Mot-clé : partage
Camille Bondon
La mesure du temps est une œuvre vidéo présentant une collection d’agendas, à partir desquels Camille Bondon interprète les traces laissées à l’intérieur par leur propriétaire. Carnet 17 est une édition retranscrivant, à la manière d’un fac-similé, les notes, les dessins, l’expression de ses pensées, contenus dans l’un de ses carnets de recherche. Camille Bondon est une artiste plasticienne, la rencontre et le partage sont au cœur de sa pratique protéiforme.
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CB : J’ai commencé à noter les choses, à noter le temps quand j’ai arrêté d’être étudiante. Il y avait un aspect un peu vertigineux car quand tu es étudiant tu as un planning qui t’est donné, mais après c’est à toi de décider de ta vie. C’est une pratique qui a donc commencé pour me rassurer, pour voir un petit peu ce que j’avais fait et archiver finalement toutes mes actions. Ça a été aussi un prétexte pour dessiner, parce que je ne suis pas une grande dessinatrice, enfin je n’ai pas de projet de dessin dans ma pratique artistique. Mais ce truc là, d’avoir à noter un peu, par exemple tous les repas que je prends, c’est une sorte de « micro-contrainte » pour pouvoir faire des dessins un petit peu tous les jours. Plus j’ai continué à le faire, plus je voyais que ça m’aidait aussi à structurer mes journées, à établir un peu des programmes. Et à chaque fois que j’essayais de trouver un meilleur modèle d’agenda, je voyais que finalement, l’espace du temps, sa matérialité, avait une forme d’influence ou d’incidence sur la perception que l’on a du temps. En posant la question autour de moi — parce qu’on a un goût partagé avec d’autres amis pour ces histoires-là — je me rendais compte que eux préféreraient les déroulés horizontaux ou verticaux des journées, d’autres voulaient avoir le mois pour avoir une sorte de vision à long terme. Je me suis dit que là, il y avait finalement une sorte de sujet commun, collectif, et que ça pourrait être intéressant d’essayer de faire un tour de cette question, pour voir comment les autres font aussi pour se dépatouiller du temps. Souvent, les questions que j’adresse aux autres pour créer des pièces, sont des questions de l’ordre du commun. Je me dis que si on partage nos savoirs et nos compréhensions de ces communs-là, la vie serait finalement plus simple.
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CD : J’espère que ça arrivera. Je voudrais te parler du projet qu’on a mis en place avec le groupe de la Biennale. En fait on a commencé une sorte de journal de la Biennale, pour rendre compte de notre travail autour de la Biennale. Enfin c’était l’intention de départ mais ça a évolué... C’est un projet qui doit se tenir de mars à octobre, date prévue de la Biennale. On a défini un protocole, chaque jour je dois noter une phrase ou deux, qui seraient l’information principale de la journée, celle qui ressort ou qui nous a le plus marqué. Comme un gros titre de une de journal, mais à mon échelle individuelle, ou à celle du groupe de travail, quand je leur demande à eux qu’est-ce qu’ils retiennent de leur journée. Mais ce n’est pas encore très bien défini, surtout dans la manière dont je choisis les informations et dont je les note. Si tu veux je peux te partager le lien du pad sur lequel je note le journal.
Marcia Burnier & Nelly
CD : Mais d’ailleurs, vous aviez envie créer quelque part un espace de parole, de partage au sein d’un objet particulier ? Comment est-ce que vous avez mis ça en place ? Est-ce que vous aviez envie de laisser le zine, uniquement entre vous deux, ou alors d’ouvrir les contributions ou alors est-ce que ça s’est fait progressivement ? Comment est-ce que vous avez créé des liens avec les personnes que vous vouliez contacter ? Euh voilà, tout ça.
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N : Oui, oui. Ouais c’était un moment en fait, oui je trouve que c’est ça. C’est qu’il y avait un moment aussi de partage où on se lisait nos textes où on regardait, on se demandait ce qu’on en pensait… Enfin, je veux dire, il y avait aussi cette dimension-là qui jouait. Et après sur ta question aussi, par rapport à ce qu’on s’est inspirées de choses qu’on avait enfin, si j’ai bien compris, de supports ou de choses qui étaient déjà présentes. Mais comme quand on dit « à l’arrache » c’est aussi que vraiment littéralement on avait : du papier, des ciseaux, du scotch, des images, enfin je veux dire c’était matériel, concrètement ce qui se passait. Et du coup je me rappelle que moi par exemple mon Tumblr, c’est le résultat de longues heures de procrastination devant internet //ahahahah// du coup j’avais plein de photos rigolotes ou des trucs que j’avais trouvé. On s’en inspirait pas mal pour faire la déco, au début en tout cas ! Ouais c’est une source d’inspiration.
