Mot-clé : objet

Garance Dor & Vincent Menu

GD : Je portais le projet à l’origine et je cherchais quelqu’un pour collaborer avec moi et il se trouve que j’ai rencontré Vincent par l’intermédiaire d’un poète performer qui s’appelle Christophe Fiat [^Christophe Fiat est un écrivain, poète, performeur et metteur en scène français.] avec qui Vincent avait déjà collaboré sur une revue. Donc j’ai fait part à Vincent de ce désir de revue qui avait pour objet la partition, et on a très rapidement commencé à collaborer ensemble. Au début, Vincent était là surtout pour la partie graphique de la revue.
[…]
CD : C’est marrant parce que j’avais justement écrit une question pour vous Garance, qui disait que justement vous êtes chercheuse, autrice, comédienne, éditrice, performeuse et Véhicule est un peu un objet ou espace qui fait le lien entre toutes ces activités.
[…]
CD : Mais c’est très hybride comme projet : c’est à la fois un objet à la fois un espace, à la fois des œuvres à la fois des documents, on a toujours cette ambivalence.
[…]
GD : Ça, ça revient avec l’idée de communauté c’est-à-dire qu’à un moment on s’est dit, mais c’est pas un collectif : ces gens-là ne se sont pas choisis. Ils font corpus parce que l’on décide de les mettre ensemble, mais comment faire pour qu’ils soient ensemble sans être attachés les uns aux autres ? Donc au sens propre, on a décidé de ne pas les relier. Mais qu’il y avait un contenant, une enveloppe : un espace commun. Et qu’à l’intérieur il s’agissait de publications singulières, sur des formats différents. Chaque artiste à son objet, son territoire à l’intérieur de cette espace partagé.
[…]
CD : Très bien, alors c’est un objet hybride, un espace, un objet... On s’est aussi posé des questions d’économie de l’œuvre dans ce genre de projet. Comment vous situez ces objets qui sont à la fois œuvre et documents, par rapport à d’autres publications avec lesquelles on peut faire des liens comme Shit Must Stop [^SMS (Shit Must Stop) est une collection d’éditions d’artistes conçus par William Copley et Dimitri Petrov. La collection a été publiée toutes les deux semaines de février à décembre 1968. Chaque numéro est composé d’œuvres d’art diverses aux formes variées.], Aspen [^Aspen (magazine) a été créé en 1965 par Phyllis Johnson, il a été le premier magazine prenant la forme d’un multiple, développé sous plusieurs dimensions. Il était édité sous la forme d’une boîte dans laquelle on pouvait trouver différents supports éditoriaux (cartes postales, affiches, enregistrements sonores, films etc.).] magazine… ?
[…]
GD : Alors, par rapport à des revues qui ont effectivement traité de la performance, nous on n’a pas de documents à l’intérieur. C’est-à-dire de documents qui soient de l’ordre de la trace. Par exemple il n’y a pas de photographies de spectacle ni de témoignages. On a essayé d’avoir un axe spécifique qui est celui du script, uniquement de l’œuvre. Bien évidemment il y a des traces du passé quand celles-ci ont existé, mais elles sont toujours projetées vers l’avant. Je crois que c’est ce qui nous différencie de ces magazines-là. Après, la question de l’économie je suis peut-être en train de m’en éloigner, mais… on avait envie que ce soit un bel objet accessible. Que tous lecteurs puissent l’acheter et que ce ne soit pas un objet luxueux. Donc le prix initial a été fixé un peu arbitrairement avec un seuil imaginaire qui était celui qu’on pourrait aisément dépenser nous-mêmes. C’était important pour nous, par rapport à la diffusion des partitions : ça devait être quelque chose qui se dissémine. On a décidé que ce serait payant malgré tout, on aurait pu opter pour la gratuité, mais il y a des coûts. Le prix de vente nous permet un tant soit peu de récupérer l’argent qui a servi à éditer la revue. Actuellement le financement de la revue, du moins son budget est uniquement lié aux coûts de fabrication. C’est-à-dire que tout l’argent de Véhicule sert pour les coûts d’impression, les achats de la pochette, les envois, etc. Ce qui veut dire que tout le reste est une activité bénévole : aussi bien au niveau des artistes que l’on invite que de nous-même.
[…]
GD : On précise que l’artiste peut le vendre lui-même, et donc en garder l’intégralité des bénéfices ou choisir de s’en servir comme un objet promotionnel pour montrer son travail. C’est ce qu’on peut faire aujourd’hui parce que l’on a du mal à réunir les fonds pour Véhicule, c’est à la fois une publication d’artiste économe : parce que l’on essaie quand même que ça nous coûte le moins cher possible. Mais c’est pas non plus de la photocopie, c’est de l’offset, sur un papier de qualité donc forcément par rapport à d’autres publications d’artistes on est pas dans une économie minimale comme certains ont pu le faire. Certaines publications d’artistes étaient soumises au nombre d’abonnés et le tirage fluctuait selon le nombre d’abonnés : ils ne tiraient que les exemplaires qui étaient déjà pré-achetés. Ce n’est pas notre cas.
[…]
VM : Des structures… C’est vrai que comme on est vraiment un objet hybride…
[…]
GD : Puisque c’est un objet qui est vraiment terminé à la main… Puisqu’il y a certaines choses que l’on est obligé de faire manuellement, par exemple dans le numéro 3, la proposition de Jacques Jouet il fallait insérer les textes dans les enveloppes. Il y avait certaines choses à agrafer, plier, et enfin rentrer chaque fascicule dans la pochette : c’est un travail manuel qui prend du temps.
[…]
GD : On ne l’a pas dit, mais Véhicule c’est un objet imprimé, un objet que l’on déploie de manière performative, mais il y a eu également plusieurs expositions à partir de la revue. C’est le troisième déploiement possible : il y a l’édition, les actions performatives, scéniques, publiques, et puis l’exposition. Et les modalités d’expositions sont intéressantes à réfléchir par rapport à ce type d’objet.

