Mot-clé : envie

Marcia Burnier & Nelly

N : Mais c’était déjà un collectif qui était en train d’aller vers la fin quand même. Et en fait, il se trouve que le Gang, c’est un truc qu’on a créé aussi. C’était un produit du fait qu’on était proches. C’est plutôt à l’inverse que ça s’est fait, on l’a créé parce qu’on avait envie de faire des choses ensemble. Et qu’on se connaissait un peu quoi. Mais voilà, du coup c’est plutôt, le 8 mars pour toutes où on s’est rencontrées. Mais Marcia, t’as envie d’en dire plus ? Parce que ça faisait plus longtemps que tu étais au collectif que moi.
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MB : Non mais en gros, le 8 mars pour toutes, c’était un collectif féministe, à Paris. Moi j’y était depuis un petit moment, ensuite, Nelly nous a rejoint, puis le collectif s’est dissous. Et avec une partie des personnes qui restaient, on a recréé le Gang, qui était un collectif. Mais en fait ça n’a pas tant à voir avec le zine, c’est vraiment des choses différentes, il se trouve que, plus ou moins en même temps, avec Nelly on se rapprochait sur des questions de… littéraires. Et on a eu envie de créer ce zine. Mais ce n’était pas tant lié au Gang. Il se trouve qu’on se connaissait via le 8 mars pour toutes quoi.
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N : Alors, moi c’était le premier texte que j’écrivais depuis assez longtemps, parce que pour moi, la pratique de l’écriture c’est quelque chose que je fais depuis longtemps mais j’avais vraiment eu un moment où je m’en étais un peu éloignée. Du coup, j’avais publié ce texte sur //euh bah voilà// c’est un peu intime, mais c’est à l’image du zine, et c’était sur la pratique de la scarification, enfin les pratiques, un peu, de se faire mal quoi. Et… ce n’était pas que ça, mais c’était en partie sur ça. Du coup, je l’avais publié sans trop savoir quoi en faire. J’avais envie de le rendre public et j’avais envie de pouvoir commencer un peu des discussions là-dessus, et je l’avais publié sur le tumblr que j’avais à l’époque et Marcia ensuite m’a écrit des messages, voilà !
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MB : Y’avait un côté où, tu sais on se disait, je crois que si je… J’essaye de ne pas refaire l’histoire, mais il me semble que la chronologie c’est qu’il y a ça qui se passe à ce moment-là : Il y a le bouquin tiré de la thèse de Manon Labry qui sort, Riot Grrrls [^Ouvrage de Manon Labry, retraçant l’histoire du mouvement nord américain Riot Grrrl. Il est paru en 2016 aux Éditions La Découverte.], qui est sur l’histoire des Riot Grrrls. Ça parle pas mal de la pratique du zine, et je pense qu’il y a, à un moment donné, un truc où on se… en tout cas j’avais l’impression que c’était peut-être, je mets un peu la charrue avant les bœufs, mais j’avais l’impression qu’on s’était dit ça Nelly, c’était que c’est cool de publier sur Tumblr, mais à un moment donné, t’as aussi envie de créer un objet qui se diffuse en fait et qui permet de mettre en regards des textes différents. Et voilà, je crois qu’il y avait vraiment cette idée-là quoi, ce n’était pas juste « il se trouve qu’on écrit, qu’est-ce qu’on en fait ? », c’était aussi, « créons quelque chose », tu vois ? C’était assez cool on n’avait jamais fait ça avec Nelly, ni l’une ni l’autre, on avait regardé des tutos sur internet, mais il y avait aussi une question de faire un objet ensemble, de ces textes-là, et de les mettre en valeur.
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CD : Mais d’ailleurs, vous aviez envie créer quelque part un espace de parole, de partage au sein d’un objet particulier ? Comment est-ce que vous avez mis ça en place ? Est-ce que vous aviez envie de laisser le zine, uniquement entre vous deux, ou alors d’ouvrir les contributions ou alors est-ce que ça s’est fait progressivement ? Comment est-ce que vous avez créé des liens avec les personnes que vous vouliez contacter ? Euh voilà, tout ça.
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N : Euh, bah je peux en dire un peu quelque chose. En fait, effectivement, comme disait Marcia, le départ c’est que nous de toutes les façons on écrivait des choses mais on avait envie de créer cet objet, ce média littéraire par manque d’autres espaces et par envie aussi de voilà, de proposer quelque chose. Et le truc c’est que, ça s’est quand même beaucoup centré au départ sur nos textes. Mais, parce que je pense, pour moi en tout cas, je sais que, il y avait aussi une forme de frustration. De ne pas vraiment avoir d’espace où publier, donc je pense on est parties de nous quoi. Mais dans le premier, est-ce qu’il n’y a que nous ? Ou est-ce qu’il y a déjà… On avait déjà commencé à contacter des personnes ?
