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Élise Gay & Kevin Donnot (E+K)
KD : Le projet s’inscrit dans un cycle un peu plus large qui s’appelle Mutation / Création, sur la question numérique de ces enjeux. Il se trouve que dans ce cycle, nous avions déjà réalisé un catalogue, Imprimer le Monde (2017) qui était le premier catalogue sur la question de l’impression 3D. Nous avions trouvé des techniques de mise en page, et utilisé des méthodes génératives pour travailler sur ce catalogue et pour générer des formes typographiques. Il y avait un vrai rapport entre le fond et la forme, l’idée c’était d’expérimenter un peu plus loin [...] d’inventer de nouveaux process de production qui soient cohérents avec le sujet. [...]
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L’idée était d’utiliser le code comme un programme qui mette en forme. Nous n’utilisons pas InDesign pour faire de la mise en page sur ce projet, mais plutôt les spécifications des média print du langage CSS [...] Nous avons automatisé la mise en page. Nous avions repris un outil de OpenSource Publishing (OSP) qui s’appelle HTML2Print, qui permet de régir des marges, des fonds perdus et d’avoir un mode de visualisation et un mode d’impression.
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Avec HTML2Print, nous avons balisé tous les contenus dans un langage qui s’appelle Markdown et YAML, tout le livre est rangé dans des dossiers avec des petits fichiers textes et nous avons développé un backoffice, un CMS custom [...] Il y a un système de gestion de contenu en PHP comme sur un site web qui vient récupérer tous les contenus et qui les preprocess pour générer des pages HTML, qui sont ensuite interprétées avec une feuille de style CSS particulière pour l'imprimé.
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EG : et donc faire une mise en page.
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KD : C’est une logique d’agencement et de combinatoire. L’idée, c’est d’associer des petits outils qui effectuent des tâches minimales, ou de développer de tout petits outils, à l’instar de ce petit système de gestion de contenu. Puis de brancher les choses ensemble pour arriver à un résultat particulier. Pour Coder le Monde, le fait d’avoir balisé l’ensemble du contenu permet de faire des références entre toutes les différentes itérations, les différentes occurrences d’un même terme. Le livre s’ouvre donc sur 48 pages d’index qui viennent donner les récurrences des pages. Il y a un index des noms, un index des noms d’œuvres il y a un index des langages. Il nous paraissait intéressant à lire en tant que tel, c’est intéressant de rapprocher « Farah Atassi » de « Jean-Sébastien Bach » [...] cela créé une espèce de générique qui fait sens et en même temps avec les références de pages, cela produit une sorte de visualisation de données des nombres d’occurrences.
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EG : La mise en page se fait automatiquement et les références de page aussi, c’est-à-dire que le programme sait à quelles pages il va retrouver « Vera Molnár » sur l’ensemble du catalogue, et ajoute les références de page automatiquement.
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KD : La programmation permet donc dans ce projet, d’avoir des fonctionnements automatiques. Toute la spécificité du livre c’est qu’à l’intérieur des pages texte, à chaque occurrence d’un nom, d’un nom de projet ou d’un langage, un algorithme produit comme une espèce d’hypertexte, c’est-à-dire qu’à chaque occurrence, on retrouve les références des autres pages où l’occurrence est citée. [...] Cela permet de circuler de façon non-linéaire dans le texte et de rejouer un fonctionnement qui serait hypertextuel, un peu plus proche du web, non linéaire.
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EG : C’est quelque chose que nous ne pouvons pas du tout faire sans automatisation d’un programme, il y a plusieurs millions de liens et dès que nous ajoutons des références, un mot se retrouve d’une page à l’autre. Il faudrait revérifier sans arrêt les références. Ce qui nous intéresse c’est que la programmation, le code, nous serve à faire quelque chose que nous ne pouvons pas faire autrement.
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Pour pouvoir faire les drapeaux de notre texte, nous avons été obligés de développer un petit module à HTML2Print permettant de faire des retours à la ligne de façon « soft ». Quand il y a un nom, la ligne devient beaucoup plus longue avec les annotations de pages. Tout cela implique une énorme complexité qu’on ne voit pas à la fin, parce que la mise en page s’inspire volontairement d’exemples historiques.
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EG : Le contenu est traité en ligne et ensuite un programme met en page.