Camille Bondon

CB : Oui plutôt localement. Mais les save the date, qu’on peut avoir dans des mariages, c’était aussi une manière de prendre rendez-vous avec les gens, qu’ils aient quelque chose entre les mains. Et puis moi, j’ai ce goût du papier, c’était un prétexte à fabriquer un carton, un objet, une sorte de pochette surprise, avec plein de petits éléments. Ça, je l’ai diffusé à mon entourage, et puis je l’ai disposé dans des lieux d’art. Mais justement, les lieux d’art ça reste toujours un public habitué à la culture, et ce qui est intéressant c’est quand ça va un plus loin, quand c’est des amis d’amis qui d’un seul coup entendent parler du projet et se joignent à l’aventure. Donc il y a aussi le bouche à oreille qui est un bon outil de collecte.
[…]
CB : Elle a changé du moment où j’ai commencé à avoir des agendas, chaque fois les choses bougeaient. Je crois que j’ai atteint une acmé après avoir fait la vidéo de La mesure du temps, parce que je voulais noter encore plus de choses. Alors j’ai trouvé une marque d’agenda qui est incroyable, une marque japonaise qui s’appelle Hobonichi, qui résolvait un problème incroyable, parce qu’il y avait je crois quatre représentation du temps, il y avait l’année, il y avait le mois, la semaine et les journées. Et ça simultanément sur un papier bible, l’objet était très très beau. Tu pouvais jongler en granularité du temps, avoir plutôt une vision « globale » ou vraiment être dans chacune des heures de la journée. J’ai tenu six mois cet agenda-là, de manière encore plus précise que ce que j’avais fait jusqu’alors, je venais de m’acheter des crayons de couleur, et je me suis mise aussi à faire des dessins avec dedans. C’est devenu une occupation temporelle trop importante, je passais mon temps à rendre compte de ce que je faisais dans mon agenda, enfin ça devenait complètement insensé, de passer du temps à s’occuper de cet agenda. Ça coïncidait aussi à un moment où, il y a deux ans, j’ai mis tout mon atelier, ma maison dans un garage pour partir en voyage. Du coup je n’avais plus ce rapport-là au temps, je n’avais plus d’impératif, j’étais libre en fait. Il n’y avait plus de raison de noter le temps comme ça, parce que j’étais en voyage et donc j’ai arrêté d’avoir un agenda. Ça fait deux ans que j’en ai plus. Il y a des moments dans ta vie ou tu n’as pas besoin d’agenda, comme par exemple l’été où il se passe moins de choses, tu as moins besoin de noter. Là je me dis que pour la rentrée, je vais de nouveau en prendre un. Je suis plus alerte pour choisir ces choses-là et me dire qu’il n’y a pas d’obligation non plus de s’assigner à noter le temps de façon précise. J’avais ce besoin là à un moment donné mais ce n’est plus le cas maintenant.
[…]
CD : Tu produis beaucoup d’objets papier, et c’est une matière qui t’intéresse, mais je me demandais quelle place prenait les outils numériques dans ta pratique ? Est-ce que tu utilises par exemple des applications pour noter le temps justement ?
[…]
CD : Et pour collecter des témoignages, tu passes aussi par des réseaux sociaux, ou tu utilises uniquement des objets matériels, comme pour La mesure du temps?
[…]
CB : C’est un peu hybride, La mesure du temps il y avait ce carton, j’ai fait juste une fois une story sur les réseaux sociaux, et un type que je ne connaissais pas, Adrien, m’a envoyé son agenda. Finalement il y a toujours un ancrage papier parce que j’aime bien ça. Pour Le goût des rêves, j’avais édité une première fois des cartes de visite, et une deuxième fois une petite annonce, un peu comme les annonces de « marabouts », que j’avais dispersé sur mon lieu de vacances, parce que c’était juste le temps précédent le festival auquel j’allais participer. Donc il y a cet objet physique qui circule à un endroit, et les réseaux viennent compléter ces appels. Par exemple pour Les nappés on a collecté des histoires, mais ça s’est fait par correspondance papier, avec un premier cercle de complices qu’on avait sur le territoire. Là, on n’a pas ouvert un appel national, c’est une communauté plus restreinte, ancrée sur un territoire qui a répondu à cet appel. Donc ça dépend aussi des contextes des invitants. Pour Le goût des rêves, le projet devait se faire à Bataville à la fin de l’été dernier, il y a eu le Covid donc ça a changé les choses, mais je devais vraiment être sur place, faire du porte à porte et récolter une matière onirique sur le territoire où allait se diffuser les récits. Ce sont les projets aussi qui guident leurs besoins, et puis après ma capacité à gérer ce que je reçois, parce que recevoir des rêves tous les jours, les écouter, faire des retours aux rêveuses, finalement c’est un temps que je ne peux pas étendre à l’infini. Donc c’est bien par moment aussi de restreindre ces appels-là.
