21/12/2014 |
Par Angéline Girard
Compte-rendu de la conférence de Rémi Jimenes, dans la cadre du colloque « Design graphique, les formes de l’histoire ».
Fraîchement diplomé d’une thèse sur Charlotte Guillard, veuve des imprimeurs Berthold Rembolt et Claude Chevallon, Rémi Jimenes est un doctorant au Centre d’études supérieures de la Renaissance. Mais c’est aussi un ingénieur d’études aux Bibliothèques virtuelles humanistes.
Le livre, un concept global
Pour Rémi Jimenes, le design graphique est une science auxiliaire de l’histoire du livre. Selon lui, il y a trois manières indissociables d’aborder le livre :
1) L’ornement
2) La composition du texte/la mise en page
3) Le choix typo
La composition doit être adaptée à chaque objet. Mais à la renaissance ce n’était pas forcément possible donc il n’y a pas de grille/de design à analyser de manière individuelle. Cependant à cette époque, tout est à faire, à inventer. C’est l’âge héroïque du livre. Il va donc y avoir toute une période de construction de l’histoire de l’objet livre. La bible à 42 lignes de Gutenberg va ainsi être un matériel très utilisé par les imprimeurs. C’est une véritable mine d’informations pour eux évidemment. Et la bible à 42 lignes inspire encore aujourd’hui. Les Éditions B42 lui rendent par exemple un hommage par leur nom…
L’histoire du livre comme pratique et comme enseignement est très peu développée (voire n’existe pas du tout) dans les universités françaises alors qu’il y a de plus en plus de chercheurs qui traitent de ce sujet aujourd’hui. C’est une pratique qui se développe officieusement.
Lucien Febvre (1878-1956), par exemple, est le rénovateur de la science historique c’est-à-dire que pour lui l’histoire c’est aussi la sociologie, l’économie, la politique, la culture… Et il commence donc à voir l’apparition du livre comme faisant partie intégrante de l’histoire.
Mais le père fondateur de cette démarche est Henri-Jean Martin. C’est un historien français spécialisé dans l’histoire du livre et de l’édition. Il aborde ainsi le livre sous différents aspects : le commerce, la sociologie, l’économie… Il s’attache à l’étude de ses interactions, sa fonction d’archives, les conditions socio-économiques qui l’entourent, mais aussi les conditions de lecture.
Ainsi, l’approche graphique du livre serait juste un angle d’attaque parmi tant d’autres : l’aspect littéraire, technique, social ou encore économique. Le livre serait donc un projet bien plus global que ce que pourrait imaginer un néophyte.
L’excellence typographique, moteur de renouvellement
L’histoire de l’excellence typographique contribue aussi nettement au développement du livre. Les pères fondateurs de cela sont les typographes humanistes comme Alde Manuce ou Claude Garamond. Puis plus tard, des personnes comme Francis Thibaudeau ou Stanley Morison vont mettre en lumière les évolutions typographiques. Claude Garamond a commencé à être actif dès 1530. Il grava par exemple pour Estienne deux caractères : un gros Canon et un gros Romain. On pensait à l’époque que c’était lui le typographe le plus influent. Mais d’après Rémi Jimenes, on s’est rendu compte depuis que le Garamond aurait en fait été inventé avant Claude Garamond lui même. Cette découverte d’erreur dans l’histoire est possible grâce aux systèmes d’analyse et d’identification de fontes et d’archives.
La bibliographie, comme élément fondateur de l’histoire du livre
L’importance de l’identification de l’imprimeur par le matériel typographique est une notion inhérente au travail de Rémi Jimenes. Identifier est presque devenu une nécessité pour l’époque des Elzévirs qui ont souvent été contrefaites. Henry Bradshaw, un bibliothécaire britannique a par exemple créé la première liste de typographies en développant des recherches minutieuses à travers les incunables. Robert Proctor s’est lui aussi lancé dans la bibliographie et a ainsi catalogué des incunables par pays et villes d’impression puis par imprimeurs et éditions. Entre 1906 et 1911, sous la direction de Konrad Haebler, un vaste inventaire d’incunables est créé. Il puise des informations dans 676 bibliothèques allemandes et recense 145 000 exemplaires d’incunables. Tout cela va créer un fond documentaire très important qui sert encore aujourd’hui.
L’identification permet donc de pouvoir reconnaitre les presses de tel ou tel imprimeur et de savoir à quel imprimeur appartient telle typographie. Même s’il y a eu des périodes plus complexes pour l’identification. En effet, au XVIe siècle, beaucoup d’imprimeurs s’échangeaient leurs caractères typographiques. Mais chacun composait différemment et c’est cela qui permet d’identifier un imprimeur précis.
C’est justement un système d’analyse du matériel typographique qu’a développé Rémi Jimenes : les Bibliothèques Virtuelles Humanistes. C’est un projet ambitieux de numérisation et de reconnaissance d’ouvrages de la renaissance. Il permet d’extraire le texte, les lettres ornées, les marques imprimeur etc. Peut-être que ce projet pourrait être une bonne base de matériaux pour les graphistes et typographes. Mais le site mériterait un bon rafraichissement visuel…
À lire/voir :
Le site des Bibliothèques virtuelles humanistes
Roger Chartier et Henri-Jean Martin, L’histoire de l’édition Française
Sous la direction de Dominique Varry, 50 ans d’histoire du livre : 1958-2008
Alain Cavalier, La relieuse