Mot-clé : impression

Marcia Burnier & Nelly

MB : Y’avait un côté où, tu sais on se disait, je crois que si je… J’essaye de ne pas refaire l’histoire, mais il me semble que la chronologie c’est qu’il y a ça qui se passe à ce moment-là : Il y a le bouquin tiré de la thèse de Manon Labry qui sort, Riot Grrrls [^Ouvrage de Manon Labry, retraçant l’histoire du mouvement nord américain Riot Grrrl. Il est paru en 2016 aux Éditions La Découverte.], qui est sur l’histoire des Riot Grrrls. Ça parle pas mal de la pratique du zine, et je pense qu’il y a, à un moment donné, un truc où on se… en tout cas j’avais l’impression que c’était peut-être, je mets un peu la charrue avant les bœufs, mais j’avais l’impression qu’on s’était dit ça Nelly, c’était que c’est cool de publier sur Tumblr, mais à un moment donné, t’as aussi envie de créer un objet qui se diffuse en fait et qui permet de mettre en regards des textes différents. Et voilà, je crois qu’il y avait vraiment cette idée-là quoi, ce n’était pas juste « il se trouve qu’on écrit, qu’est-ce qu’on en fait ? », c’était aussi, « créons quelque chose », tu vois ? C’était assez cool on n’avait jamais fait ça avec Nelly, ni l’une ni l’autre, on avait regardé des tutos sur internet, mais il y avait aussi une question de faire un objet ensemble, de ces textes-là, et de les mettre en valeur.
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MB : Donc, ouais… je crois que ça c’est un truc. Moi j’ai découvert après toi Nelly. Tu m’as pas mal fait découvrir des zines ensuite. Mais moi c’est plutôt venu après, une fois qu’on s’est lancées, je me suis un peu intéressée et du coup maintenant j’ai une énorme zinothèque parce que j’ai développé une passion pour ça. Mais, c’est venu plutôt après et c’est vrai que j’avais l’impression que toi Nelly t’avais une bonne connaissance de ça, quoi !
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N : C’est ça, c’est que moi j’ai l’impression qu’on a été pas mal invitées à des endroits ce qui est bon, en vrai, un privilège chouette, mais c’est que je pense aussi que c’est parce qu’on était déjà assez insérées dans les milieux. En fait, on connaissait du monde, ce qu’on créait c’était du contenu féministe et queer qui, comment dire… Qu’en fait les gens en entendaient parler et que finalement, ça se faisait ! Enfin j’ai l’impression qu’on était facilement invitées dans des salons de trucs là… Il y avait un truc à la folie je crois… Ou enfin bref, il y avait plusieurs choses à Paris comme ça.
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MB : Bon ! Franchement le premier message politique qu’on voulait, c’était que les gens nous lisent ! Enfin, je crois qu’au départ c’était un peu ça, on écrivait, on avait envie de diffuser ce qu’on écrivait et ça partait de là. Mais je ne sais même pas si on en a discuté, j’ai l’impression que c’était assez clair qu’on ne voulait pas de mecs cis dans les contributions parce qu’on trouvait que y avait assez d’espace. Ah oui ! Non si ! Quand même, quand on a commencé à demander un peu à droite, à gauche des textes là, il me semble qu’assez vite on s’est dit : « pas de textes universitaires ! »
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N : Ouais c’est ça ! Ouais, ouais, moi j’ai l’impression que en fait, du fait qu’on s’est rencontrées et qu’on a créé ce zine, dans un truc en fait où on était plutôt sur des positions politiques similaires et qu’on le savait en fait, ça fait qu’il y a plein de choses qu’on n’a pas vraiment formalisé. On s’est pas dit « Ah en fait, ouais ». Mais que finalement ça a coulé de source que voilà, par exemple, enfin clairement on créait cet espace parce qu’on avait envie de donner la parole aux meufs et aux queer et pas aux mecs cis //ahah// Et que voilà, comme tu dis, on avait envie que ce soit plus de l’intime et du perso, et on voulait quelque chose qu’on ne voyait pas ailleurs. Ou qu’on voyait peu.