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EG : Pour une collection où la mise en page est toujours la même, où il y a beaucoup de texte, cet outil est idéal parce que la mise en page est assez facilement automatisable. Nous le paramétrons une fois. Puis les notes de bas de page se font automatiquement avec l’outil d’InDesign. C’est uniquement sur ce genre de contenu que l’outil fonctionne très bien.
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On nous le demande assez souvent. Nous utilisons cet outil là pour plusieurs projets différents, il suffit que le JavaScript sorte une autre mise en page.
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EG : La mise en page est très rapide, il faut juste poser les images et c’est assez précis.
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EG : L’outil s’attache sur l’occurrence des champs lexicaux sur une même double pages.
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C’est un peu laborieux mais assez simple, nous avions copié-collé chaque double page dans l’outil. Puis il ressort les nombres d’occurrences. Nous avons exclu les petits termes (le, la, les etc..) et toute la syntaxe. Il met en exergue tous les mots interconnectés.
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Mais j’ai tendance à redévelopper des choses qui existent déjà alors que ce n’est pas forcément utile dans le projet. C’était bien plus rapide de faire des copier-coller de chaque double page, même si ça parait un peu aberrant et très facilement automatisable. Mais c’était dix fois plus rapide que de redévelopper un système d’analyse sémantique qui aurait pu avoir lu dans une boucle tout le texte.
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EG : À partir du moment où c’était une revue thématique, il fallait qu’il y ait une mise en page qui puisse s’adapter à tous les sujets. Autant à l’inverse des projets dont nous venons de parler, où la mise en forme est vraiment liée à la thématique du projet. Il fallait qu’elles puissent accueillir des sujets différents et qu’elle soit relativement neutre, tout en permettant d’être flexible pour intégrer des contenus très variés.
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KD : Et il y a aussi des échos à la version imprimée : les notes de bas de page et l’iconographie arrivent de façon synchrone dans Back Office, les notes sont sur les mêmes doubles pages et placées de façon un peu éclatées en fonction du contenu et de la grille. Sur la version en ligne elles arrivent de façon synchrone à la hauteur de l’appel de note. Il y a pas mal d’écho que nous avons essayé de faire. Nous nous sommes posés plein de questions sur cette version numérique : si nous faisions du epub, si nous publions sur CAIRN ou si nous faisions une application ... Nous avons heureusement été assez justes en ne faisant pas d’application, aujourd’hui toutes les applications que nous avons faites ne sont pas maintenables. ...
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EG : Pour ce numéro nous sommes à plus de 500 images ; ce qui est peut-être 5 fois plus que d’habitude pour le même nombre de pages, et le même nombre de signes. Donc elle est plus dense, elle évolue lentement.
Julie Blanc & Quentin Juhel
Au sein d’une équipe de développeurs·euses et de graphistes, Julie Blanc produit Paged.js, un outil permettant de produire des mises en pages avec les technologies du web.
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Les inconvénients c’est qu’à l’époque, j’avais utilisé un polyfill de CSS regions, et il rendait la page très longue à charger et c’était difficile à découper, parce que ça restait très instable.
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QJ : Ce sont des scripts qui vont permettre d’interpréter d’autres langages qui ne sont pas connus ou implémentés dans le navigateur de base. Par exemple le polyfill dont nous parlions, était des CSS regions : donc des spécifiés CSS écrites pour pouvoir faire de la mise en page assez dynamique, en ayant une vraie mise en page liquide. Il n’a pas été implémenté très longtemps dans le navigateur. Ainsi des personnes ont créé des scripts en JavaScript pour interpréter ces règles de styles CSS, pour faire en sorte de faire comme si l’on faisait du CSS regions dans le navigateur.
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JB : La problématique du web, c’est que c’est un flux, mais lorsque nous mettons en page nous avons besoin de découper ce flux de textes, en bloc pour en faire des pages. Cette fonctionnalité n’existe pas dans le web, le CSS regions c’est une proposition pour faire ça. Mais comme l’indique Quentin, cela a seulement été implémenté pendant un laps de temps très court – peut-être moins de 3 ans sur Chrome, dans le moteur de rendu Webkit. Alors c’est assez rare, d’habitude tout ce qui est implémenté sur le web, n’est jamais détruit – pour le coup c’est vraiment un contre-exemple. Donc, quelqu’un a mis en ligne un script qui simule cette fonctionnalité.
