Mot-clé : archive
Camille Bondon
CB : J’ai commencé à noter les choses, à noter le temps quand j’ai arrêté d’être étudiante. Il y avait un aspect un peu vertigineux car quand tu es étudiant tu as un planning qui t’est donné, mais après c’est à toi de décider de ta vie. C’est une pratique qui a donc commencé pour me rassurer, pour voir un petit peu ce que j’avais fait et archiver finalement toutes mes actions. Ça a été aussi un prétexte pour dessiner, parce que je ne suis pas une grande dessinatrice, enfin je n’ai pas de projet de dessin dans ma pratique artistique. Mais ce truc là, d’avoir à noter un peu, par exemple tous les repas que je prends, c’est une sorte de « micro-contrainte » pour pouvoir faire des dessins un petit peu tous les jours. Plus j’ai continué à le faire, plus je voyais que ça m’aidait aussi à structurer mes journées, à établir un peu des programmes. Et à chaque fois que j’essayais de trouver un meilleur modèle d’agenda, je voyais que finalement, l’espace du temps, sa matérialité, avait une forme d’influence ou d’incidence sur la perception que l’on a du temps. En posant la question autour de moi — parce qu’on a un goût partagé avec d’autres amis pour ces histoires-là — je me rendais compte que eux préféreraient les déroulés horizontaux ou verticaux des journées, d’autres voulaient avoir le mois pour avoir une sorte de vision à long terme. Je me suis dit que là, il y avait finalement une sorte de sujet commun, collectif, et que ça pourrait être intéressant d’essayer de faire un tour de cette question, pour voir comment les autres font aussi pour se dépatouiller du temps. Souvent, les questions que j’adresse aux autres pour créer des pièces, sont des questions de l’ordre du commun. Je me dis que si on partage nos savoirs et nos compréhensions de ces communs-là, la vie serait finalement plus simple.
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CB : Alors ça, ça m’a été utile parce que j’ai commencé une pièce sur les archives de tout ce que j’ai lu. Je voulais collecter toutes les premières pages de tous les livres que j’avais lus. Et dans les agendas, j’ai cette archive de tous les livres, tous les films, tout ce que j’ai pu emmagasiner. Ça m’a servi aussi pour retrouver quelques dates, donc je les parcours, un peu comme on parcourt des albums photos, plutôt pour cette impression générale. Ce que je vais le plus relire ce sont mes carnets de travail, où j’ai une archive plus détaillée de toute l’évolution des projets. Là, je suis en train de faire une résidence où l’on crée collectivement des nappes pour des tables, des nappes publiques. Comme archive du projet j’ai commencé à rédiger un journal. En croisant les mails, les sms, les notes dans le carnet, j’ai pu reconstituer toute la genèse du projet. Les carnets me servent plutôt à ça, et aussi pour mémoriser tous les noms qu’on peut me donner, ou que je rencontre, ainsi que d’autres informations que j’y dépose... mais je ne vais pas les chercher tout de suite. Il y a aussi des moments de transition de carnets, où je viens passer en revue ce qui s’est passé dans le précédent, pour voir si j’ai exploré toutes les pistes qui étaient notées. Donc je m’en sers plutôt pour explorer les trois mois précédents. Mais je les garde, c’est mon petit trésor.
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CB : Non, en fait c’est l’intégralité du carnet que j’ai scanné, et je suis venue recomposer, un peu comme les généticiennes quand elles étudient les manuscrits des autrices anciennes, elles viennent faire des transcriptions dactylographiées du manuscrit, pour pouvoir rendre lisible l’écriture manuscrite, qui peut être difficile à déchiffrer quand tu n’es pas spécialiste de l’autrice. Elles viennent conserver la mise en forme des pages, et remettre des blocs-textes dactylographiés à ces endroits-là. Je trouvais que c’était beau cette manière de coller à l’archive spontanée, où tu n’as pas fait de choix de mise en page. C’est quelque chose qui est de l’ordre de l’intuition, un bel espace d’émergence d’une pensée, des idées. Cette opération de nettoyage, de tout recomposer à l’ordinateur, et aussi de redessiner, c’était une manière de tout mettre à niveau, c’était aussi ce geste-là de publier, de rendre public. Et si là, aujourd’hui, tu devais m’ouvrir ton carnet et bien je passerai un petit moment à essayer de m’acclimater à ton écriture, à ta graphie. Ce geste-là c’était aussi une manière de faire rentrer les gens dans cet espace qui est plutôt privé, de rendre ça plus fluide et lisible.