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MB : Oui je crois qu’il y a un enjeu très fort sur, quels textes ont le droit de cité en fait, dans l’espace public. Même dans l’espace des zines, je me rappelle qu’on avait essayé de les mettre sur infokiosque et qu’ils nous avaient refusées. Et, je ne pense pas spécialement pour le contenu, mais enfin eux ils disaient : « c’est pas trop… ». Ils ne comprenaient pas trop ce que c’était. « C’est quoi ? C’est un zine littéraire ? Mais pourquoi il y a plusieurs numéros ? C’est pas une brochure ? ». Enfin voilà, et c’est vrai que comme ce que Nelly disait tout à l’heure, c’est vraiment la question des influences états-uniennes voire anglo-saxonnes, enfin un peu plus large, sur le spoken word il y avait vraiment cette question : en France, on a du mal à valoriser les contenus intimes. Moi souvent, je me rends compte que comme les textes ne sont pas de la fiction, il y a très, très peu de fiction qui a été publiée. Je crois qu’on s’est essayées toutes les 2 une fois, mais c’est tout. C’est comment tu qualifies des textes qui sont littéraires, mais qui parlent de choses vécues ? Et en fait, dans plein de pays, ils parlent de non-fiction et ils ont aucun souci à considérer que c’est de la littérature. Et moi j’avais l’impression que nous on était très attachées à ça. À dire que, tout le monde a des choses à dire sur son expérience de personnes minorisée pour un certain nombre d’oppressions et que c’est important qu’on entende ces voix-là. Et qu’on ne le relègue pas uniquement dans la catégorie du témoignage, qu’on considère que c’est une question littéraire, que par ailleurs, ça a de la valeur dans un zine littéraire, et que les gens ont envie de l’écrire. Après, nous on faisait pratiquement 0 sélection au cours des 16 numéros. On l’a peut-être fait une ou 2 fois quand c’est… Quand ça rentrait vraiment pas du tout. Mais sinon, à priori on a toujours pris un peu ce que on nous envoyait, et on ne faisait pas non plus beaucoup de modifs. À moins que les gens nous le demande, mais il y avait un peu un côté : cet espace c’est aussi le vôtre quoi.
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N : Non, non, mais je suis assez d’accord avec ce que tu allais dire, enfin je ne sais pas ce que t’allais dire. Enfin, déjà comme disait Marcia tout à l’heure, au début, on avait des envies, mais alors on savait pas du tout que ça allait nous emmener jusque-là et donc on a commencé par, comment dire ? Les personnes qui participaient, c’était des personnes qu’on connaissait plutôt personnellement avec qui on était en contact. Du coup, pas tant des appels à textes. Je te faisais lire des textes déjà existants généralement comme nous, qui avaient soif en fait de cet espace, pour publier leurs textes et du coup… voilà. Jusqu’au moment où vraiment ça a pris de l’ampleur et où là des personnes qu’on ne connaissait pas nous ont contacté, parce qu’on laissait toujours l’adresse mail sur les zines. Du coup, il y avait ce truc où les gens, spontanément nous écrivaient aussi pour envoyer leur contribution. Et à un moment donné… je ne sais pas si je rate des étapes donc peut être que tu rajouteras Marcia ! Mais j’ai l’impression que du coup il y a eu ce moment où les personnes venaient contribuer spontanément etc. et qu’il y a eu un moment aussi où on s’est posé la question du thème parce qu’on commençait à faire vraiment pas mal de numéros. Et qu’on s’est dit « OK, peut-être qu’on a aussi envie de NOUS décider, qu’est-ce que… ’fin voilà que de faire des… d’avoir des fils un peu, comme ça à suivre ». Là on a commencé officiellement aussi à lancer des appels à textes. Voilà, c’était un peu plus dirigé, quoi.
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MB : On a dit que là, on avait envie de faire une pause, ça devenait compliqué matériellement, et parce qu’on est on n’habite pas au même endroit. Et que ça faisait quand même ça, et aussi parce qu’on commençait, enfin ça a commencé à faire beaucoup de boulot de diffusion parce que quand tu reçois des textes de gens, t’as aussi envie de prendre du temps pour diffuser ce que ce que les gens te filent et puis ça commence à faire beaucoup, 16 numéros. C’est beaucoup à diffuser pour 2 meufs qui ne font pas ça à plein temps et qui n’ont pas de moyens, donc on avait aussi ça, c’est qu’on n’avait plus trop de moyens d’impression possible. Ça devenait hyper compliqué et du coup on a mis en pause ouais.
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MB : On a bien ciblé quand même les librairies, ouais, voilà ! Et j’ai l’impression que de manière quasi-systématique, on a eu de très, très bons retours en librairie. On a d’ailleurs quasiment toujours tout vendu, on a plutôt eu des demandes de réassort. On ne les vendait pas à prix libre, non, ça ce n’était pas possible, on les vendait à 2€, il me semble.