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N : Oui c’est vrai, ouais. Ensuite, déjà y’a eu ce truc ou j’ai publié dans retard magazine, mais ça c’était pas mal parce que tu m’avais aussi… enfin bref ! J’avais découvert ça, ce magazine, à travers toi. Mais après non. On a publié toutes les deux dans ce zine sur le tatouage là : Encrage. J’ai publié dans un zine qui s’appelle Pornésie c’est des textes érotiques/poétiques. Ouais, c’est vrai que j’ai publié ensuite, mais c’est vrai que je me sens encore à l’aise et je vois encore quelque chose de bénéfique pour moi de là où j’en suis à partager l’intimité du vécu personnel. Juste, je pense que je le fais différemment. C’est vrai que moi aussi, j’essaie de ne pas y penser, sinon je pense que je ne dors pas ! Quand je regarde toutes les ruptures que j’ai réglé par textes interposés //ahah// je vois là… c’est gênant aujourd’hui, mais c’est OK ! //ahah// Mais oui c’est sûr, que maintenant les choses que je publie elles sont peut-être un peu différentes, en tout cas, dans le rapport que moi j’entretiens à ça, j’essaie de le faire un peu différemment.
Mathieu Tremblin
Il m’est arrivé un truc assez rigolo à ce sujet récemment – je dis rigolo, d’autres artistes auraient fait un procès, mais ce qui m’a intéressé c’est la manière dont mon travail m’échappe. J’ai fait une intervention à Arles en 2011 où j’ai fait tomber les lettres d’une enseigne « librairie » désaffectée pour former le mot « libre ». De fait avec les stages de photos qui ont lieu tous les ans, les photographes se baladent et prennent le « libre » en photo ; je l’ai vu passer plusieurs fois au cours des workshops et des amis me disaient « Ton "libre" a encore été pris en photo ! » en me partageant des liens et des captures d’écran. Il y a peu, une personne a fait un petit guide touristique et l’a mis dedans. Elle a publié la photographie sur son Instagram, en a fait des tirages et les vend dans une boutique arlésienne. Ce qui est intéressant c’est qu’elle ne savait pas que c’était un geste artistique – ce qui était mon intention, de pousser les choses à leur conclusion logique. Cette photographe s’est dit que c’était vraiment un hasard, elle n’a pas cherché plus loin. Évidemment, quand elle a fini par savoir que c’était un geste artistique il y a deux ou trois jours, elle a modifié sa publication et m’a crédité alors que cela faisait déjà plusieurs années qu’elle avait publié l’image.
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Sur le principe, cette jaquette autorise beaucoup de souplesse quant à la forme de l’édition. Par exemple, si je fais un workshop de dessin avec un groupe d’habitants, plutôt que de limiter la restitution à une série de quelques reproductions en impression d’art et tirage limité, je peux choisir de produire une pile de photocopies de l’ensemble des dessins pour le même budget. L’enjeu, c’est de trouver un équilibre entre l’adresse de l’édition et le mode de production et de diffusion ; ce type de gestes aura une existence première au moment de son partage avec la communauté qui l’a co-créé. La principale raison pour laquelle ce genre de travail n’est pas diffusé au-delà de ce temps collectif, c’est que l’éditeur n’a pas forcément n’as pas les moyens de faire un pavé de plusieurs centaines de pages à chaque fois. Les temps de conception et de fabrication – qui peuvent être très courts, de quelques jours à quelques mois – sont totalement en décalage avec ceux de la rentabilisation marchande dans le milieu de l’édition – qui est de plusieurs années. Dans une recherche d’efficience, j’ai choisi de penser le fonctionnement et le modèle économique de la maison d’édition à partir du geste éditorial en lui-même comme composante du processus de création, plutôt que de post-produire en édition des gestes artistiques.
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Hic et nunc, l’expression est duplice. Elle est teintée de nihilisme, elle s’accorde parfaitement avec le carpe diem consumériste et la déresponsabilisation qui en découle. Et en même temps, elle me semble aussi renvoyer à une empathie extrême envers son environnement : c’est essentiel d’être présent à soi et aux autres, d’être présent à la ville. Mais ce n’est pas du tout quelque chose d’évident. Avec la société de consommation, on est dans la projection permanente, dans un effacement du rapport au temps et à l’espace. La globalisation annihile toutes les distances et nous pousse à embrasser un désir illimité. Or, c’est une figure impossible dans le monde fini qui est le nôtre. Être ici et maintenant, c’est considérer son désir, la possibilité de le réaliser et de le partager ; ou de le minorer voire de s’en défaire si cela est nécessaire et salutaire. Cela me renvoie particulièrement au contexte de la pandémie. Cette double lecture de l’expression a pu encourager le pouvoir politique à des injonctions contradictoires. Il y a eu des décisions clairement mues par des intérêts privés, au service de la machine économique ; et d’autres, liberticides et absurdes, dont l’objet était d’affirmer un semblant d’autorité et de contrôle, pour rester maître du récit médiatique. Mais je m’égare un peu.
Garance Dor & Vincent Menu
GD : Je sais pas, je pense que Vincent et moi on partage, je m’avance peut-être…