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JB : Il y avait aussi des textes open source écrits dans cette édition ; puis la dernière page était sur les ressources. C’était aussi un manifeste par ces parties sur ces pratiques non conventionnelles.
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QJ : Quand je disais manifeste, ce n’est pas tant par le discours mais plus par l’objet. Dans le monde de la production industrielle, c’est en fait assez lambda. Pour les graphistes venant des écoles d’art et de design, ce n’est pas vraiment connu ; aux Arts décoratif de Strasbourg – où j’ai suivi un cursus en graphisme – nous étudions ces techniques de production de livre, d’automatisation de mise en page par des algorithmes.
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JB : Quentin dit qu’il n’aime pas le terme « auteur », moi non plus. Mais aussi je n’aime pas le mot « automatisation ». J’évite de le dire car souvent on me rétorque : « Tu fais un livre sans designer !? » ou « tu vas nous piquer notre boulot », alors qu’en réalité l’exécution est programmée, je donne des instructions, la mise en page est programmée mais pas automatisée. Les formes ne sont pas automatiques.
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JB : Pour les livres, je compose avec mon outil page.js. Il y a quand même des choses que je n’arriverais pas à produire autrement que par WYSIWYG [What You See Is What You Get], par l’usage d’interface – je n’aime pas trop Inkscape, mais j’aime bien Affinity Designer mais qui n’a pas la même logique qu’Adobe. Je milite pour le libre aussi.
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Quentin et moi, nous sommes aussi dans un milieu spécifique, dans l’enseignement et dans le milieu professionnel – en tant que graphiste, chercheuse et développeuse de Paged.js. J’ai moins la problématique de m’insérer dans un milieu professionnel. C’est aussi compliqué de s’insérer dans un milieu professionnel en étant que dans du « libre » même si on fait appel à nous pour cela.
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FJ : Julie, est-ce que tu pourrais me reparler un petit peu de Paged.js, c’est une librarie que tu développes avec d’autres personnes ?
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Le CSS est construit sur des spécifications données par le W3C – un organisme qui structure les implémentations des langages du web, il publie le document de travail, car le CSS évolue tout le temps. Le document présente les spécifications des médias CSS print ou CSS pour médias paginés, qui ne sont pas encore implémentées dans les navigateurs web. L’idée de Page js est de produire un polyfill, pour ces spécifications de CSS print. Paged.js a donc pour but de pallier les manques des navigateurs, ainsi au fur et à mesure que les navigateurs implémenteront ces spécifications CSS print, Paged.js disparaîtra.
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Julien Taquet était à Prepostprint pour recruter quelqu’un pour travailler sur cet outil avec lui et un développeur à Los Angeles. Dans le projet nous codons mais nous avons aussi une expertise de designer extrêmement importante : nous voulons que Paged.js soit utilisé par des designers et non uniquement par des ingénieurs.
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Code X n’a pas du tout été fait avec Paged.js, aujourd’hui, cela serait beaucoup plus simple !
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Quand tu es sur Paged.js et que tu parles à plusieurs communautés en même temps faut faire attention, cela peut être repris par PrePostPrint ou Quentin qui expérimente avec et qui pousse le graphisme plus loin. Mais cela peut aussi être repris par des gens qui l’utilisent juste pour ne pas payer un graphiste, et automatiser le design.
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Nous sommes quand même 2 designers sur les 3 développeurs de Paged.js, ainsi nous avons quand même cette position de dire que nous sommes concepteurs. Ainsi lorsque que nous « programmons » des livres, ce n’est pas de l’automatisation ; composer, c’est un métier.
Mathieu Tremblin
MT : Ok, revenons à ta question. Tu l’as assez bien identifié, à l’origine les éditions Carton-pâte en 2007, ce sont des fanzines que nous pouvions réaliser avec des camarades issus de mon crew de graffiti et que nous n’avions pas les moyens d’éditer en grande quantité. Il s’agissait de tirages confidentiels diffusés de la main à la main. Ils étaient presque vendus à prix coutant parce qu’ils coutaient cher à produire. Jiem L’Hostis, lui, utilisait vraiment la photocopieuse en collant les photos et le texte pour composer sa mise en page. C’est un parti pris qui existait à cette époque dans le monde du graffiti. De mon côté, je faisais de la mise en page avec des logiciels comme QuarkXpress ou InDesign : des outils liés à la production industrielle du livre. Très vite, je me suis dit que c’était dommage que le cadre éditorial soit tributaire d’une logique marchande. Je trouvais que ce rapport à l’autoédition à l’époque d’Internet méritait d’être repensé. Le mode de production induisait une certaine rareté. Je ne voyais pas en quoi limiter le nombre d’exemplaires apportait quoi que ce soit au travail.