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MB : Et c’est vrai que ça a démarré avec de l’impression sauvage et c’est un peu le principe du zine, hein. Je veux dire, pour moi. Après Nelly, toi je ne sais pas ce que t’en penses, mais moi j’ai été assez attachée à l’idée qu’un zine, ce n’est pas un magazine. Il n’y a pas de modèle financier derrière, il n’y a pas de ouais, j’sais pas, de business plan, ou un truc comme ça. Donc nous on a fait des impressions sauvages et puis on l’a fait à 2€ parce qu’il fallait que ça soit quand même accessible, sinon c’était prix libre. Et en vrai, non on n’a jamais… Ça a dû au début, un peu remboursé les cartouches d’encre et peut être un peu tes allers-retours en Ouigo depuis Marseille. J’ai l’impression qu’on a réussi à les financer à un moment donné, mais je veux dire, imprimer un livre de 40 pages en couleur ce n’est pas possible de financer ça avec du prix libre. //ahah//
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N : Non, non c’est vrai. On ne s’est pas fait de thune, on ne s’est pas… Le modèle financier est clairement défaillant ! Moi je me rappelle quand même quelqu’un qui nous avait demandé combien d’exemplaires on avait vendu, enfin nous en fait on n’a jamais tenu les comptes, donc, ouais. C’était… bon ça s’est fait au fil du temps quoi ! Et honnêtement je ne crois pas qu’on ait, ouais, réussi à rembourser. Enfin surtout vers la fin où on avait 16 exemplaires et qu’on se faisait des sessions d’impressions assez intenses. On n’a pas bien réfléchi notre business plan, quoi !
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Bon et après il y a eu 2 trucs : Je dirais qu’il y a eu certes, le fait qu’on a moins réussi à trouver des gens qui nous les imprimait donc il a fallu payer des fournitures. Mais aussi que je trouvais que dans la question d’une production artistique, de parler uniquement de coût de revient, combien ça te coûte les fournitures pour estimer ton travail, en fait c’est un peu biaisé, et ça nous prenait beaucoup de temps. Je ne sais pas, moi, j’ai eu l’impression Nelly, qu’on a eu pas mal ces conversations-là, au bout d’un moment. Que quand même bah ce temps-là, on ne le comptait jamais comme une dépense, ou comme un travail qui pourrait être compensé, même pas rémunéré mais juste compensé. Parce que j’ai le souvenir d’une fois une de nos premières zine fair, on avait dû faire 50 € on était limite… on avait l’impression qu’on ne méritait pas cet argent-là. Enfin tu vois, il y eu quand même un rapport à l’argent qui a été difficile et qui a évolué dans le temps quoi.
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N : Ah vas-y, je refais ! J’étais en train de dire que oui, moi j’ai l’impression aussi que le fait d’avoir été dans des zines fair, moi, y a eu ce truc, et on en avait parlé. Ça m’a fait prendre conscience qu’en fait il y a des gens qui vendent des zines à des prix… Enfin, comment dire, qu’il y avait aussi des fois des décalages de prix assez forts et que nous, là, on avait l’impression de demander TROP aux gens et quelque part, enfin, c’était aussi des choses que les gens étaient prêts à mettre et OK de mettre. Quelque part, dans cette espèce de culpabilisation par avance, y a aussi ce truc d’oublier que peut être parfois, les personnes ça leur fait plaisir de mettre de la thune dans des trucs qu’elles ont envie de lire et qu’elles ont envie de soutenir quoi. Et bon bref. C’est des discussions un peu difficiles je trouve et surtout quand on a cette espèce de posture anticapitaliste, où du coup on est là avec notre culpabilité et tout, et que ça peut, ouais, ça peut rendre les choses compliquées des fois je trouve. Voilà… Les réflexions là-dessus.
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MB : Oui et puis, on ne rémunérait pas les auteurs et les autrices, mais je crois que le truc c’est que ça aurait été… Je sais pas si tu te souviens Nelly, mais on avait eu une fois une question d’un journaliste qui avait fait un truc, qui nous avait demandé si c’était notre travail à plein temps ? On était là, « mais gars, on dégage 50€ de bénéfice sur 2 mois ! » Enfin, c’est toujours compliqué quand t’as pas du tout la capacité de rémunérer les gens même 10€. Mais en fait, tu dégages quand même assez de bénéfices pour te payer 2 pintes, et du coup t’as un peu l’impression, enfin tu te dis : « Ah ouais, mais du coup moi j’en tire… » Franchement, c’est des questions… Par ailleurs, c’est des sommes tellement dérisoires, moi maintenant ça me fait sourire, mais c’est vrai que sur le moment on était très attachées à discuter de ça.
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N : Non c’est clair, on n’en a jamais parlé. Moi j’aime bien le principe du prix libre, enfin je veux dire je trouve ça chouette, notamment dans des événements comme ça là, je trouve ça chouette qu’il puisse y avoir cette pratique du prix libre. Surtout quand derrière on n’avait pas trop de frais et que du coup, c’était un peu « hippie » déjà ça, mais que ça venait un peu du cœur quoi, on avait un peu un truc de, « bon on n’a pas l’impression de se faire carna parce que parce qu’on est en train de mettre du prix livre ».