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MB : Bon ! Franchement le premier message politique qu’on voulait, c’était que les gens nous lisent ! Enfin, je crois qu’au départ c’était un peu ça, on écrivait, on avait envie de diffuser ce qu’on écrivait et ça partait de là. Mais je ne sais même pas si on en a discuté, j’ai l’impression que c’était assez clair qu’on ne voulait pas de mecs cis dans les contributions parce qu’on trouvait que y avait assez d’espace. Ah oui ! Non si ! Quand même, quand on a commencé à demander un peu à droite, à gauche des textes là, il me semble qu’assez vite on s’est dit : « pas de textes universitaires ! »
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N : Ouais c’est ça ! Ouais, ouais, moi j’ai l’impression que en fait, du fait qu’on s’est rencontrées et qu’on a créé ce zine, dans un truc en fait où on était plutôt sur des positions politiques similaires et qu’on le savait en fait, ça fait qu’il y a plein de choses qu’on n’a pas vraiment formalisé. On s’est pas dit « Ah en fait, ouais ». Mais que finalement ça a coulé de source que voilà, par exemple, enfin clairement on créait cet espace parce qu’on avait envie de donner la parole aux meufs et aux queer et pas aux mecs cis //ahah// Et que voilà, comme tu dis, on avait envie que ce soit plus de l’intime et du perso, et on voulait quelque chose qu’on ne voyait pas ailleurs. Ou qu’on voyait peu.
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MB : Oui je crois qu’il y a un enjeu très fort sur, quels textes ont le droit de cité en fait, dans l’espace public. Même dans l’espace des zines, je me rappelle qu’on avait essayé de les mettre sur infokiosque et qu’ils nous avaient refusées. Et, je ne pense pas spécialement pour le contenu, mais enfin eux ils disaient : « c’est pas trop… ». Ils ne comprenaient pas trop ce que c’était. « C’est quoi ? C’est un zine littéraire ? Mais pourquoi il y a plusieurs numéros ? C’est pas une brochure ? ». Enfin voilà, et c’est vrai que comme ce que Nelly disait tout à l’heure, c’est vraiment la question des influences états-uniennes voire anglo-saxonnes, enfin un peu plus large, sur le spoken word il y avait vraiment cette question : en France, on a du mal à valoriser les contenus intimes. Moi souvent, je me rends compte que comme les textes ne sont pas de la fiction, il y a très, très peu de fiction qui a été publiée. Je crois qu’on s’est essayées toutes les 2 une fois, mais c’est tout. C’est comment tu qualifies des textes qui sont littéraires, mais qui parlent de choses vécues ? Et en fait, dans plein de pays, ils parlent de non-fiction et ils ont aucun souci à considérer que c’est de la littérature. Et moi j’avais l’impression que nous on était très attachées à ça. À dire que, tout le monde a des choses à dire sur son expérience de personnes minorisée pour un certain nombre d’oppressions et que c’est important qu’on entende ces voix-là. Et qu’on ne le relègue pas uniquement dans la catégorie du témoignage, qu’on considère que c’est une question littéraire, que par ailleurs, ça a de la valeur dans un zine littéraire, et que les gens ont envie de l’écrire. Après, nous on faisait pratiquement 0 sélection au cours des 16 numéros. On l’a peut-être fait une ou 2 fois quand c’est… Quand ça rentrait vraiment pas du tout. Mais sinon, à priori on a toujours pris un peu ce que on nous envoyait, et on ne faisait pas non plus beaucoup de modifs. À moins que les gens nous le demande, mais il y avait un peu un côté : cet espace c’est aussi le vôtre quoi.
