Mot-clé : pratique

Mathieu Tremblin

*Mathieu Tremblin est un artiste français, il vit à Strasbourg et travaille en Europe. Nourri par les pratiques urbaines comme le graffiti, il développe une démarche artistique basée sur des actions en situation urbaine dans le but de « questionner les systèmes de législation, de représentation et de symbolisation de la ville. [^ voir le site web de l’artiste (link : http://www.demodetouslesjours.eu/ text : ici)] »
[…]
Cette nécessité était corrélée au fait qu’il n’y avait pas de modèle de structure intermédiaire ou institutionnelle pour l’accompagnement les pratiques non-commissionnées dans l’espace urbain. La présentation du graffiti ou de l’intervention urbaine dans un musée semblait par essence – et semble toujours – relever du paradoxe, puisque ce qui fait l’intérêt de ces pratiques c’est qu’elles adviennent en dehors des lieux dédiés à l’art. La forme de la documentation – et son archive – présentait par contre un intérêt parce qu’elle posait la question du processus de légitimation. S’il y a archive, il y a une collecte d’informations autour de l’œuvre urbaine. Qui prend les photos ? Est-ce qu’on doit tout archiver ? Comment faire le tri dans la matière récoltée ? Comment y accéder ? Cette forme d’archive spontanée s’épanouissait déjà sans limite sur les sites des artistes urbains. Adopter le modèle de la publication
open source permettait de résoudre certaines de ces questions en prolongeant l’horizontalité de ces formats : Carton-pâte proposait un modèle de production et de diffusion do it yourself parce que le web était encore un espace autoédité et décentralisé.
[…]
MT : Pour moi la question de l’
in situ en ligne est différente du travail de la maison d’édition, parce que je fais une distinction entre le geste artistique et le geste éditorial. Certains gestes que j’ai pu faire sont directement assignés à exister sur Internet : ils vont être accessibles directement sur un espace dédié, pas sur le site des éditions Carton-pâte. C’est par exemple, le principe d’une exposition accessible temporairement, une sorte d’exposition en ligne à laquelle tu ne peux accéder que par tel ou tel biais : un zip à télécharger sur WeTransfer, une adresse html qui ne sera valable que pendant un certain temps, etc. Comme la série de vidéos de Eva et Franco Mattes intitulée Dark Content [^Eva & Franco Mattes, Dark Content, 2015. Une série de vidéos qui rend visible le travail des modérateurs de contenu des plateformes web. Contrairement à une idée reçue, ce travail n’est pas réalisé par des algorithmes mais bien par des hommes et des femmes, que les artistes ont rencontrés et dont iels ont recueilli les témoignages. La série de vidéos est visible sur le navigateur Tor. Consulter le site web des artistes ici.] qui n’était accessible que sur le dark web et qui t’obligeait à télécharger le navigateur Tor. De cette façon, j’ai pu utiliser Tinder comme outil de documentation et de diffusion de ma pratique d’intervention urbaine entre 2017 et 2018 [^Mathieu Tremblin, Matching with Urban Intervention, 2017-2018. Consulter la page web dédiée sur le site de l’artiste ici. Matching with Art, Location & Internet, 2019, vidéo disponible ici.]. Il y avait aussi une histoire d’éditorialisation : je faisais une série de photos et je la mettais en page sur un format donné. Seulement le mode de diffusion était géolocalisé. Il était lié à mes préférences sur l’application et à la temporalité où je l’utilisais.
[…]
MT : Effectivement, j’ai fait quelques éditions sur cette question là. Chaque
writer procède à une éditorialisation de sa pratique du graffiti lorsqu’il compile les photos de ses pièces dans un blackbook : c’est son espace personnel d’archive. Il est confidentiel puisqu’il constitue aussi une preuve à charge. De la même façon, chaque artiste urbain compile lui aussi les images de ses interventions sur son disque dur. Seulement, leurs interventions urbaines seront souvent rendues publiques à leur corps défendant, remarquées par les passants pour leur singularité créative et documentées par des photographes amateurs. On retrouvera ainsi une image d’une œuvre urbaine croisée dans la rue au détour d’une page web, publiée sans l’aval de l’artiste aussi parce que l’œuvre n’est pas signée ou que l’artiste reste anonyme. Le travail échappe à son auteur et sa circulation en ligne donne une existence autonome à l’œuvre urbaine, au-delà de son existence propre dans la ville.