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MB : Ouais moi je suis je suis assez d’accord. J’essaye de réfléchir, mais bon ça rejoint ce qu’on a dit, la question du prix pour moi, est quand même aussi vraiment liée aux conditions de production et… c’est pas un hasard à mon avis qu’on ait commencé à se poser la question du prix quand il y a eu plus de contributions, plus de gens, qui nous envoyait, que ça demandait plus de boulot et qu’évidemment on a commencé à payer les impressions ça c’est sûr que ça joue. Moi je crois qu’aujourd’hui, là où j’en suis, j’aurai plus envie de dépenser de l’argent pour que ce projet existe. J’aurais envie… Moi ça me va bien d’être à… enfin ne pas en dépenser, mais ne pas en gagner spécifiquement, mais par contre j’ai pas envie comme disait Nelly, d’en perdre. Ça, je trouve que… ça…
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MB : Il y a juste un truc, que je trouve qu’il faudrait rajouter. C’est aussi, enfin c’est peut-être, c’est bizarre, le lien que je fais, mais, j’ai l’impression que, nous l’idée ce n’était pas que notre zine soit pérenne, tu vois. On n’était pas dans un truc de : c’est notre formule et voilà, on était plutôt sur : regardez un zine c’est facile à faire, et tout le monde peut en faire et je crois qu’aussi on s’est… on a mis le zine en pause, dans un moment ou tout d’un coup il y a eu aussi plein de projets de zines qui ont commencé à sortir en France. Qui étaient plutôt… trop cools ! Moi j’ai l’impression qu’il y en a… Enfin qu’il y en a de plus en plus que c’est quelque chose dont les gens se sont emparés et du coup, c’est déjà arrivé évidemment, c’est pas la première fois que ça arrive, mais je trouve ça très chouette et je crois que c’est ça aussi la grosse différence avec un magazine où il y a une formule et t’as envie que ta formule soit justement pérenne, c’est ton but. Et que nous l’idée c’était un peu de dire mais, on n’est pas des pros et ça ne sera jamais pro et regardez, en fait tout le monde peut le faire et en fait, peut être si vous avez envie d’écrire des textes et de nous les envoyer, posez-vous d’abord la question de, est-ce que vous ne voudriez pas vous-mêmes faire un zine avec vos textes ? Enfin, je sais pas ce que tu en dit Nelly ?
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MB : Et ouais à l’écriture et à l’artistique ! Enfin je pense qu’il y a vraiment cet aspect-là qu’on oublie. Un zine c’est, enfin tu te rappelles Nelly quand je t’ai dit « vas-y on postule à cette expo collective à Toronto ? » En fait on a été prises dans une expo collective à Toronto, juste avant le covid en février 2020, et bah c’était un truc pour les artistes et y avait un peu le côté de dire « bah ouais, mais on est des artistes, vas-y c’est bon ! » Et je crois que ce rapport-là, en tout cas je dis ça parce qu’on a fait aussi des ateliers d’écriture et on a donné aussi des ateliers zines, et qu’en fait c’est aussi ça qui est aussi très présent chez les gens. C’est qu’on a l’impression que la pratique artistique est quelque chose qui est soit inaccessible, soit extrêmement compliquée, soit réservée à des gens qui sont créatifs depuis qu’ils ont 2 ans, voilà. Et moi, la première, j’étais vraiment terrorisée à l’idée, enfin, je disais tout le temps, « mais nous on ne fait pas de l’art, enfin on fait un zine, etc. », et il y a quelque chose de déculpabilisant sur ce côté-là je trouve. Quand tu fais des ateliers de fabrication de zines ou quand tu fabriques un zine et que tu montres que, bah nous, //je veux dire les séances de fabrication// on mettait du scotch et on se dit :
[…]
N : Alors moi je m’inquiète, vous me dites si vous ne m’entendez pas parce que j’ai l’impression que la connexion est de pire en pire ! Mais… oui moi je crois que… juste mon rapport à l’écriture il a été profondément transformé par ce projet, par cette expérience et par le fait de l’avoir partagé avec Marcia. En fait, juste je crois que dans ma vie je n’aurais pas passé autant de temps à écrire et à prendre au sérieux ce que j’écrivais s’il n’y avait pas eu ce projet en fait. Aussi, c’est que du coup ça a… « ça m’obligeait, tous les mois ou tous les 2 mois » ou quoi. J’avais envie de proposer quelque chose pour ce zine et j’y travaillais et j’y passait du temps et je pense que ça prenait de la place dans ma vie et ça m’a permis d’évoluer. Donc aujourd’hui, quand je regarde les textes que j’ai écrit il y a quelques années, j’ai un peu honte et en même temps je me dis bon bah ça fait partie du processus d’écriture. Et à ce moment, ’fin, quelque part, le fait de pouvoir voir l’évolution aussi c’est très chouette et après, moi par exemple, aujourd’hui, je suis restée très attachée à la forme du zine et j’ai envie de créer d’autres zines ou des choses comme ça, mais ça m’a aussi permis je crois, d’aller au… J’allais dire au bout d’un truc, c’est pas d’aller au bout d’un truc, mais d’explorer quelque chose, au point où je peux aussi en voir la limitation ce qui fait que, par exemple, moi aujourd’hui j’explore plus de l’oralité, donc peut-être des choses autour de la performance. Comme j’ai envie que ces textes-là, ils sortent juste de l’écrit et d’en faire aussi quelque chose avec mon corps, avec ce que je suis. Je pense que ça, en fait ça a aussi été permis parce qu’à un moment donné j’ai pu passer énormément de temps à écrire jusqu’au point de voir, je ne sais pas, comme la frontière quoi, et c’est ce que j’avais envie de faire dans l’étape d’après du coup. C’est chouette pour ça.