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N : Non, non, mais je suis assez d’accord avec ce que tu allais dire, enfin je ne sais pas ce que t’allais dire. Enfin, déjà comme disait Marcia tout à l’heure, au début, on avait des envies, mais alors on savait pas du tout que ça allait nous emmener jusque-là et donc on a commencé par, comment dire ? Les personnes qui participaient, c’était des personnes qu’on connaissait plutôt personnellement avec qui on était en contact. Du coup, pas tant des appels à textes. Je te faisais lire des textes déjà existants généralement comme nous, qui avaient soif en fait de cet espace, pour publier leurs textes et du coup… voilà. Jusqu’au moment où vraiment ça a pris de l’ampleur et où là des personnes qu’on ne connaissait pas nous ont contacté, parce qu’on laissait toujours l’adresse mail sur les zines. Du coup, il y avait ce truc où les gens, spontanément nous écrivaient aussi pour envoyer leur contribution. Et à un moment donné… je ne sais pas si je rate des étapes donc peut être que tu rajouteras Marcia ! Mais j’ai l’impression que du coup il y a eu ce moment où les personnes venaient contribuer spontanément etc. et qu’il y a eu un moment aussi où on s’est posé la question du thème parce qu’on commençait à faire vraiment pas mal de numéros. Et qu’on s’est dit « OK, peut-être qu’on a aussi envie de NOUS décider, qu’est-ce que… ’fin voilà que de faire des… d’avoir des fils un peu, comme ça à suivre ». Là on a commencé officiellement aussi à lancer des appels à textes. Voilà, c’était un peu plus dirigé, quoi.
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MB : On a dit que là, on avait envie de faire une pause, ça devenait compliqué matériellement, et parce qu’on est on n’habite pas au même endroit. Et que ça faisait quand même ça, et aussi parce qu’on commençait, enfin ça a commencé à faire beaucoup de boulot de diffusion parce que quand tu reçois des textes de gens, t’as aussi envie de prendre du temps pour diffuser ce que ce que les gens te filent et puis ça commence à faire beaucoup, 16 numéros. C’est beaucoup à diffuser pour 2 meufs qui ne font pas ça à plein temps et qui n’ont pas de moyens, donc on avait aussi ça, c’est qu’on n’avait plus trop de moyens d’impression possible. Ça devenait hyper compliqué et du coup on a mis en pause ouais.
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N : Ah vas-y, je refais ! J’étais en train de dire que oui, moi j’ai l’impression aussi que le fait d’avoir été dans des zines fair, moi, y a eu ce truc, et on en avait parlé. Ça m’a fait prendre conscience qu’en fait il y a des gens qui vendent des zines à des prix… Enfin, comment dire, qu’il y avait aussi des fois des décalages de prix assez forts et que nous, là, on avait l’impression de demander TROP aux gens et quelque part, enfin, c’était aussi des choses que les gens étaient prêts à mettre et OK de mettre. Quelque part, dans cette espèce de culpabilisation par avance, y a aussi ce truc d’oublier que peut être parfois, les personnes ça leur fait plaisir de mettre de la thune dans des trucs qu’elles ont envie de lire et qu’elles ont envie de soutenir quoi. Et bon bref. C’est des discussions un peu difficiles je trouve et surtout quand on a cette espèce de posture anticapitaliste, où du coup on est là avec notre culpabilité et tout, et que ça peut, ouais, ça peut rendre les choses compliquées des fois je trouve. Voilà… Les réflexions là-dessus.
[…]
CD : Ouais c’est ça. Et puis il y a la question de l’accessibilité aussi du coup, qui est lié au prix aussi… alors j’imagine que vous avez vous aviez envie de de diffuser le plus largement ça et justement de sortir un petit peu des revues institutionnelles où des magazines, comme vous disiez donc…
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MB : Ouais moi je suis je suis assez d’accord. J’essaye de réfléchir, mais bon ça rejoint ce qu’on a dit, la question du prix pour moi, est quand même aussi vraiment liée aux conditions de production et… c’est pas un hasard à mon avis qu’on ait commencé à se poser la question du prix quand il y a eu plus de contributions, plus de gens, qui nous envoyait, que ça demandait plus de boulot et qu’évidemment on a commencé à payer les impressions ça c’est sûr que ça joue. Moi je crois qu’aujourd’hui, là où j’en suis, j’aurai plus envie de dépenser de l’argent pour que ce projet existe. J’aurais envie… Moi ça me va bien d’être à… enfin ne pas en dépenser, mais ne pas en gagner spécifiquement, mais par contre j’ai pas envie comme disait Nelly, d’en perdre. Ça, je trouve que… ça…
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MB : Il y a juste un truc, que je trouve qu’il faudrait rajouter. C’est aussi, enfin c’est peut-être, c’est bizarre, le lien que je fais, mais, j’ai l’impression que, nous l’idée ce n’était pas que notre zine soit pérenne, tu vois. On n’était pas dans un truc de : c’est notre formule et voilà, on était plutôt sur : regardez un zine c’est facile à faire, et tout le monde peut en faire et je crois qu’aussi on s’est… on a mis le zine en pause, dans un moment ou tout d’un coup il y a eu aussi plein de projets de zines qui ont commencé à sortir en France. Qui étaient plutôt… trop cools ! Moi j’ai l’impression qu’il y en a… Enfin qu’il y en a de plus en plus que c’est quelque chose dont les gens se sont emparés et du coup, c’est déjà arrivé évidemment, c’est pas la première fois que ça arrive, mais je trouve ça très chouette et je crois que c’est ça aussi la grosse différence avec un magazine où il y a une formule et t’as envie que ta formule soit justement pérenne, c’est ton but. Et que nous l’idée c’était un peu de dire mais, on n’est pas des pros et ça ne sera jamais pro et regardez, en fait tout le monde peut le faire et en fait, peut être si vous avez envie d’écrire des textes et de nous les envoyer, posez-vous d’abord la question de, est-ce que vous ne voudriez pas vous-mêmes faire un zine avec vos textes ? Enfin, je sais pas ce que tu en dit Nelly ?