[…]
À partir du moment où les gens accèdent gratuitement aux fichiers d’impression, toutes les opérations qui vont suivre vont les amener à considérer le travail que représente le suivi de production. En investissant ce temps-là, ils n’ont certes pas payé l’artiste, mais ils vont se rendre compte de ce que ça coûte vraiment de produire de l’art, de produire des affiches ou des éditions. C’est-à-dire que c’est gracieux plus que gratuit, en définitive. Le basculement du
copyright vers le copyleft se joue surtout dans la responsabilité individuelle qu’induit ce droit à la mise en circulation. Transposer des logiques de logiciels libres vers l’art confère une dimension programmatique à l’œuvre, mais le réel enjeu n’est pas juste dans la libération du joug propriétaire. C’est un point de départ. L’enjeu est dans l’activation du protocole : il faut faire les choses. Cette dimension opérationnelle de la pratique artistique à travers le prisme de l’édition do it yourself, c’est une manière d’initier les gens à la créativité. Se confronter aux questions techniques et se questionner sur les moyens de production est émancipateur en soi, au-delà du contenu de l’œuvre produite même.
[…]
MT : Dans le nom « Démo de tous les jours », il y a l’idée d’une sorte d’auto-assignation et aussi d’une potentialité à développer. C’est-à-dire que si tu prends comme point de départ non pas une pratique d’atelier, mais une pratique urbaine, il y a un rapport de connaissances et d’expérimentation qui est inéluctable, et qui est lié au fait d’essayer. Si on prend le cas du graffiti, le débutant va trouver un terrain vague avec des murs vierges dans un coin, prendre une bombe et tester ce que ça donne. Et s’entraîner de cette manière pour être à chaque nouveau tag de plus en plus précis, jusqu’à se sentir prêt à investir la ville.
[…]
Démo de tous les jours c’est aussi une sorte d’ascèse : au lieu d’asseoir sa pratique artistique sur un curriculum vitae – « je suis artiste parce que j’ai fait tant d’œuvres et d’expositions », il va s’agir de se poser la question de l’actualité de sa sensibilité et de son désir – « ok, j’ai fait ça, mais qu’est-ce que je fais aujourd’hui ? ». C’est une affaire d’auto-discipline qui permettrait de maintenir la pratique dans le domaine du vivant plutôt que de la destiner à sa propre taxidermie. Cette recherche d’une constante de vie dans la pratique, c’est une manière d’aller vers plus de précision, plus de justesse, plus de finesse. Si on me demande de regarder rétrospectivement mon travail et qu’on me demande quels travaux sont les plus décisifs, je ne garde généralement que cinq à dix travaux ; et souvent les plus récents. Mes exigences se déplacent et évoluent. Le contexte n’est plus le même et finalement je me dis que je préférais faire des gestes très légers. Puis quelques temps plus tard, je me dis que j’aimerais bien faire des œuvres plus permanentes, qui restent et sur lesquels je pourrais revenir pendant dix ans. Je pense que c’est ça le rapport à la démo, comment on peut demeurer dans la tentative et l’expérimental, plutôt que dans le résultat. Comment on est dans une dimension processuelle dans notre rapport à l’art, plutôt que dans une logique de production et de monstration. C’est à cet endroit qu’advient le basculement entre les pratiques artistiques urbaines du début du XXe