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N : Ouais, j’essaye de réfléchir justement… Je trouve ça pas évident. Je vois qu’en fait moi là où je suis surprise, mais ça rejoint un peu ce que disait Marcia, c’est que j’ai l’impression que le zine a un peu fait sa vie quelque part. Il a été aussi diffusé dans des endroits où moi des fois je découvre des trucs… des gens qui parlent de ça et je ne le savais même pas ! Et du coup je me dis que bon… Potentiellement, ouais il y a eu des fois où des personnes ont contribué, que finalement on n’a pas trop eu de nouvelles, derrière. Puis que, j’ai l’impression que des années après, je me rends compte de ce que ça a créé, que ça a été très chouette, mais juste que ça ne nous a pas été communiqué à nous ! Mais voilà ! Ouais, du coup, je ne sais pas sur ces histoires de retours. On avait à un moment donné eu cette espèce d’idée qui était apparue, de faire un évènement autour du zine. Et qu’au final ça n’avait jamais vraiment pris forme ! On voit peut-être que ça dit quelque chose aussi de cette histoire de rapport aux contributrices et contributeurs. Que ça ne s’est pas développé plus que ça, mais il y avait eu une émergence à un moment donné. Un petit truc comme ça qui ne s’est jamais fait ! //ahah//
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N : Mais moi j’ai plusieurs exemples qui me viennent en tête en fait. Bon, il y a des choses qui sont autour de la visibilité que ça donne et le fait que moi j’ai eu le sentiment à des moments aussi que je ne savais plus ce que les gens quand ils me rencontraient savaient de moi ou pas. Ça, c’est quand même un peu perturbant. Et puis, avec un côté un peu figé, parce que, par exemple, la personne qui a lu ton texte hier et qu’en fait toi tu l’as écrit il y a 3 ans, et qui te rencontre ensuite, avec l’impression de savoir un truc de toi hyper vrai, alors qu’en fait… Ça je trouve que c’est un peu bizarre dans les relations que ça créait, parfois. Je pense qu’il y a un truc aussi qui m’a bien fait réfléchir depuis. C’est le fait que j’ai vraiment sous-estimé, enfin comment dire. J’avais l’impression que je ne parlais que de moi, et que donc, ne parlant que de moi, j’avais le droit de dire tout ce que je voulais.
[…]
MB : Oui, oui là c’est bon, et c’est juste que t’as dit « j’avais l’impression que ça parlait que de moi » et après ça a coupé !
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MB : Moi j’avais eu… ça me fait penser que j’avais eu aussi le cas de quelqu’un qui m’avait dit « j’ai trop aimé le texte que t’as écrit à propos de moi » et j’étais là « euh », bon je pense que j’avais menti, j’avais dit « Ah ok, ouais », mais c’était pas du tout à propos de la personne ! Ouais des trucs comme ça ! Ou j’étais là genre mais « Ouhlala il y a visiblement eu un énorme malentendu ! » Ça, ça m’avait fait rire ouais ! Je m’étais dit : « Ah ouais en fait les gens quand même ils ne sont pas dans nos têtes. Donc, quand on écrit un texte, nous on a l’impression que c’est hyper limpide de qui on parle mais en fait, pas du tout ! ».