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CB : Justement, Adrianna travaille beaucoup avec une avocate pour toutes ces questions. Effectivement, il y a la vie privée, mais il y a aussi le droit d’auteur, les gens sont auteurs de leurs lettres. Donc elle fait un tri, elle n’utilise que les lettres où l’on a pas d’indices pour retrouver l’autrice. Dans la forme de son projet, elle fait lire et écouter les lettres, et si tu es lectrice, tu signes une décharge comme quoi tu ne feras pas de photos ni d’enregistrement. Finalement elle n’utilise que l’espace éphémère de la parole, et c’est ta mémoire qui va archiver mentalement les lettres. Mais elle ne diffuse pas le contenu tel quel, et ni en entier. Ce qui est un peu un truc comme ça, parce que concrètement, il reste un flou juridique là-dessus. C’est une question que je me suis posée, lorsque j’ai réédité une partie d’un texte de Jacques Rancière, Le Maître ignorant. Je lui ai écrit, ainsi qu’à la maison d’édition, pour leur parler de ce que je voulais faire et leur demander l’autorisation, mais je n’ai pas eu de réponse. Il y a des moments où tu fais des choses dans l’illégalité, et il y a des négociations que tu fais avec ta conscience parce que tu trouves que c’est important de le faire. Surtout, je trouve que Le Maître ignorant, de Jacques Rancière est un texte formidable, et que c’est une manière de diffuser, de le faire connaître. Même si c’est illégal, c’est ma petite histoire qui fait que je me suis autorisée à prendre ce risque.
Mathieu Tremblin
Cette nécessité était corrélée au fait qu’il n’y avait pas de modèle de structure intermédiaire ou institutionnelle pour l’accompagnement les pratiques non-commissionnées dans l’espace urbain. La présentation du graffiti ou de l’intervention urbaine dans un musée semblait par essence – et semble toujours – relever du paradoxe, puisque ce qui fait l’intérêt de ces pratiques c’est qu’elles adviennent en dehors des lieux dédiés à l’art. La forme de la documentation – et son archive – présentait par contre un intérêt parce qu’elle posait la question du processus de légitimation. S’il y a archive, il y a une collecte d’informations autour de l’œuvre urbaine. Qui prend les photos ? Est-ce qu’on doit tout archiver ? Comment faire le tri dans la matière récoltée ? Comment y accéder ? Cette forme d’archive spontanée s’épanouissait déjà sans limite sur les sites des artistes urbains. Adopter le modèle de la publication open source permettait de résoudre certaines de ces questions en prolongeant l’horizontalité de ces formats : Carton-pâte proposait un modèle de production et de diffusion do it yourself parce que le web était encore un espace autoédité et décentralisé.
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MT : Effectivement, j’ai fait quelques éditions sur cette question là. Chaque writer procède à une éditorialisation de sa pratique du graffiti lorsqu’il compile les photos de ses pièces dans un blackbook : c’est son espace personnel d’archive. Il est confidentiel puisqu’il constitue aussi une preuve à charge. De la même façon, chaque artiste urbain compile lui aussi les images de ses interventions sur son disque dur. Seulement, leurs interventions urbaines seront souvent rendues publiques à leur corps défendant, remarquées par les passants pour leur singularité créative et documentées par des photographes amateurs. On retrouvera ainsi une image d’une œuvre urbaine croisée dans la rue au détour d’une page web, publiée sans l’aval de l’artiste aussi parce que l’œuvre n’est pas signée ou que l’artiste reste anonyme. Le travail échappe à son auteur et sa circulation en ligne donne une existence autonome à l’œuvre urbaine, au-delà de son existence propre dans la ville.