[…]
CB : Je dirais qu’en premier, il y a une envie. Par exemple, pour La mesure du temps, c’était de parler du temps. Mais c’était juste cette envie-là, de parler du sujet de la temporalité, de comment elle s’écoule. Moi j’ai commencé par avoir l’intuition que je voulais avoir des objets physiques, je ne savais pas pourquoi, mais je voulais qu’on me donne des agendas. On m’en a donné, mais après, je me suis rendue compte qu’il y avait aussi des agendas immatériels, numériques, et les gens qui n’en ont pas. Je me suis donc demandée comment je pouvais faire rentrer ces récits, ces temps d’entretiens que j’ai passé avec les gens. Au début je voulais manipuler les agendas, faire un temps physique où je montrais les agendas, les endroits qui m’intéressaient en particulier. Et plus j’en parlais autour de moi, plus je me rendais compte qu’ils étaient un terrain privé. Il fallait que je protège aussi cet espace-là. Et c’est justement en en parlant à chaque fois quand il y avait des gens qui passaient à l’atelier, que je me rendais compte que je faisais une sorte de diaporama des pépites, des meilleurs passages de chacun des agendas. C’est comme ça que je me suis dit que cela pourrait prendre la forme d’une vidéo, où je les manipule. Comme ça j’ai aussi un contrôle sur ce que je montre ou ne montre pas de ces espaces-là. Et les choses chez moi, se font de manière très intuitive. Le fait de faire une vidéo, c’est arrivé comme ça, et ce que je raconte aussi dans la vidéo, je l’ai fait de manière parlée, c’est-à-dire que je prenais l’agenda et je parlais en m’adressant à une copine que j’aime beaucoup, comme si elle était présente dans l’atelier. C’est une sorte d’écriture avec le cœur, je ne sais pas si on peut appeler ça comme ça. C’est faire confiance à l’intuition, à ce qui est vraiment essentiel dans chacun de ces objets qu’on m’avait confié. Évidemment, par moment je retournais la séquence, parce que je trouvais que, par exemple, il y avait un geste qui était beau mais le point n’était pas fait. J’ai un peu rejoué certaines scènes, mais l’écriture s’est faite de manière improvisée et parlée.
[…]
CB : C’est une bonne question. Pour tous les projets que je n’ai pas encore le temps de réaliser, depuis quelque temps je les écris, je fais des sortes de courtes nouvelles. Ça s’appelle Les possibles, ce sont des histoires en quelques lignes qui racontent ce que sera le projet, comme si il était déjà réalisé. Et sinon je n’ai pas de réponse à t’apporter. Je pense que c’est une histoire de fréquence. Par exemple, l’intérêt pour les drapés, ça n’est pas venu comme ça, c’était une question qui m’intéressait déjà. Et puis, mon compagnon connaissant cette envie de faire quelque chose avec ça, m’a offert un sac simplement noué en furoshiki[^ Technique japonaise de pliage et de nouage de tissu pour emballer des objets.]. Après, moi, je me suis posée des questions sur les sous-vêtements, et je suis tombée sur des culottes japonaises, un peu comme des pagnes, ce sont des vêtements juste noués, et j’ai trouvé que c’était hyper confortable. Après, on est parti en voyage en Grèce et il y avait du drapé tout le temps, partout où tu regardais, c’était que des toges. Alors, c’est que d’un seul coup, à un moment donné c’est une évidence, c’est partout autour de toi, tu ne vois que ça. Donc tu es obligée de faire quelque chose dessus. Mais ça prend du temps, les pliages de tissus, je pense que la première fois que j’ai commencé à y penser j’étais étudiante à Caen, en 2010. Il y a des projets qui sont là, et ils leur faut peut-être dix ans pour arriver à éclore. Alors qu’il y en a d’autres, par exemple la collection des premières pages, j’ai passé vachement de temps à retourner dans les bibliothèques, à emprunter tous les livres, à demander aux copines qui m’avaient prêté des livres pour pouvoir scanner toutes les premières pages. Donc j’ai toutes ces premières pages, le projet est là, mais il n’a pas encore trouvé d’espace physique pour que je puisse faire ma tapisserie de toutes mes premières pages, comme une sorte de bibliothèque de livres ouverts.