Mathieu Tremblin

Les affiches téléchargeables, datées d’avant 2016, sont pensées pour des tirages au traceur noir parce qu’ils sont peu onéreux. Depuis 2016, il y a aussi des affiches couleurs ; c’est lié à l’essor du print-on-demand en ligne avec lequel on peut imprimer des petites séries pour un coût modeste. Cela témoigne aussi de l’évolution de la situation économique, du web marchand globalisé qui offre de nouvelles possibilités. Avant 2016, si je voulais faire une affiche en couleur en série pour la coller dans la rue, je la tirais en sérigraphie. Ce procédé nécessitait un certain traitement graphique qui induisait parfois au tirage des écarts entre l’image source et le multiple qui en résultait. Ces singularités, que d’autres auraient tendance à qualifier d’erreur ou de raté, m’ont toujours apparu comme un enjeu en soi, aussi parce que je ne voyais pas l’intérêt de rechercher un rendu industriel quand on produit de manière manuelle, artisanale. Lorsqu’on choisit un médium, il faut savoir exploiter ses spécificités et tester ses limites. Avec la reprographie ou le print-on-demand, il y a une différence inframince dans le processus de fabrication d’un reprographe à l’autre ou d’un imprimeur en ligne à l’autre. En définitive, c’est le même fichier numérique qui passe dans les machines. Ce n’est pas la compétence de l’imprimeur qui fait la singularité, c’est la chaîne de production : la personne qui va télécharger le fichier, qui va le transmettre au reprographe ou le téléverser en ligne, la manière dont l’impression va être emballée, transportée voire envoyée, etc. Peut-être qu’elle arrivera un peu pliée ou qu’elle manquera de densité parce que le toner est presque vide. C’est le cheminement qui va être intéressant dans la production et le fait d’avoir fait soi-même cette expérience assez émancipatrice d’apprendre « comment on fait pour lancer des impressions ». Potentiellement, la prochaine fois que cette personne aura envie de faire une affiche, elle saura à quoi doit ressembler le fichier à fournir au reprographe ou comment utiliser un imprimeur en ligne pour obtenir un tirage. Il y a aura eu la transmission d’un savoir d’usage à travers cette opération do it yourself.
[…]
À partir du moment où les gens accèdent gratuitement aux fichiers d’impression, toutes les opérations qui vont suivre vont les amener à considérer le travail que représente le suivi de production. En investissant ce temps-là, ils n’ont certes pas payé l’artiste, mais ils vont se rendre compte de ce que ça coûte vraiment de produire de l’art, de produire des affiches ou des éditions. C’est-à-dire que c’est gracieux plus que gratuit, en définitive. Le basculement du copyright vers le copyleft se joue surtout dans la responsabilité individuelle qu’induit ce droit à la mise en circulation. Transposer des logiques de logiciels libres vers l’art confère une dimension programmatique à l’œuvre, mais le réel enjeu n’est pas juste dans la libération du joug propriétaire. C’est un point de départ. L’enjeu est dans l’activation du protocole : il faut faire les choses. Cette dimension opérationnelle de la pratique artistique à travers le prisme de l’édition do it yourself, c’est une manière d’initier les gens à la créativité. Se confronter aux questions techniques et se questionner sur les moyens de production est émancipateur en soi, au-delà du contenu de l’œuvre produite même.
[…]
Sur le principe, cette jaquette autorise beaucoup de souplesse quant à la forme de l’édition. Par exemple, si je fais un workshop de dessin avec un groupe d’habitants, plutôt que de limiter la restitution à une série de quelques reproductions en impression d’art et tirage limité, je peux choisir de produire une pile de photocopies de l’ensemble des dessins pour le même budget. L’enjeu, c’est de trouver un équilibre entre l’adresse de l’édition et le mode de production et de diffusion ; ce type de gestes aura une existence première au moment de son partage avec la communauté qui l’a co-créé. La principale raison pour laquelle ce genre de travail n’est pas diffusé au-delà de ce temps collectif, c’est que l’éditeur n’a pas forcément n’as pas les moyens de faire un pavé de plusieurs centaines de pages à chaque fois. Les temps de conception et de fabrication – qui peuvent être très courts, de quelques jours à quelques mois – sont totalement en décalage avec ceux de la rentabilisation marchande dans le milieu de l’édition – qui est de plusieurs années. Dans une recherche d’efficience, j’ai choisi de penser le fonctionnement et le modèle économique de la maison d’édition à partir du geste éditorial en lui-même comme composante du processus de création, plutôt que de post-produire en édition des gestes artistiques.