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MT : Pour moi la question de l’in situ en ligne est différente du travail de la maison d’édition, parce que je fais une distinction entre le geste artistique et le geste éditorial. Certains gestes que j’ai pu faire sont directement assignés à exister sur Internet : ils vont être accessibles directement sur un espace dédié, pas sur le site des éditions Carton-pâte. C’est par exemple, le principe d’une exposition accessible temporairement, une sorte d’exposition en ligne à laquelle tu ne peux accéder que par tel ou tel biais : un zip à télécharger sur WeTransfer, une adresse html qui ne sera valable que pendant un certain temps, etc. Comme la série de vidéos de Eva et Franco Mattes intitulée Dark Content [^Eva & Franco Mattes, Dark Content, 2015. Une série de vidéos qui rend visible le travail des modérateurs de contenu des plateformes web. Contrairement à une idée reçue, ce travail n’est pas réalisé par des algorithmes mais bien par des hommes et des femmes, que les artistes ont rencontrés et dont iels ont recueilli les témoignages. La série de vidéos est visible sur le navigateur Tor. Consulter le site web des artistes ici.] qui n’était accessible que sur le dark web et qui t’obligeait à télécharger le navigateur Tor. De cette façon, j’ai pu utiliser Tinder comme outil de documentation et de diffusion de ma pratique d’intervention urbaine entre 2017 et 2018 [^Mathieu Tremblin, Matching with Urban Intervention, 2017-2018. Consulter la page web dédiée sur le site de l’artiste ici. Matching with Art, Location & Internet, 2019, vidéo disponible ici.]. Il y avait aussi une histoire d’éditorialisation : je faisais une série de photos et je la mettais en page sur un format donné. Seulement le mode de diffusion était géolocalisé. Il était lié à mes préférences sur l’application et à la temporalité où je l’utilisais.
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Pour moi la question de l’in situ en ligne fonctionne par rapport à ce type de propositions, pas par rapport aux éditions Carton-Pâte dans leur ensemble. Je trouve l’idée d’in situ en ligne intéressante, mais il faut s’intéresser à ce moment-là aux modes d’accès, aux formes du code, au registre d’énonciation, etc. Étienne Cliquet a fait ce geste très simple il y a quelques années, que l’on pourrait considérer comme une intervention sur son propre site web www.oridigami.net. Il faisait changer la couleur de l’écran en arrière-plan en fonction de l’heure du jour ou de la nuit à laquelle on le consultait. La seule manière de s’en rendre compte, c’était de consulter le site plusieurs fois ou de laisser la page ouverte pendant plusieurs heures. Et ce qu’il disait aussi à propos de cette pièce, c’est que quand lui-même travaillait sur son site web, ça lui permettait de conscientiser le temps qu’il passait dessus.
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MT : Effectivement, j’ai fait quelques éditions sur cette question là. Chaque writer procède à une éditorialisation de sa pratique du graffiti lorsqu’il compile les photos de ses pièces dans un blackbook : c’est son espace personnel d’archive. Il est confidentiel puisqu’il constitue aussi une preuve à charge. De la même façon, chaque artiste urbain compile lui aussi les images de ses interventions sur son disque dur. Seulement, leurs interventions urbaines seront souvent rendues publiques à leur corps défendant, remarquées par les passants pour leur singularité créative et documentées par des photographes amateurs. On retrouvera ainsi une image d’une œuvre urbaine croisée dans la rue au détour d’une page web, publiée sans l’aval de l’artiste aussi parce que l’œuvre n’est pas signée ou que l’artiste reste anonyme. Le travail échappe à son auteur et sa circulation en ligne donne une existence autonome à l’œuvre urbaine, au-delà de son existence propre dans la ville.
