la compréhension du message se fait par une combinaison de formes, de couleurs et de dessins qui nous font savoir quelle est le nature du message, qui il concerne, sa périodicité, basés sur des représentations caricaturales, archétypales ou allégoriques que nous apprenons à associer à certaines notions (la balance pour la justice, le personnage en robe pour la femme).

    « Les pictogrammes doivent être reconnaissables internationalement, indépendamment d’un contexte culturel. »

    C’est dans les faits plus compliqué que cela, car même si il y a des références graphiques universelles, il y a des spécificités en matière de dessin liées à un espace géographique, un contexte socio-culturel ou politique. Cette dernière acception suppose de créer une culture universelle ou uniforme, ce à quoi le pictogramme dans l’espace public s’efforce, mais l’on constate que les panneaux de signalisation routière ne sont pas toujours les mêmes. Parfois c’est juste une variation dans le dessin, d’autres fois, ce sont des pictogrammes que seuls les familiers peuvent comprendre car comme c’est écrit plus haut la compréhension du pictogramme passe par l’expérience et l’apprentissage et l’inscription dans une culture commune. Pierre Rœsch a montré des exemples de pictogrammes japonais, avec des représentations différentes que celles des pictogrammes occidentaux, tant par des spécificités culturelles qu’une représentation symbolique, comme dans le cas des kobans. Ces pictogrammes vont être remplacés en prévision de l’aflux de touristes pour les J.O. de 2020.
    Concernant les émoticônes ou emojis, ils sont bien sûr dessinés à partir d’émotions que nous pouvons tous ressentir mais aussi de codes de représentation mémorisés, venant de l’illustration ou de la bande dessinée. Ainsi nous savons qu’une figure avec deux croix à la place des yeux signifie la mort, et qu’une figure avec une petite goûte sur le front signifie l’embarras.
    On voit aussi des cas d’artistes qui se réapproprient le travail pictographique ou iconique afin de créer leur propre langage imagé, basé sur des signes et/ou symboles qu’un seul auteur développe. C’est le cas des LoCos de Yukio Ota, du langage bliss de Charles K.Bliss ou par la réutilisation de pictogrammes dans le but de proposer une narration ou une écriture singulière, à l’exemple d’Une histoire sans mots de Xu Bing dans laquelle une vraie histoire est racontée sans aucun mot. Ces livres appuient l’idée qu’il est nécessaire d’apprendre à lire le pictogramme dans un contexte (le bliss n’est pas du tout évident à comprendre) mais aussi la manière dont se construisent sympathiquement les rébus et les combinaisons de symboles.
    On peut aussi penser au travail d’artistes qui développent leur propre écriture, ayant une représentation iconographique très personnelle comme Warja Lavater.

    Et pour conclure : le pictogramme, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que le pictogramme.

    * Rayan Abdullah et Roger Hübner, Pictograms, Icons & Signs, a guide to information graphics, Thames and Hudson Ltd, Londres et Thames and Hudson Inc., New York, 2006. 244 p. ISBN 978-0-500-28635-7. [p.6]

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