Mathieu Tremblin

PM : D’accord. Et j’ai vu qu’il y avait beaucoup de choses sur le site des Éditions Carton-Pâte qu’on pouvait télécharger gratuitement et imprimer à la maison. Je me demandais si cette forme d’appropriation par les gens qui visitent le site web, qui vont pouvoir télécharger et imprimer les objets, découle de la mise en public de ton travail dans la rue ?
[…]
MT : La typologie de gestes éditoriaux en question, c’est celle qui part du fanzine et qui va jusqu’au livre-objet, en passant par les multiples supports que l’on retrouve disséminés dans notre quotidien urbain : affiche, autocollant, tract, etc. Il est question de conserver la liberté formelle et conceptuelle qui a pu exister avec les premiers livres d’artiste des années 1960 qui étaient très artisanaux ; certains artistes ont pris le parti de s’affranchir totalement des conventions éditoriales en faisant par exemple disparaître les informations éditoriales, en n’ayant pas de numéro ISBN voir en effaçant jusqu’à leur propre nom. Le passage au numérique permet de dessiner un cadre éditorial professionnel et une traçabilité où ces informations qui deviennent comme des sortes de métadonnées en ex-libris et de rejouer dans le même temps cette dimension bricolée. C’est d’ailleurs la fonction de la jaquette à motif de papier marbré – l’identité de Carton-pâte – qui vient « encapsuler » les éditions du catalogue et indexer les informations du contexte de création, qui dès lors n’ont pas la nécessité d’apparaître dans l’édition même.
[…]
PM : Je rebondis sur ce que tu disais tout à l’heure, le fait de distribuer une pile de papier par exemple lors d’un workshop ou une exposition. Ton travail avec les éditions Carton-Pâte ça va être de trouver une forme qui ne trahisse pas cette première vie des objets, mais qui puisse être reproduite et distribuée ailleurs que dans cet espace premier ?
[…]
MT : Oui, tout à fait. En fait, j’évite de transformer ma documentation en œuvre-objet puisque je veux privilégier l’expérience de l’œuvre sur le terrain urbain. C’est un des paradoxe de la performance dans les années 1960 : voulant échapper à la matérialité de l’œuvre, les artistes ont proposé des expériences à vivre. Mais, pour exister dans le monde de l’art, ils ont recouru au document afin de pouvoir renseigner leur pratique. Seulement, le marché s’est saisi de cette documentation, et finalement ce qui est présenté aujourd’hui dans les collections, c’est plus souvent ce document-œuvre que l’œuvre immatérielle, la performance, qui aurait pu pourtant être réitérée. Il y a bien entendu des exceptions : le FRAC Lorraine, par exemple, acquiert des protocoles, ce qui permet de maintenir le geste artistique dans le régime de l’expérience et le prévient de basculer dans celui de l’image ou de la trace. J’ai fait diverses tentatives pour produire des documents qui renseignent le processus créatif et le principe de l’intervention sans pour autant épuiser l’expérience située. J’ai réalisé un Tag Clouds sur le volet roulant de la boutique Colombier Optique en 2010, pendant une exposition qui s’appelait « Outsiders » et qui se déroulait au Phakt – centre culturel Colombier à Rennes. Au moment de l’ouverture de l’exposition, j’avais fait une contribution pour la revue gratuite à emporter S/M/L/XL que la structure éditait et qui consistait en une affiche A2 imprimée en recto verso : Tag Clouds Wallpaper. Au recto, tu avais les tags, et au verso tu avais la version transcrite en nuage de mots. Pour obtenir l’autorisation de l’opticienne