siècle – où l’idée c’était de s’émanciper de l’espace de galerie – et celles des années 1980-1990 dont une bonne part ont voulu rester dans la rue. Je pense notamment à Antonio Gallego [^Peintre et plasticien français né en 1956 qui a pratiqué le collage de fresques réalisées sur papier avec le collectif Banlieue-banlieue, entre 1982 et 1987.], Ox [^Ox est un artiste français, il vit et travaille à Bagnolet. Il a co-fondé le collectif les Frères Ripoulin avec Claude Closky et Pierre Huygues. Il pratique le collage d’affiches en s’appropriant des espaces d’affichage publicitaires. Pour voir son travail, consulter son site web ici.] ou Jean Faucheur [^Jean Faucheur est un artiste plasticien français né en 1956. Il a également co-fondé le collectif les Frères Ripoulin, et pratiqué le collage sur des panneaux publicitaires. Consulter son site web ici.] par exemple qui ont appartenu à cette nouvelle vague d’artistes urbains contemporaine de la première génération de graffeurs en France et qui sont beaucoup intervenus par voie d’affichage au sein des collectifs Banlieue-banlieue [^Groupe d’artistes formé en 1982 à Poissy, initialement composé d’une dizaine de membres, dont Alain Campos, Anita Gallego, Antonio Gallego, José Maria Gonzalez et Daniel Guyonnet. Consulter le blog du groupe ici.] ou les Frères Ripoulin [^Groupement d’artistes parisien·nes actif entre 1984 et 1988, parmi lesquel·les Jean Faucheur, Ox, Claude Closky, Pierre Huygues.]. Ce basculement, c’est une sorte de nécessité intrinsèque assez libertaire, une volonté de ne plus être assujetti à son statut d’artiste ou à la manière dont l’art est montré. Il s’agit de prendre en charge les moyens d’existence de l’art plutôt que de se limiter à sa production et de déléguer sa diffusion à des tiers. C’est une dynamique autogestionnaire qu’on peut retrouver aussi dans la culture techno, dans la culture skate, et dans le graffiti ou le hacking aussi, quelque part.
[…]
Il s’agit plus de faire un geste éditorial avec une adresse et un contexte de diffusion situé que de faire un livre qui serait diffusé dans les réseaux classiques de distribution tels que les librairies et les bibliothèques. Carton-pâte agrège des logiques propres à l’auto-édition et à l’édition numérique, ce qui permet une flexibilité et une immédiateté à rebours des modalités traditionnelles de publication où les échelles de temps et de financement sont étrangères à celles de la pratique artistique.
[…]
MT : C’est ça. C’est-à-dire qu’au lieu de penser une maison d’édition en partant du socle d’un modèle économique, le modèle économique part de la pratique et vient accompagner l’existant, une typologie de pratiques. Quand tu fais de l’édition si tu veux avoir un prix abordable, il faut que tu fasses minimum 50–100–200 exemplaires, ce qui est intéressant si on travaille en reprographie, c’est qu’on peut payer au semestre voire à l’année, et que le budget permet de faire beaucoup de choses différentes. En fait, on peut avoir une économie d’échelle sans pour autant être obligé de penser cette économie en fonction des projets. Elle est pensée sur l’ensemble des activités éditoriales parce qu’elle est liée à la technique d’impression et pas à l’édition elle-même. Et cette élasticité budgétaire impose certes quelques contraintes formelles, mais elle ménage une marge de liberté créative.