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Sur le principe, cette jaquette autorise beaucoup de souplesse quant à la forme de l’édition. Par exemple, si je fais un workshop de dessin avec un groupe d’habitants, plutôt que de limiter la restitution à une série de quelques reproductions en impression d’art et tirage limité, je peux choisir de produire une pile de photocopies de l’ensemble des dessins pour le même budget. L’enjeu, c’est de trouver un équilibre entre l’adresse de l’édition et le mode de production et de diffusion ; ce type de gestes aura une existence première au moment de son partage avec la communauté qui l’a co-créé. La principale raison pour laquelle ce genre de travail n’est pas diffusé au-delà de ce temps collectif, c’est que l’éditeur n’a pas forcément n’as pas les moyens de faire un pavé de plusieurs centaines de pages à chaque fois. Les temps de conception et de fabrication – qui peuvent être très courts, de quelques jours à quelques mois – sont totalement en décalage avec ceux de la rentabilisation marchande dans le milieu de l’édition – qui est de plusieurs années. Dans une recherche d’efficience, j’ai choisi de penser le fonctionnement et le modèle économique de la maison d’édition à partir du geste éditorial en lui-même comme composante du processus de création, plutôt que de post-produire en édition des gestes artistiques.
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De cette manière de 2007 à 2016, au moment où j’ai réintégré au nouveau site web toutes les éditions réalisées avec David Renault à mesure des années, j’ai reposé des contraintes éditoriales très strictes. Les premières publications que nous avions faites entre 2006 et 2012 étaient certes en reprographie, mais le façonnage – dos carré collé et massicotage – ralentissait et complexifiait le processus. On perdait la spontanéité qui pouvait exister avec un fanzine un pli agrafé, on perdait cette urgence et cette fluidité du geste : on était dans l’attente de la livraison et on retombait dans une logique éditoriale plus classique. En 2016, j’ai donc normalisé toutes les publications pour revenir à l’essence de cette typologie éditoriale. Des publications qui intègrent dans sa forme les marges techniques autant comme contrainte que comme signature graphique – pas d’images à fond perdu – ; le moins d’impression couleur possible et le recours à des papiers de couleur tels q’on en trouve chez tous les reprographes – avec les trois grammages de papier 80, 120, 160 g/m2 les plus courants – ; une reliure à plat avec des relieurs d’archives ce qui permet de ne pas s’embêter avec l’imposition des pages puisque les pages sont imprimées dans l’ordre du chemin de fer – puisque la reliure n’est pas fermée, il y a la possibilité d’augmenter ou de modifier l’édition, avec l’ajout d’une traduction des textes dans un second temps par exemple.
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MT : Je te réponds un peu à l’envers, mais ce n’est pas l’idée de le pérenniser, parce qu’un site web, il n’y a rien de plus versatile, comme le rappelle souvent Kenneth Goldsmith le fondateur de Ubuweb : « If you can’t download it, it doesn’t exist. Don’t trust the cloud.». En plus, mes sites… Je ne t’ai pas raconté l’ingénierie derrière. Ce sont des sites que j’héberge chez Free depuis vingt ans, des comptes « pages perso ». En 1998, j’ai mis la main sur un CD d’installation promotionnel qui me donnait le droit à un espace en ligne gratuit chez Free avec une adresse e-mail. Cela m’a permis d’avoir plusieurs espaces d’hébergement conséquents pour pouvoir présenter mon travail en ligne de la manière dont je voulais sans avoir à investir dans un hébergement professionnel. À l’époque, j’étais précaire, étudiant et plus tard, artiste au RSA. Avec une vingtaine de sites en ligne, cela représentait une économie de plusieurs centaines d’euros à l’année. Seulement, si demain Free ferme les pages persos, le site disparaîtra. Il y a eu beaucoup d’artistes urbains qui ont fait des sites très complets et assez expérimentaux entre 2000 et 2008. Et ils ont disparu de cette façon.