à intervenir sur le volet roulant de sa boutique, j’avais dû produire cette simulation ; une démarche qui rejouait celle du writer qui répond à une commande de décoration. La série Study Sketches, ce sont tous dessins préliminaires que j’avais produits avant de réaliser les Tag Clouds, lors de phases de repérage pour visualiser ce qu’une intervention donnerait. Même s’ils restent à l’état de potentialité, il n’y a pas de différence formelle avec ceux que j’ai réalisé : pour préparer les pochoirs nécessaires à la peinture murale, il faut passer par cette phase de simulation. Ce qui fait leur intérêt in fine par rapport aux interventions c’est que tu n’as plus l’image de référence, le hall of fame des tags, tu peux le regarder pour eux-même. Cela raconte autre chose que l’intervention, cela évoque un autre rapport à la ville, plus focalisé les écritures exposées, sur le rapport à l’information intangible des usages numériques des citoyens qui vient augmenter l’expérience urbaine.
[…]
MT : En fait je suis toujours très pragmatique, je pars toujours des usages que j’aurais moi-même des objets, donc oui, effectivement, ce qui me plaît c’est que les gens téléchargent, impriment et accrochent chez eux l’affiche, puisque que les tags que je dessine ne m’appartiennent pas. Il y a certes un geste d’auteur derrière cette mise en forme, mais quand tu fais un travail, tu l’adresses à quelqu’un. Or, cette série c’est presque un exercice de style qui ne trouve justement une adresse que lorsque quelqu’un va le regarder en soi, prendre l’initiative de l’accrocher chez lui ou l’utiliser en document dans un mémoire de recherche. Je me suis pas projeté dans un usage en particulier, même s’il est probable que ces affiches se retrouvent collées dans la rue à un moment donné si cela fait sens. J’ai tendance à concevoir des gestes dans un rapport contextuel, donc dans ce cas, il serait plus vraisemblable que réalise directement l’intervention plutôt qu’un collage d’affiche de croquis préparatoire.
[…]
PM : Par rapport à l’adresse de ces objets, qui vont peut-être se retrouver chez des gens ou être collés dans la rue, je me demandais si le fait d’éditer ton travail c’était une manière de le pérenniser ?
[…]
Hic et nunc, l’expression est duplice. Elle est teintée de nihilisme, elle s’accorde parfaitement avec le carpe diem consumériste et la déresponsabilisation qui en découle. Et en même temps, elle me semble aussi renvoyer à une empathie extrême envers son environnement : c’est essentiel d’être présent à soi et aux autres, d’être présent à la ville. Mais ce n’est pas du tout quelque chose d’évident. Avec la société de consommation, on est dans la projection permanente, dans un effacement du rapport au temps et à l’espace. La globalisation annihile toutes les distances et nous pousse à embrasser un désir illimité. Or, c’est une figure impossible dans le monde fini qui est le nôtre. Être ici et maintenant, c’est considérer son désir, la possibilité de le réaliser et de le partager ; ou de le minorer voire de s’en défaire si cela est nécessaire et salutaire. Cela me renvoie particulièrement au contexte de la pandémie. Cette double lecture de l’expression a pu encourager le pouvoir politique à des injonctions contradictoires. Il y a eu des décisions clairement mues par des intérêts privés, au service de la machine économique ; et d’autres, liberticides et absurdes, dont l’objet était d’affirmer un semblant d’autorité et de contrôle, pour rester maître du récit médiatique. Mais je m’égare un peu.