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MB : Non, non, je pense que c’est une réponse qu’on a chacune, qui… ça va faire 2 réponses différentes là pour le coup mais, si tu veux, je peux commencer moi. C’est sûr que c’est une continuité. Moi je suis persuadée que sans le zine je n’aurais jamais écrit les orageuses, enfin il y a évidemment un processus. Je suis en train de réfléchir à ce que j’avais déjà écrit… Moi, oui je pense que j’avais déjà publié dans retard magazine des textes avant le zine j’en suis quasi sûre, puisque Nelly toi t’avais déjà lu des textes que j’avais écrit et Nelly avait déjà publié vu que moi j’avais déjà lu. Mais du coup, oui, moi c’est 3 ans où j’avais un endroit où mettre mes textes, ce qui m’a motivée à écrire. Ça m’a fait explorer la poésie, ça m’a fait prendre l’écriture au sérieux, et par ailleurs ça m’a fait explorer des textes ultras persos et ensuite j’ai eu envie de passer à la fiction, tu vois. Donc c’est sûr que c’est lié, et je veux dire c’était aussi un énorme moteur de valorisation de l’écrit, Nelly ça a été un soutien monstrueux, il y avait vraiment un truc de valorisation de soi en fait. Écrire ça peut être très solitaire, quand t’as pas une communauté ou un master ou je ne sais pas quoi autour de toi. C’est un peu toi et toi-même et là moi je suis évidemment extrêmement reconnaissante de ce soutien-là, quoi.
[…]
N : Alors moi je m’inquiète, vous me dites si vous ne m’entendez pas parce que j’ai l’impression que la connexion est de pire en pire ! Mais… oui moi je crois que… juste mon rapport à l’écriture il a été profondément transformé par ce projet, par cette expérience et par le fait de l’avoir partagé avec Marcia. En fait, juste je crois que dans ma vie je n’aurais pas passé autant de temps à écrire et à prendre au sérieux ce que j’écrivais s’il n’y avait pas eu ce projet en fait. Aussi, c’est que du coup ça a… « ça m’obligeait, tous les mois ou tous les 2 mois » ou quoi. J’avais envie de proposer quelque chose pour ce zine et j’y travaillais et j’y passait du temps et je pense que ça prenait de la place dans ma vie et ça m’a permis d’évoluer. Donc aujourd’hui, quand je regarde les textes que j’ai écrit il y a quelques années, j’ai un peu honte et en même temps je me dis bon bah ça fait partie du processus d’écriture. Et à ce moment, ’fin, quelque part, le fait de pouvoir voir l’évolution aussi c’est très chouette et après, moi par exemple, aujourd’hui, je suis restée très attachée à la forme du zine et j’ai envie de créer d’autres zines ou des choses comme ça, mais ça m’a aussi permis je crois, d’aller au… J’allais dire au bout d’un truc, c’est pas d’aller au bout d’un truc, mais d’explorer quelque chose, au point où je peux aussi en voir la limitation ce qui fait que, par exemple, moi aujourd’hui j’explore plus de l’oralité, donc peut-être des choses autour de la performance. Comme j’ai envie que ces textes-là, ils sortent juste de l’écrit et d’en faire aussi quelque chose avec mon corps, avec ce que je suis. Je pense que ça, en fait ça a aussi été permis parce qu’à un moment donné j’ai pu passer énormément de temps à écrire jusqu’au point de voir, je ne sais pas, comme la frontière quoi, et c’est ce que j’avais envie de faire dans l’étape d’après du coup. C’est chouette pour ça.