[…]
MT : Oui, tout à fait. En fait, j’évite de transformer ma documentation en œuvre-objet puisque je veux privilégier l’expérience de l’œuvre sur le terrain urbain. C’est un des paradoxe de la performance dans les années 1960 : voulant échapper à la matérialité de l’œuvre, les artistes ont proposé des expériences à vivre. Mais, pour exister dans le monde de l’art, ils ont recouru au document afin de pouvoir renseigner leur pratique. Seulement, le marché s’est saisi de cette documentation, et finalement ce qui est présenté aujourd’hui dans les collections, c’est plus souvent ce document-œuvre que l’œuvre immatérielle, la performance, qui aurait pu pourtant être réitérée. Il y a bien entendu des exceptions : le FRAC Lorraine, par exemple, acquiert des protocoles, ce qui permet de maintenir le geste artistique dans le régime de l’expérience et le prévient de basculer dans celui de l’image ou de la trace. J’ai fait diverses tentatives pour produire des documents qui renseignent le processus créatif et le principe de l’intervention sans pour autant épuiser l’expérience située. J’ai réalisé un
Tag Clouds sur le volet roulant de la boutique Colombier Optique en 2010, pendant une exposition qui s’appelait « Outsiders » et qui se déroulait au Phakt – centre culturel Colombier à Rennes. Au moment de l’ouverture de l’exposition, j’avais fait une contribution pour la revue gratuite à emporter S/M/L/XL que la structure éditait et qui consistait en une affiche A2 imprimée en recto verso : Tag Clouds Wallpaper. Au recto, tu avais les tags, et au verso tu avais la version transcrite en nuage de mots. Pour obtenir l’autorisation de l’opticienne à intervenir sur le volet roulant de sa boutique, j’avais dû produire cette simulation ; une démarche qui rejouait celle du writer qui répond à une commande de décoration. La série Study Sketches, ce sont tous dessins préliminaires que j’avais produits avant de réaliser les Tag Clouds, lors de phases de repérage pour visualiser ce qu’une intervention donnerait. Même s’ils restent à l’état de potentialité, il n’y a pas de différence formelle avec ceux que j’ai réalisé : pour préparer les pochoirs nécessaires à la peinture murale, il faut passer par cette phase de simulation. Ce qui fait leur intérêt in fine par rapport aux interventions c’est que tu n’as plus l’image de référence, le hall of fame des tags, tu peux le regarder pour eux-même. Cela raconte autre chose que l’intervention, cela évoque un autre rapport à la ville, plus focalisé les écritures exposées, sur le rapport à l’information intangible des usages numériques des citoyens qui vient augmenter l’expérience urbaine.
[…]
La série
Preliminary Sketches pourrait très bien exister sous forme de tirage A4 ou d’affiches 4 × 3. Ce sont des dessins vectoriels avec une esthétique très liée aux logiciels d’architecture : modélisations, potentialités, plans, étapes de travail. Et ils sont intéressants pour cela, parce qu’ils ne sont pas l’intervention réalisée. Ils racontent autre chose, comme le plan d’architecte qui n’est pas le bâtiment fini. Le plan devient d’autant plus intéressant qu’il y a eu une opération de construction. La construction lui donne son autonomie, lui donne son existence propre, documentaire. Le plan peut être étudié ou servir de référence quand on va revenir sur la construction. Sa valeur va être liée à ce qu’on projette comme usage plus qu’à la question esthétique. Ces croquis d’étude sont un jeu avec le dessin d’architecture et les manières de représenter et fabriquer de l’urbain. Les architectes ne dessinent jamais les potelets parce ce qu’il vienne gâcher le rythme visuel qu’ils s’efforcent d’insuffler à leur façade. Ils ne dessinent pas non plus les poubelles et les détritus qui vont venir s’insérer dans les interstices et les recoins. Ils ne dessinent pas les tags, alors que ce qui rend une ville vivante, ce sont les traces laissées par celles et ceux qui la pratique. C’est à cet endroit qu’il y a un enjeu à ces croquis d’étude, différent et autonome de l’intervention Tag Clouds : reprendre un registre graphique lié à une modélisation de la ville et réintroduire des signes présents dans la ville ; des signes qui sont gommés des représentations de la ville et occultés, recouverts ou effacés dans la ville pour obéir à un certain mode de gouvernance et de gestion de l’espace public.