Marcia Burnier & Nelly

CD : Ok, ça marche. Donc l’idée c’était que… On travaille sur une biennale qui s’appelle Exemplaires et qui a lieu à Toulouse à l’automne 2021. Donc c’est une biennale qui porte sur les exemplaires et sur l’objet imprimé contemporain et nous, on a choisi d’orienter nos réflexions sur l’ici et maintenant, donc au vu du contexte actuel, ça faisait assez sens, et on a surtout choisi votre zine pour des questions qui portent sur l’urgence, le lien à la communauté, le peer to peer, la diffusion dans des espaces spécifiques et locaux. Voilà, donc c’est des questions que je vais ré-aborder dans ce que j’ai préparé pour vous. Mais j’aimerais aussi, peut être avoir plus d’informations sur le moment où vous vous êtes rencontrées. Qui est dans le… le collectif le Gang ? C’est ça ? L’association, collectif ?
[…]
MB : Y’avait un côté où, tu sais on se disait, je crois que si je… J’essaye de ne pas refaire l’histoire, mais il me semble que la chronologie c’est qu’il y a ça qui se passe à ce moment-là : Il y a le bouquin tiré de la thèse de Manon Labry qui sort, Riot Grrrls [^Ouvrage de Manon Labry, retraçant l’histoire du mouvement nord américain Riot Grrrl. Il est paru en 2016 aux Éditions La Découverte.], qui est sur l’histoire des Riot Grrrls. Ça parle pas mal de la pratique du zine, et je pense qu’il y a, à un moment donné, un truc où on se… en tout cas j’avais l’impression que c’était peut-être, je mets un peu la charrue avant les bœufs, mais j’avais l’impression qu’on s’était dit ça Nelly, c’était que c’est cool de publier sur Tumblr, mais à un moment donné, t’as aussi envie de créer un objet qui se diffuse en fait et qui permet de mettre en regards des textes différents. Et voilà, je crois qu’il y avait vraiment cette idée-là quoi, ce n’était pas juste « il se trouve qu’on écrit, qu’est-ce qu’on en fait ? », c’était aussi, « créons quelque chose », tu vois ? C’était assez cool on n’avait jamais fait ça avec Nelly, ni l’une ni l’autre, on avait regardé des tutos sur internet, mais il y avait aussi une question de faire un objet ensemble, de ces textes-là, et de les mettre en valeur.
[…]
CD : Mais d’ailleurs, vous aviez envie créer quelque part un espace de parole, de partage au sein d’un objet particulier ? Comment est-ce que vous avez mis ça en place ? Est-ce que vous aviez envie de laisser le zine, uniquement entre vous deux, ou alors d’ouvrir les contributions ou alors est-ce que ça s’est fait progressivement ? Comment est-ce que vous avez créé des liens avec les personnes que vous vouliez contacter ? Euh voilà, tout ça.
[…]
N : Euh, bah je peux en dire un peu quelque chose. En fait, effectivement, comme disait Marcia, le départ c’est que nous de toutes les façons on écrivait des choses mais on avait envie de créer cet objet, ce média littéraire par manque d’autres espaces et par envie aussi de voilà, de proposer quelque chose. Et le truc c’est que, ça s’est quand même beaucoup centré au départ sur nos textes. Mais, parce que je pense, pour moi en tout cas, je sais que, il y avait aussi une forme de frustration. De ne pas vraiment avoir d’espace où publier, donc je pense on est parties de nous quoi. Mais dans le premier, est-ce qu’il n’y a que nous ? Ou est-ce qu’il y a déjà… On avait déjà commencé à contacter des personnes ?
[…]
CD : Non, comment est-ce que vous vous réunissiez ? Est-ce que vous aviez défini des espaces en particulier ou alors est-ce que c’était par biais numérique ? Comment est-ce que vous mettiez en place les sessions pour la création du zine entre vous ? Quels objets est-ce vous réunissiez, est ce que vous vous serviez aussi du contenu Tumblr que vous aviez ? Euh… est-ce que les deux sont un peu perméables ?