[…]
MB : Le truc c’est que nous c’était : « je suis là, s’il faut être là », en fait. Parce que l’histoire de l’événement, c’est une personne qui contribuait régulièrement qui nous l’avait proposée et on a eu des demandes aussi de gens qui disaient « Ah, est ce que vous avez besoin d’aide pour fabriquer le zine ? » et c’est vrai que nous on n’avait pas trop envie ! À ce moment-là, on était un peu là, « bah non, c’est notre moment ». Donc ça c’est vrai aussi, on n’a pas ouvert la fabrication à plein de gens. Sur ce qu’on proposait c’était : si les gens voulaient donner des illustrations, bien évidemment qu’on prenait les illustrations que les gens voulaient. Et sur la question du pseudo ou pas, ça c’était vraiment… On n’a jamais rien… On ne s’est même pas posé la question, les gens nous envoyaient, on leur demandait comment ils voulaient signer et puis voilà quoi. Ça c’était tout. Je pense, tu corriges Nelly, mais qu’on n’a jamais mis nos noms de famille.
[…]
MB : Ouais, moi j’avoue, je sais mais c’est ça rejoint un peu ce que tu disais sur quand tu regardes tes textes d’il y a longtemps, mais moi maintenant, je crois qu’après avoir publié les orageuses où il y a mon nom de famille… Des fois, je trouve ça un peu vertigineux d’avoir écrit d’autres textes, autant de trucs intimes en public quoi ! J’essaie de ne pas trop y penser. Ça c’est sûr, parce que j’ai vraiment déversé ma vie et de manière évidemment très subjective, c’est à dire qu’il y a plein de trucs tu les relis, et tu te dis : « Ah ouais je ne sais pas si je l’aurais dit comme ça… » et là, c’est marrant parce que je vois que j’ai moins envie… Tous les appels à textes justement sur le vécu, sur les trucs comme ça, maintenant je suis un peu plus genre « oui bon peut être que j’ai assez dit de choses sur moi, et que j’ai plus trop envie de ça ». Mais c’est un peu ce que tu disais Nelly, d’aller jusqu’au bout d’un truc. C’est hyper agréable je trouve d’arriver à un endroit où tu te dis « Ah ouais maintenant je commence à voir les limites et qu’est-ce que j’aimerais refaire et ne pas refaire ? » Je trouve ça très chouette, mais toi, t’as publié dans plein d’autres zines Nelly après.

Camille Bondon

Tout ceci nous a donné envie d’échanger avec elle et de lui poser quelques questions sur ces sujets.*
[…]
CB : Je dirais qu’en premier, il y a une envie. Par exemple, pour
La mesure du temps, c’était de parler du temps. Mais c’était juste cette envie-là, de parler du sujet de la temporalité, de comment elle s’écoule. Moi j’ai commencé par avoir l’intuition que je voulais avoir des objets physiques, je ne savais pas pourquoi, mais je voulais qu’on me donne des agendas. On m’en a donné, mais après, je me suis rendue compte qu’il y avait aussi des agendas immatériels, numériques, et les gens qui n’en ont pas. Je me suis donc demandée comment je pouvais faire rentrer ces récits, ces temps d’entretiens que j’ai passé avec les gens. Au début je voulais manipuler les agendas, faire un temps physique où je montrais les agendas, les endroits qui m’intéressaient en particulier. Et plus j’en parlais autour de moi, plus je me rendais compte qu’ils étaient un terrain privé. Il fallait que je protège aussi cet espace-là. Et c’est justement en en parlant à chaque fois quand il y avait des gens qui passaient à l’atelier, que je me rendais compte que je faisais une sorte de diaporama des pépites, des meilleurs passages de chacun des agendas. C’est comme ça que je me suis dit que cela pourrait prendre la forme d’une vidéo, où je les manipule. Comme ça j’ai aussi un contrôle sur ce que je montre ou ne montre pas de ces espaces-là. Et les choses chez moi, se font de manière très intuitive. Le fait de faire une vidéo, c’est arrivé comme ça, et ce que je raconte aussi dans la vidéo, je l’ai fait de manière parlée, c’est-à-dire que je prenais l’agenda et je parlais en m’adressant à une copine que j’aime beaucoup, comme si elle était présente dans l’atelier. C’est une sorte d’écriture avec le cœur, je ne sais pas si on peut appeler ça comme ça. C’est faire confiance à l’intuition, à ce qui est vraiment essentiel dans chacun de ces objets qu’on m’avait confié. Évidemment, par moment je retournais la séquence, parce que je trouvais que, par exemple, il y avait un geste qui était beau mais le point n’était pas fait. J’ai un peu rejoué certaines scènes, mais l’écriture s’est faite de manière improvisée et parlée.