[…]
De cette manière de 2007 à 2016, au moment où j’ai réintégré au nouveau site web toutes les éditions réalisées avec David Renault à mesure des années, j’ai reposé des contraintes éditoriales très strictes. Les premières publications que nous avions faites entre 2006 et 2012 étaient certes en reprographie, mais le façonnage – dos carré collé et massicotage – ralentissait et complexifiait le processus. On perdait la spontanéité qui pouvait exister avec un fanzine un pli agrafé, on perdait cette urgence et cette fluidité du geste : on était dans l’attente de la livraison et on retombait dans une logique éditoriale plus classique. En 2016, j’ai donc normalisé toutes les publications pour revenir à l’essence de cette typologie éditoriale. Des publications qui intègrent dans sa forme les marges techniques autant comme contrainte que comme signature graphique – pas d’images à fond perdu – ; le moins d’impression couleur possible et le recours à des papiers de couleur tels q’on en trouve chez tous les reprographes – avec les trois grammages de papier 80, 120, 160 g/m2 les plus courants – ; une reliure à plat avec des relieurs d’archives ce qui permet de ne pas s’embêter avec l’imposition des pages puisque les pages sont imprimées dans l’ordre du chemin de fer – puisque la reliure n’est pas fermée, il y a la possibilité d’augmenter ou de modifier l’édition, avec l’ajout d’une traduction des textes dans un second temps par exemple.
[…]
MT : C’est ça. C’est-à-dire qu’au lieu de penser une maison d’édition en partant du socle d’un modèle économique, le modèle économique part de la pratique et vient accompagner l’existant, une typologie de pratiques. Quand tu fais de l’édition si tu veux avoir un prix abordable, il faut que tu fasses minimum 50–100–200 exemplaires, ce qui est intéressant si on travaille en reprographie, c’est qu’on peut payer au semestre voire à l’année, et que le budget permet de faire beaucoup de choses différentes. En fait, on peut avoir une économie d’échelle sans pour autant être obligé de penser cette économie en fonction des projets. Elle est pensée sur l’ensemble des activités éditoriales parce qu’elle est liée à la technique d’impression et pas à l’édition elle-même. Et cette élasticité budgétaire impose certes quelques contraintes formelles, mais elle ménage une marge de liberté créative.

Élise Gay & Kevin Donnot (E+K)

KD : Le projet s’inscrit dans un cycle un peu plus large qui s’appelle Mutation / Création, sur la question numérique de ces enjeux. Il se trouve que dans ce cycle, nous avions déjà réalisé un catalogue, Imprimer le Monde (2017) qui était le premier catalogue sur la question de l’impression 3D. Nous avions trouvé des techniques de mise en page, et utilisé des méthodes génératives pour travailler sur ce catalogue et pour générer des formes typographiques. Il y avait un vrai rapport entre le fond et la forme, l’idée c’était d’expérimenter un peu plus loin [...] d’inventer de nouveaux process de production qui soient cohérents avec le sujet. [...]
[…]
L’idée était d’utiliser le code comme un programme qui mette en forme. Nous n’utilisons pas InDesign pour faire de la mise en page sur ce projet, mais plutôt les spécifications des média print du langage CSS [...] Nous avons automatisé la mise en page. Nous avions repris un outil de OpenSource Publishing (OSP) qui s’appelle HTML2Print, qui permet de régir des marges, des fonds perdus et d’avoir un mode de visualisation et un mode d’impression.
[…]
KD : Il fallait que ce soit flexible, pour effectuer des corrections pas dans l’idée de mettre le livre à jour dans un second temps : parce que la technique d’impression est en offset et est tiré à deux ou trois milles exemplaires, donc nous n’allons pas en faire une mise à jour.
[…]
KD : La question de la mise à jour en édition est compliquée : soit nous nous situons en édition imprimée, dans ce cas la mise à jour est assez figée par les techniques de production, ou alors nous imprimons en numérique et faisons de l’impression à la demande. Soit c’est en ligne, et la question n’est pas de savoir si ça se met à jour, mais comment

Garance Dor & Vincent Menu

GD : Alors, par rapport à des revues qui ont effectivement traité de la performance, nous on n’a pas de documents à l’intérieur. C’est-à-dire de documents qui soient de l’ordre de la trace. Par exemple il n’y a pas de photographies de spectacle ni de témoignages. On a essayé d’avoir un axe spécifique qui est celui du script, uniquement de l’œuvre. Bien évidemment il y a des traces du passé quand celles-ci ont existé, mais elles sont toujours projetées vers l’avant. Je crois que c’est ce qui nous différencie de ces magazines-là. Après, la question de l’économie je suis peut-être en train de m’en éloigner, mais… on avait envie que ce soit un bel objet accessible. Que tous lecteurs puissent l’acheter et que ce ne soit pas un objet luxueux. Donc le prix initial a été fixé un peu arbitrairement avec un seuil imaginaire qui était celui qu’on pourrait aisément dépenser nous-mêmes. C’était important pour nous, par rapport à la diffusion des partitions : ça devait être quelque chose qui se dissémine. On a décidé que ce serait payant malgré tout, on aurait pu opter pour la gratuité, mais il y a des coûts. Le prix de vente nous permet un tant soit peu de récupérer l’argent qui a servi à éditer la revue. Actuellement le financement de la revue, du moins son budget est uniquement lié aux coûts de fabrication. C’est-à-dire que tout l’argent de Véhicule sert pour les coûts d’impression, les achats de la pochette, les envois, etc. Ce qui veut dire que tout le reste est une activité bénévole : aussi bien au niveau des artistes que l’on invite que de nous-même.