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De cette manière de 2007 à 2016, au moment où j’ai réintégré au nouveau site web toutes les éditions réalisées avec David Renault à mesure des années, j’ai reposé des contraintes éditoriales très strictes. Les premières publications que nous avions faites entre 2006 et 2012 étaient certes en reprographie, mais le façonnage – dos carré collé et massicotage – ralentissait et complexifiait le processus. On perdait la spontanéité qui pouvait exister avec un fanzine un pli agrafé, on perdait cette urgence et cette fluidité du geste : on était dans l’attente de la livraison et on retombait dans une logique éditoriale plus classique. En 2016, j’ai donc normalisé toutes les publications pour revenir à l’essence de cette typologie éditoriale. Des publications qui intègrent dans sa forme les marges techniques autant comme contrainte que comme signature graphique – pas d’images à fond perdu – ; le moins d’impression couleur possible et le recours à des papiers de couleur tels q’on en trouve chez tous les reprographes – avec les trois grammages de papier 80, 120, 160 g/m2 les plus courants – ; une reliure à plat avec des relieurs d’archives ce qui permet de ne pas s’embêter avec l’imposition des pages puisque les pages sont imprimées dans l’ordre du chemin de fer – puisque la reliure n’est pas fermée, il y a la possibilité d’augmenter ou de modifier l’édition, avec l’ajout d’une traduction des textes dans un second temps par exemple.
Garance Dor & Vincent Menu
CD : D’accord. Alors il y a aussi un autre moment où l’on peut tout retrouver : j’ai adoré cette idée de pouvoir retrouver sur le site les interprétations. Je trouve que ça forme vraiment une boucle qui allait au-delà du déploiement ou de faire faire l’œuvre. On s’est même pris au jeu en remplissant et envoyant collectivement le poème à compléter à Jacques Jouet. Ça pose aussi forcément la question de l’archivage de ces champs là. Est-ce que c’est aussi une volonté et un moyen d’archiver ces champs qui n’ont pas l’habitude ou qui sont compliqués à archiver ?
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GD : Ça fait partie des enjeux de la revue. Dès le départ on a eu cette envie-là. Alors non pas de pérenniser, justement toute la question était là. Comment faire pour ne pas muséifier les pratiques, comment faire pour les transmettre sans que ce soit des traces. Mais comment leur garder leur statut de projet à l’intérieur d’une archive ? Comment les transmettre, comment les conserver en leur donnant un statut de document actif, de document performatif.
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GD : Ce sont vraiment des formes qui sont entre le projet et la trace, entre le projet et l’archive. C’est cet aspect-là qui nous intéresse. Certaines ont déjà été créées par les artistes. On a eu MA VIE de GrandMagasin [^GrandMagasin est un duo composé de Pascale Murtin et François Hiffler, deux danseurs contemporains.], on a eu un projet de Maud Le Pladec [^Maud Le Pladec est une danseuse et chorégraphe française, directrice du Centre chorégraphique national d’Orléans depuis 2017.] qui est une chorégraphe, qui l’avait déjà créée sur scène. Donc là il s’agissait de partir d’une forme qui avait existé pour la transcrire sur le papier et qu’elle puisse à nouveau être activé. Mais certaines partitions qui sont dans Véhicule n’ont jamais été activés encore et sont à l’état de projet : c’est très variable. Parfois on peut considérer que c’est de l’archive, mais on essaie de ne pas le présenter comme ça ou en tout cas que ça n’est pas ce statut unique, mais parfois c’est vraiment de l’ordre du projet.
Rencontre avec Denis Tricard
DT : Du coup, dans l’archive je vais chercher, HEAR… Cluster… On va essayer de trouver, là ! Je savais même plus qu’on avait fait une affichette ce jour-là… Donc c’était un dimanche en fait. Voilà, « Haute Ecole des Arts du Rhin, le variant indien et précautions » je vous l’envoie. Je m’en étais occupé, c’est très compliqué à faire parce qu’il y a très peu de caractères…
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YMN : Vous archivez ces affichettes quelque part ?
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DT : Bah je vais regarder mais c’est vrai qu’on n’archive pas tout au contraire du journal, moi je le fais depuis 2000… je ne sais plus…
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DT : C’est vrai que pour nous, ce n’est plus aussi capital l’affichette, nous on n’archive pas, mais c’est vrai que c’est un choix aussi, parce que parfois, il y a des soirs où je me demande ce que je vais bien pouvoir mettre comme affichette générale. C’est vrai qu’on fait surtout les affichettes par tradition, mais parfois il est vrai que si on a 3 morts dans une commune, on va prévoir le coup on va faire du réassort en journaux. Qu’est-ce qu’on a eu par exemple…
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DT : Voilà les archives du DNA.