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CB : Tu vois les séminaires où tout le monde se présente en conférence d’une heure, moi je n’avais pas envie de faire une conférence, donc j’ai appelé des gens que je connaissais et avec qui j’ai travaillé pour qu’elles et eux me présentent avec leurs mots. Je n’aimais pas trop cette posture de l’artiste qui se présente, et j’aime ce côté amateur en fait. Je trouve qu’il y a quelque chose de très beau dans l’amateurisme, c’est qu’il y a aussi l’espace pour l’amour. Moi j’ai une idée de comment je veux me présenter, mais elles et eux avaient plein de petites portes d’entrées différentes et aussi des trouvailles langagières, iels avaient des manières de dire qui étaient super justes. Moi j’ai leurs conversations dans l’oreillette et je suis juste leur porte-parole. Un peu comme un médium qui viendrait entendre des voix et qui amplifie simplement un signal. Toutes ces petites pépites qu’iels avaient, ces formules que je trouvais justes, je les ai recopiées sur des fiches bristol, que je soulève en même temps que je l’énonce. C’est une manière de souligner la parole, et par exemple si tu devais faire un résumé, tu pourrais prendre juste en note ces fiches. J’appelle ça des notes de bas de paroles, c’est pour moi l’essentiel de ce qui doit être retenu. En réalité, ça s’est improvisé au fur et à mesure. Je n’avais pas l’idée de faire une conférence avec des sous-titres. D’ailleurs, par rapport aux états simultanés dont je parlais,
La présentation des présentations, je la fais de manière parlée, mais à un moment donné j’ai eu l’occasion d’imprimer, donc j’ai fait une version transcrite de cette présentation, c’est un leporello sur un A3 plié en zigzag. Encore une fois il y a la version parlée, la version éditée, et peut-être qu’il y aura une version audio un jour, je n’en sais rien, ça se fait en fonction des opportunités, c’est vivant comme matière.
[…]
CB : Alors, il y a deux manières de faire, par exemple
La mesure du temps c’est un projet que j’ai initié parce que j’avais cette envie là très forte. C’est un projet que j’ai financé moi-même, le temps de recherche, de création à l’atelier, le fait de travailler avec un ingénieur son... J’avais envie de faire cette pièce, donc j’ai pris sur mes économies pour prendre le temps de la créer. C’est une manière de faire quand il y a une envie qui est là et qui est trop forte, il faut qu’elle se réalise. Autrement, par exemple pour Le goût des rêves, la collection de récits de rêves racontés au réveil, j’étais invitée par Michel Dupuy au centre d’art art3 à Valence, et c’est parce qu’il y avait cet espace, ce temps, une rémunération et cette envie avec Michel Dupuy de travailler ensemble, que ce projet est apparu. Les nappés, le projet sur lequel je travaille en ce moment, c’est un appel à candidature pour une résidence que j’ai rédigé avec une amie, et on a pensé ce projet pour ce territoire. En ce moment je travaille sur une histoire des drapés, comment s’habiller en pans de tissus noués, et c’est moi qui suis en train d’écrire ça toute seule, on ne m’invite pas pour l’instant, il n’y a pas de date. Mais comme La mesure du temps, je le fais parce que c’est ce qui me passionne en ce moment. Il y a des choses qui viennent par la passion, et il y en a d’autres qui arrivent par des contextes et tu composes un projet en fonction.
[…]
CD : Qu’est-ce qui fait que quelque chose va retenir ton attention, et que tu auras envie d’explorer cette question ?