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VM : C’est vrai que la revue est aussi complexe à mettre en œuvre parce qu’elle est faite de différents éléments. On essaie d’optimiser au maximum : on prend une planche d’imprimerie et on cale tout dessus. On a quand même quelques parties qui sont imprimées en photocopie. On essaie de jongler avec différents modes d’impression et de fabrication, mais ça reste toujours des modes d’économies modestes.
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GD : Disons que cette interdisciplinarité, cette porosité fait qu’on ne correspond pas à une ligne très encadrée et institutionnelle. Donc il n’y a pas de financements de ce côté-là. Par contre on peut aller voir des structures très différentes dans le champ des arts plastiques, des galeries, aussi bien que des CDN [^Centre Dramatique National.], des théâtres, etc. pour essayer de tisser des liens. On essaie de les associer pour qu’ils nous fournissent une aide matérielle et financière concernant l’impression de la revue et également pour avoir un déploiement performatif de la revue. Ça devient des lieux d’accueils une fois que la revue est éditée pour faire des soirées, des moments publics. Mais ça reste très fragile au niveau financier.
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GD : Oui, c’est deux mois extrêmement pleins et comme ce n’est pas une activité économique, rentable, ça ne peut pas vraiment prendre plus de temps. Il faut bien qu’on condense ce temps-là au maximum, ça ne peut pas prendre tout l’espace, tout le temps. Malgré tout, il y a beaucoup d’autres temps de travail : Vincent parlait du temps de travail de réception des propositions, du dialogue avec les artistes et de mise en forme graphique, puis l’impression et finalement l’assemblage. Mais il y a aussi tout le travail de diffusion, et de recherches de partenaires qui est très chronophage, puisque la revue on la diffuse sur notre site et on l’envoie par la poste : il y a un système d’achat sur le site. Mais on essaie également de la diffuser en librairie et on a pas de diffuseur pour ça donc on est artistes-colporteurs avec notre revue sous le bras pour aller déposer la revue et intéresser des lieux. Et ça, ça prend beaucoup de temps, mais c’est essentiel en même temps pour la question de la diffusion. Il n’y a pas de partitions sans édition de partitions : sinon comment est-ce qu’elles voyagent ? Comment est-ce qu’elles se transmettent ? Mais l’édition nécessite la diffusion, et pour nous, c’est très important que la revue ne reste pas dans les cartons, mais qu’elle vive sa vie, qu’elle voyage.

Rencontre avec Denis Tricard

DT : C’est très vaste… Domaine historique, nous avons un petit musée de l’impression, ici vous avez l’aspect technique, avant nous avions 300 personnes qui travaillaient ici, les gens ici usaient des marbres, c’est-à-dire, ils bossaient sur des…
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DT : Oui il y a eu un jour, parce que problème d’impression, et parfois on fait des affichettes graphiques par exemple pour les élections, une affichette bleue. Mais bon, encore ce soir je vais m’amuser, ça parle de chips alsacienne… Pour résumer en trois lignes c’est hyper compliqué, il y a peut-être quelque chose à faire par là… Je pense qu’on est bon ?

Camille Bondon

CB : Alors ça, ça m’a été utile parce que j’ai commencé une pièce sur les archives de tout ce que j’ai lu. Je voulais collecter toutes les premières pages de tous les livres que j’avais lus. Et dans les agendas, j’ai cette archive de tous les livres, tous les films, tout ce que j’ai pu emmagasiner. Ça m’a servi aussi pour retrouver quelques dates, donc je les parcours, un peu comme on parcourt des albums photos, plutôt pour cette impression générale. Ce que je vais le plus relire ce sont mes carnets de travail, où j’ai une archive plus détaillée de toute l’évolution des projets. Là, je suis en train de faire une résidence où l’on crée collectivement des nappes pour des tables, des nappes publiques. Comme archive du projet j’ai commencé à rédiger un journal. En croisant les mails, les sms, les notes dans le carnet, j’ai pu reconstituer toute la genèse du projet. Les carnets me servent plutôt à ça, et aussi pour mémoriser tous les noms qu’on peut me donner, ou que je rencontre, ainsi que d’autres informations que j’y dépose... mais je ne vais pas les chercher tout de suite. Il y a aussi des moments de transition de carnets, où je viens passer en revue ce qui s’est passé dans le précédent, pour voir si j’ai exploré toutes les pistes qui étaient notées. Donc je m’en sers plutôt pour explorer les trois mois précédents. Mais je les garde, c’est mon petit trésor.

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