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MT : Est-ce que tu as vu la revue Alea [^Alea “Espaces et corps parcourus et traversés”, Carole Douillard, Paris, Éditions Carton-Pâte, October 2017, A3 recto, 36 p., ISBN 979-10-95982-19-7] ? C’est littéralement une revue dont le format est pensé pour être présenté dans un espace de vitrine. Le nombre de pages, la manière dont va être réparti le texte, les images, s’il y en a, tout cela va être agencé en fonction de l’espace où la revue va être présentée en placard. Et ensuite sur le site, les pages de la revue sont rassemblées dans un PDF en recto. La revue est pensée pour être montrée une première fois dans l’espace public et consultée de cette manière là. Cela se joue à trois niveaux de lecture : un texte qui est fait pour être lu à l’échelle du chemin de fer déployé sur la vitrine ; ensuite, lorsqu’on se rapproche, il y a les images ; et enfin au plus près, il y a un entretien sur la question de l’enregistrement des traces et des expériences urbaines. J’en ai fait une avec Carole Douillard qui était pensée pour une vitrine de FRAC. J’aimerai bien présenter le prochain numéro dans la vitrine d’un reprographe. La difficulté, c’est toujours la négociation ; c’est plus facile de négocier une vitrine avec un espace d’art qu’avec un espace commercial. Le commerçant y verra un manque à gagner, alors que l’espace d’art institutionnel ou associatif embrassera la proposition parce que c’est sa mission de donner une vitrine à des projets artistiques. À mes yeux, Alea est vraiment une édition in situ, c’est-à-dire que le chemin de fer de la revue est vraiment conçue en fonction de l’espace où elle va être présentée. Et bien sûr, elle est téléchargeable en ligne, on garde la même logique.
Camille Bondon
CB : Alors ça, ça m’a été utile parce que j’ai commencé une pièce sur les archives de tout ce que j’ai lu. Je voulais collecter toutes les premières pages de tous les livres que j’avais lus. Et dans les agendas, j’ai cette archive de tous les livres, tous les films, tout ce que j’ai pu emmagasiner. Ça m’a servi aussi pour retrouver quelques dates, donc je les parcours, un peu comme on parcourt des albums photos, plutôt pour cette impression générale. Ce que je vais le plus relire ce sont mes carnets de travail, où j’ai une archive plus détaillée de toute l’évolution des projets. Là, je suis en train de faire une résidence où l’on crée collectivement des nappes pour des tables, des nappes publiques. Comme archive du projet j’ai commencé à rédiger un journal. En croisant les mails, les sms, les notes dans le carnet, j’ai pu reconstituer toute la genèse du projet. Les carnets me servent plutôt à ça, et aussi pour mémoriser tous les noms qu’on peut me donner, ou que je rencontre, ainsi que d’autres informations que j’y dépose... mais je ne vais pas les chercher tout de suite. Il y a aussi des moments de transition de carnets, où je viens passer en revue ce qui s’est passé dans le précédent, pour voir si j’ai exploré toutes les pistes qui étaient notées. Donc je m’en sers plutôt pour explorer les trois mois précédents. Mais je les garde, c’est mon petit trésor.
[…]
CB : Non, en fait c’est l’intégralité du carnet que j’ai scanné, et je suis venue recomposer, un peu comme les généticiennes quand elles étudient les manuscrits des autrices anciennes, elles viennent faire des transcriptions dactylographiées du manuscrit, pour pouvoir rendre lisible l’écriture manuscrite, qui peut être difficile à déchiffrer quand tu n’es pas spécialiste de l’autrice. Elles viennent conserver la mise en forme des pages, et remettre des blocs-textes dactylographiés à ces endroits-là. Je trouvais que c’était beau cette manière de coller à l’archive spontanée, où tu n’as pas fait de choix de mise en page. C’est quelque chose qui est de l’ordre de l’intuition, un bel espace d’émergence d’une pensée, des idées. Cette opération de nettoyage, de tout recomposer à l’ordinateur, et aussi de redessiner, c’était une manière de tout mettre à niveau, c’était aussi ce geste-là de publier, de rendre public. Et si là, aujourd’hui, tu devais m’ouvrir ton carnet et bien je passerai un petit moment à essayer de m’acclimater à ton écriture, à ta graphie. Ce geste-là c’était aussi une manière de faire rentrer les gens dans cet espace qui est plutôt privé, de rendre ça plus fluide et lisible.