[…]
CB : C’est une bonne question. Pour tous les projets que je n’ai pas encore le temps de réaliser, depuis quelque temps je les écris, je fais des sortes de courtes nouvelles. Ça s’appelle
Les possibles, ce sont des histoires en quelques lignes qui racontent ce que sera le projet, comme si il était déjà réalisé. Et sinon je n’ai pas de réponse à t’apporter. Je pense que c’est une histoire de fréquence. Par exemple, l’intérêt pour les drapés, ça n’est pas venu comme ça, c’était une question qui m’intéressait déjà. Et puis, mon compagnon connaissant cette envie de faire quelque chose avec ça, m’a offert un sac simplement noué en furoshiki*[^ Technique japonaise de pliage et de nouage de tissu pour emballer des objets.]. Après, moi, je me suis posée des questions sur les sous-vêtements, et je suis tombée sur des culottes japonaises, un peu comme des pagnes, ce sont des vêtements juste noués, et j’ai trouvé que c’était hyper confortable. Après, on est parti en voyage en Grèce et il y avait du drapé tout le temps, partout où tu regardais, c’était que des toges. Alors, c’est que d’un seul coup, à un moment donné c’est une évidence, c’est partout autour de toi, tu ne vois que ça. Donc tu es obligée de faire quelque chose dessus. Mais ça prend du temps, les pliages de tissus, je pense que la première fois que j’ai commencé à y penser j’étais étudiante à Caen, en 2010. Il y a des projets qui sont là, et ils leur faut peut-être dix ans pour arriver à éclore. Alors qu’il y en a d’autres, par exemple la collection des premières pages, j’ai passé vachement de temps à retourner dans les bibliothèques, à emprunter tous les livres, à demander aux copines qui m’avaient prêté des livres pour pouvoir scanner toutes les premières pages. Donc j’ai toutes ces premières pages, le projet est là, mais il n’a pas encore trouvé d’espace physique pour que je puisse faire ma tapisserie de toutes mes premières pages, comme une sorte de bibliothèque de livres ouverts.
[…]
CB : Oui, et j’ai tout scanné, c’est prêt. Enfin j’ai un peu de retouche d’images à faire, mais conceptuellement la pièce est prête. Et j’ai même envie de faire des mobiliers, comme les échelles à rouler dans les vieilles bibliothèques. Ça serait des escabeaux à roulettes en bois, pour pouvoir aller lire sur toute la hauteur, parce que ça prendrait à mon avis quasiment tout le mur comme une vraie bibliothèque. C’est le genre de pièce qui est prête, il faut juste l’espace, le temps et l’argent pour la réaliser.
[…]
CB : J’ai été diplômée en 2011. J’ai fait un service civique, et après j’ai travaillé, j’étais responsable de la communication de l’école des beaux-arts à Caen où j’avais étudié, et j’ai commencé à être artiste en touchant le chômage suite à cette période de travail. C’est là où je suis venue vivre à Strasbourg pendant six mois. J’avais envie de faire une grande feuille de recherche comme un carnet de recherche, j’ai pu faire ça à temps plein Et j’ai commencé à vivre du fait d’être artiste en ayant aussi une économie hyper restreinte, en continuant à avoir entre guillemets cette vie d’étudiant où tu fais un petit peu attention à tout. Depuis 2013, je n’ai plus de métier à côté d’artiste, c’est-à-dire que c’est mes revenus, de performances, de workshops, de conférences, de résidences qui me permettent de vivre. A partir de 2019, que j’ai gagné quasiment 1500 euros par mois et c’était la première fois de ma vie. Avant j’avais une économie plutôt autour de 600, 700 euros mensuels par mes activités artistiques.

Garance Dor & Vincent Menu

GD : Ça fait partie des enjeux de la revue. Dès le départ on a eu cette envie-là. Alors non pas de pérenniser, justement toute la question était là. Comment faire pour ne pas muséifier les pratiques, comment faire pour les transmettre sans que ce soit des traces. Mais comment leur garder leur statut de projet à l’intérieur d’une archive ? Comment les transmettre, comment les conserver en leur donnant un statut de document actif, de document performatif.
[…]
GD : Alors, par rapport à des revues qui ont effectivement traité de la performance, nous on n’a pas de documents à l’intérieur. C’est-à-dire de documents qui soient de l’ordre de la trace. Par exemple il n’y a pas de photographies de spectacle ni de témoignages. On a essayé d’avoir un axe spécifique qui est celui du script, uniquement de l’œuvre. Bien évidemment il y a des traces du passé quand celles-ci ont existé, mais elles sont toujours projetées vers l’avant. Je crois que c’est ce qui nous différencie de ces magazines-là. Après, la question de l’économie je suis peut-être en train de m’en éloigner, mais… on avait envie que ce soit un bel objet accessible. Que tous lecteurs puissent l’acheter et que ce ne soit pas un objet luxueux. Donc le prix initial a été fixé un peu arbitrairement avec un seuil imaginaire qui était celui qu’on pourrait aisément dépenser nous-mêmes. C’était important pour nous, par rapport à la diffusion des partitions : ça devait être quelque chose qui se dissémine. On a décidé que ce serait payant malgré tout, on aurait pu opter pour la gratuité, mais il y a des coûts. Le prix de vente nous permet un tant soit peu de récupérer l’argent qui a servi à éditer la revue. Actuellement le financement de la revue, du moins son budget est uniquement lié aux coûts de fabrication. C’est-à-dire que tout l’argent de Véhicule sert pour les coûts d’impression, les achats de la pochette, les envois, etc. Ce qui veut dire que tout le reste est une activité bénévole : aussi bien au niveau des artistes que l’on invite que de nous-même.