Julie Blanc & Quentin Juhel

QJ : Je vais revenir sur le terme « catalogue » : ce n’était pas vraiment un catalogue, c’était plutôt un objet manifeste. C’était le deuxième événement de PrePostPrint qui était marqué par la rencontre de différents acteurs : graphistes, développeurs, chercheurs, éditeurs, qui faisaient et qui font encore des publications imprimées avec les langages du web. Donc il s’agissait d’une réunion réelle, avec une réunion entre nous et avec le mini-festival, et cet ouvrage est à la fois un catalogue des gens présents, des potentialités du web2print ainsi que d’autres langages de programmation. Cela a été assez compliqué à mettre en place, notamment ces questions de polyfill. Tu vois ce que c’est qu’un polyfill ?
[…]
JB : Il fallait que l’objet ne soit pas cher pour que les étudiants puissent l’acheter. C’était aussi une volonté de PrePostPrint.
[…]
Heureusement qu’il y avait un format imposé, compte tenu du peu de temps que nous avions pour produire l’objet.
[…]
QJ : Quand je disais manifeste, ce n’est pas tant par le discours mais plus par l’objet. Dans le monde de la production industrielle, c’est en fait assez lambda. Pour les graphistes venant des écoles d’art et de design, ce n’est pas vraiment connu ; aux Arts décoratif de Strasbourg – où j’ai suivi un cursus en graphisme – nous étudions ces techniques de production de livre, d’automatisation de mise en page par des algorithmes.

Élise Gay & Kevin Donnot (E+K)

Élise Gay et Kévin Donnot forment un duo de graphistes spécialisé dans des projets éditoriaux aussi bien sur format papier que support écran. Dans le cadre des expositions du cycle « Mutation/Création », le centre Georges Pompidou leur a donné carte blanche, avec les éditions HYX, pour produire les catalogues de ses expositions. Leurs différents catalogues sont des objets-manifestes, mêlant design graphique et design programmatique.
[…]
EG : La version numérique de Back Office, c’était une des premières fois nous avons vraiment pu penser à la lecture sur écran sur du texte long. Cela pose beaucoup de contrainte, nous avons essayé de retrouver des astuces qui aide à la lisibilité, avec le compteur de lignes, pour réussir à se situer dans un texte, c’est quelque chose qui est complètement évident avec un ouvrage papier qui un objet est très sensible, avec la lecture en ligne c’est complément perdu. Il était important pour nous de le rendre sensible au maximum ; c’est pour cela qu’il y a un pourcentage de lecture sur le sommaire.

Rencontre avec Denis Tricard

YMN : Il faudrait peut-être revaloriser l’objet par exemple en graphisme c’est un objet qui suscite beaucoup d’intérêt, peut être marginal… Clara tu voulais dire quelque chose ?

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit END.