[…]
La forme que je préfère pour La mesure du temps, c’est quand je projette la vidéo et que je fais la voix, qui est normalement off, en direct, de manière synchrone avec les gestes. En fait, j’aime rencontrer des gens, et le fait d’envoyer une vidéo dans une exposition, c’est une forme de monstration qui m’excite moins. J’essaye toujours de faire des formes où je suis obligée d’être là, de rencontrer des gens, que ce soit un moment convivial, moi c’est ça qui me plaît. Mais pour une exposition en Suisse, eux préféraient une version continue, diffusée au sein de l’exposition. Du coup on a enregistré en studio avec un copain la voix off pour qu’elle soit nickel et que ça devienne une vidéo autonome. Pour chacune des formes que je fais, il y a plusieurs états. Par exemple, Faire parler les livres est une collection sur les méthodologies de lecture, comment chacun va venir faire des petits points, corner les pages, recopier dans un carnet ou recopier dans des fiches... C’est une performance, mais c’est aussi une installation, et la transcription de ce que je raconte, j’aimerais bien que cela devienne aussi une édition, le contenu textuel de ma conférence en quelque sorte. Souvent dans les pièces que je peux faire, il y a plusieurs états simultanés d’une pièce, qui sont des espèces d’équivalences.Il n’y a pas une forme, je ne sais pas si c’est que je n’arrive pas ou que je ne veux pas arrêter une forme, mais à chaque fois qu’on m’invite c’est un nouveau contexte, et à partir de ce contexte je fais des adaptations.
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CB : C’est une bonne question. Pour tous les projets que je n’ai pas encore le temps de réaliser, depuis quelque temps je les écris, je fais des sortes de courtes nouvelles. Ça s’appelle Les possibles, ce sont des histoires en quelques lignes qui racontent ce que sera le projet, comme si il était déjà réalisé. Et sinon je n’ai pas de réponse à t’apporter. Je pense que c’est une histoire de fréquence. Par exemple, l’intérêt pour les drapés, ça n’est pas venu comme ça, c’était une question qui m’intéressait déjà. Et puis, mon compagnon connaissant cette envie de faire quelque chose avec ça, m’a offert un sac simplement noué en furoshiki[^ Technique japonaise de pliage et de nouage de tissu pour emballer des objets.]. Après, moi, je me suis posée des questions sur les sous-vêtements, et je suis tombée sur des culottes japonaises, un peu comme des pagnes, ce sont des vêtements juste noués, et j’ai trouvé que c’était hyper confortable. Après, on est parti en voyage en Grèce et il y avait du drapé tout le temps, partout où tu regardais, c’était que des toges. Alors, c’est que d’un seul coup, à un moment donné c’est une évidence, c’est partout autour de toi, tu ne vois que ça. Donc tu es obligée de faire quelque chose dessus. Mais ça prend du temps, les pliages de tissus, je pense que la première fois que j’ai commencé à y penser j’étais étudiante à Caen, en 2010. Il y a des projets qui sont là, et ils leur faut peut-être dix ans pour arriver à éclore. Alors qu’il y en a d’autres, par exemple la collection des premières pages, j’ai passé vachement de temps à retourner dans les bibliothèques, à emprunter tous les livres, à demander aux copines qui m’avaient prêté des livres pour pouvoir scanner toutes les premières pages. Donc j’ai toutes ces premières pages, le projet est là, mais il n’a pas encore trouvé d’espace physique pour que je puisse faire ma tapisserie de toutes mes premières pages, comme une sorte de bibliothèque de livres ouverts.
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CD : Les premières pages est un projet avec toutes les premières pages des livres que tu as lu ?
Rencontre avec Denis Tricard
Le 23 Juin 2021 à Strasbourg, Clara Deprez, Abigaïl Baccouche-Levy et Yohanna My Nguyen sont allées à la rencontre de Denis Tricard, le responsable du Desk et des pages Région des Dernières Nouvelles d’Alsace de Strasbourg pour en savoir plus sur les fameuses affichettes jaunes. Les échanges ont eu lieu au gré des déambulations au sein les locaux, d’où le caractère parfois fragmentaire de la retranscription.
[…]
DT : Oui, par exemple il y aura des pages pour des informations nationales et d’autres adaptées aux événements de la commune dans laquelle on trouve l’édition en question, donc vous voyez, selon où on habite, on a une information adaptée. En gros en Alsace on a dix-huit éditions, mais attendez je vais vous montrer !