Mathieu Tremblin

Les affiches téléchargeables, datées d’avant 2016, sont pensées pour des tirages au traceur noir parce qu’ils sont peu onéreux. Depuis 2016, il y a aussi des affiches couleurs ; c’est lié à l’essor du print-on-demand en ligne avec lequel on peut imprimer des petites séries pour un coût modeste. Cela témoigne aussi de l’évolution de la situation économique, du web marchand globalisé qui offre de nouvelles possibilités. Avant 2016, si je voulais faire une affiche en couleur en série pour la coller dans la rue, je la tirais en sérigraphie. Ce procédé nécessitait un certain traitement graphique qui induisait parfois au tirage des écarts entre l’image source et le multiple qui en résultait. Ces singularités, que d’autres auraient tendance à qualifier d’erreur ou de raté, m’ont toujours apparu comme un enjeu en soi, aussi parce que je ne voyais pas l’intérêt de rechercher un rendu industriel quand on produit de manière manuelle, artisanale. Lorsqu’on choisit un médium, il faut savoir exploiter ses spécificités et tester ses limites. Avec la reprographie ou le print-on-demand, il y a une différence inframince dans le processus de fabrication d’un reprographe à l’autre ou d’un imprimeur en ligne à l’autre. En définitive, c’est le même fichier numérique qui passe dans les machines. Ce n’est pas la compétence de l’imprimeur qui fait la singularité, c’est la chaîne de production : la personne qui va télécharger le fichier, qui va le transmettre au reprographe ou le téléverser en ligne, la manière dont l’impression va être emballée, transportée voire envoyée, etc. Peut-être qu’elle arrivera un peu pliée ou qu’elle manquera de densité parce que le toner est presque vide. C’est le cheminement qui va être intéressant dans la production et le fait d’avoir fait soi-même cette expérience assez émancipatrice d’apprendre « comment on fait pour lancer des impressions ». Potentiellement, la prochaine fois que cette personne aura envie de faire une affiche, elle saura à quoi doit ressembler le fichier à fournir au reprographe ou comment utiliser un imprimeur en ligne pour obtenir un tirage. Il y a aura eu la transmission d’un savoir d’usage à travers cette opération do it yourself.
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De fait, avec mon collègue David Renault lorsqu’on a commencé à faire des expositions en duo en 2008, on avait envie de faire des livres d’artiste pour rendre visible tout le travail d’enquête urbaine préalable qui inspirait nos œuvres et nos interventions. Comme on n’avait pas les moyens de faire des tirages à grande échelle, on éditait nous-même. On allait chez le reprographe, on en faisait un, deux, trois exemplaires. On en mettait un en consultation dans l’exposition, et voilà. Parfois, on documentait les œuvres de l’exposition et on en faisait un petit catalogue. Carton-pâte a constitué une réponse en actes à une des questions persistante à laquelle nous étions sans cesse confrontés : que se passe-t-il quand on a un budget de production et que le budget permet soit de produire l’exposition, soit de produire le catalogue, soit de se rémunérer, mais aucun des trois à la fois ? Celle-ci ouvrait à une autre plus précise : pourquoi notre rapport à l’édition devrait-il forcément se plier à des logiques de production industrielle, alors que lorsqu’on travaille dans l’espace urbain, on travaille à l’économie de moyens ?

Rencontre avec Denis Tricard

DT : Eh bien oui et c’est normal on est humain. Par exemple, une explosion, les gens ont envie de savoir, le fait divers c’est essentiel, oui les gens disent c’est poisseux, ce n’est pas bien, mais c’est la première chose qu’ils lisent. Moi j’appelle ça de l’hypocrisie c’est comme les gens qui disent qu’ils ne lisent pas la presse people, mais dans ce cas-là pourquoi ils en vendent tant ? C’est parce que les gens la lise en cachette, en réalité, ils se jettent dessus dans la salle d’attente du médecin. Je pense que ça flatte certains instincts, ça fait rêver ou au contraire ça fait peur, lire des faits divers un peu sordides. Des émissions comme Faites entrer l’accusé, ça cartonne, ça nous lie, la peur de la même chose. Comme l’histoire du mec qui a emmuré sa victime dans le cinéma Star, c’est un truc de dingue, enfin bon voilà.

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