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DT : C’est le principe de subsidiarité, donc vous allez avoir des choses en commun sur toutes les éditions et certaines pages qui vont changer pour des éditions en particulier.
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DT : Je vous montre, le cahier « informations nationales » ne change pas, ensuite, vous avez du local, du Mulhouse, ou du Strasbourg, et parfois on a des pages Bas-Rhin, ou Haut-Rhin on appelle ça des mutations. On donne le plus de proximité aux lecteurs. Je peux vous montrer le chemin de fer.
[…]
DT : C’est un peu complexe hein, mais bon on travaille avec le logiciel Méthode, c’est avec ça que travaille toute la presse, même internationale… Donc bon, voilà je vous montre, voici la dernière page, Strasbourg, et voyez, sur une autre édition à Molsheim c’est différent. Il y a donc un tronc commun et les pages changent selon l’endroit où l’on vit. Et les affichettes c’est le même système, le tronc commun, puis selon l’endroit où l’on vit, ça va changer tout bêtement. Strasbourg demain c’est : « Surveiller sa poubelle bleue pour payer moins d’impôts ».
[…]
DT : Eh bien moi je suis chef régional et je supervise le Desk, c’est les journalistes assis, on appelait ça les « culs de plombs » à l’époque, c’est-à-dire les gens qui vont mettre en pages le journal et qui vont sélectionner titres et légendes et hiérarchiser les pages ou bien aujourd’hui, travailler sur le site, sur les liens, les images, et diaporamas pour enrichir l’article. Après je change bientôt pour créer une cellule investigation, car on va scinder le poste en deux.
Marcia Burnier & Nelly
CD : Ouais, c’est pour ça que vous vouliez rester dans quelque chose de très « fait main » justement pour pouvoir sortir quelque chose qui, qui était assez ancré dans le réel, et puis aussi accessible au plus grand nombre quoi. Et hum… Concernant la diffusion du zine, il me semble que vous avez participé à plusieurs fair c’est ça ? Est-ce que vous les avez diffusés aussi dans… des milieux spécifiques, enfin… Est-ce que vous avez un peu ciblé des endroits ? Ou comment ça s’est fait ? Progressivement aussi, parce que j’imagine que le premier exemplaire n’a pas été diffusé de la même manière que les suivants et ainsi de suite. En dehors de la page Facebook bien sûr ?
[…]
CD : Ok. Et vous vous réunissiez avec les personnes qui contribuaient au zine ou alors c’était juste des appels à contribution à distance, et vous vous mettiez en page ensuite ?
[…]
MB : Et c’est vrai que ça a démarré avec de l’impression sauvage et c’est un peu le principe du zine, hein. Je veux dire, pour moi. Après Nelly, toi je ne sais pas ce que t’en penses, mais moi j’ai été assez attachée à l’idée qu’un zine, ce n’est pas un magazine. Il n’y a pas de modèle financier derrière, il n’y a pas de ouais, j’sais pas, de business plan, ou un truc comme ça. Donc nous on a fait des impressions sauvages et puis on l’a fait à 2€ parce qu’il fallait que ça soit quand même accessible, sinon c’était prix libre. Et en vrai, non on n’a jamais… Ça a dû au début, un peu remboursé les cartouches d’encre et peut être un peu tes allers-retours en Ouigo depuis Marseille. J’ai l’impression qu’on a réussi à les financer à un moment donné, mais je veux dire, imprimer un livre de 40 pages en couleur ce n’est pas possible de financer ça avec du prix libre. //ahah//
[…]
N : Oui très honnêtement ! Ouais c’était un hasard complet en fait, on n’avait même pas prévu que ce soit le titre. Donc on avait juste fait un découpage, qu’on trouvait vachement joli, et puis ensuite quelqu’un a parlé du zine en disant ça et on s’est dit « Ah bah en fait c’est le titre du zine on dirait », mais on ne l’a pas vraiment choisi ! //ahah//
Garance Dor & Vincent Menu
VM : J’ai optimisé son intention, j’ai remis en page avec la typographie qu’on utilise dans Véhicule, avec nos outils, typographiques, etc. Ensuite on a cette grande planche ou on essaie de trouver des formes : parce qu’on a des textes qui arrivent totalement bruts, généralement c’est plutôt ça. Donc il faut jouer un peu avec tout ça.