[…]
MT : Les
Study sketches avait été faits dans la perspective d’un dossier pour présenter le principe de l’intervention dans un cadre qui n’a finalement pas abouti. Pour Tag Clouds Parable, c’est une proposition préméditée. À chaque fois qu’on me sollicitait pour la publication et la diffusion dans la presse de la documentation de Tag Clouds, j’envoyais les mêmes images pour avoir le plus d’occurrences possibles de ce travail. J’avais choisi de ne pas m’inscrire à l’ADAGP parce que je souhaitais que mes images conservent la même accessibilité que les œuvres urbaines qu’elles documentent, et que le contrôle algorithmique de la propriété intellectuelle en ligne y contrevenait. De fait, je savais qu’il serait quasi impossible d’être rémunéré pour une diffusion – puisque les médias préfèrent traiter la question du droit par le biais de cet organisme plutôt qu’avec les auteurs des œuvres –, alors je demandais une copie papier de chaque publication. À l’origine, je pensais découper dans les magazines ou les livres, et épingler variations des mêmes images imprimées comme des papillons pour en faire une œuvre unique, une fois arrivé à une collection assez conséquente. Et puis finalement, ça m’embêtait de recréer de l’unicité alors que ce qui m’importait, c’était la question de l’accès à l’œuvre urbaine par sa documentation et sa diffusion ; je suis reparti sur un projet éditorial. Plutôt qu’être le personnage de la fable, formuler le geste comme une hypothèse éditorial. C’est devenu une sorte de projet de recherche qui me permettait de revenir sur le buzz en ligne de 2016. Depuis 2010 où j’avais commencé cette série d’interventions urbaines, j’avais fait attention à ce que Tag Clouds ne devienne pas viral. Entre autres, parce que je sais très bien que quand une œuvre devient virale, l’auteur devient l’artiste d’un seul projet. Or, Tag Clouds représente un centième de mon travail, ça aurait été un peu ridicule de réduire des années de pratique à une seule œuvre. Cela peut être une stratégie de communication pour certains – un jeu avec l’économie de l’attention –, mais en ce qui me concerne la destination de mon travail a toujours été l’espace urbain et non le marché de l’art. Je ne voulais surtout pas me retrouver dans une situation où les municipalités m’inviteraient pour réaliser un Tag Clouds : la proposition se serait déplacée vers le repeint hygiéniste de ce qu’ils considèreraient comme des murs de tags « moches ». Ainsi, à chaque fois qu’on m’a demandé de réaliser cette intervention dans le cadre d’un programme, j’ai refusé. Et j’ai continué à la réaliser spontanément sans commissionnement et sans autorisation. Le buzz autour de cette intervention m’a fait réaliser qu’entre les années 2000 et les années 2010, le web décentralisé s’est transformé en réseau privé-public avec les médias sociaux. Avant les curieux, amateurs et journalistes allaient consulter les sites web des artistes et y découvraient les éléments de contexte publiés qui les renseignaient sur le processus créatif et le contexte de l’œuvre urbaine. Aujourd’hui, les œuvres urbaines diffusées via leur documentation sur le web sont réduites à des images dont l’intérêt fluctue avec le marché de l’attention. Elles deviennent des éléments d’une conversation plus large que celle qui les relie à leur contexte urbain, comme des sorte de template de mèmes. En remettant récemment en circulation ces Study Sketches, j’ai voulu réintroduire d’autres registres d’images qui renseignent le processus de création, le travail d’observation et de préparation préalable qui correspond aussi au rythme et aux usages de la ville plutôt qu’à ceux, instantanés, des réseaux sociaux.
[…]
Au-delà de ça,
Hic et nunc représente pour moi les enjeux de la pratique artistique : les artistes qui se répètent m’intéresse rarement. J’aime l’idée que quand tu crées, tu transformes, tu te transformes. Et si tu n’as rien de nouveau à dire, tu ne refais pas les mêmes choses, tu passes à autre chose, tu changes de projet, tu changes de travail. L’ici et maintenant dans la création, c’est cette actualisation de la pensée ou du regard, y compris sur ta propre œuvre. Il y a une actualité dans notre discussion à propos de Tag Clouds*. Je ne porte pas le même regard et n’en pense pas la même chose qu’il y a quatre ans quand il y a eu le buzz ou qu’il y a dix ans quand j’ai réalisé cette action une première fois. Ou qu’au moment où je faisais ce parallèle il y a vingt ans quand je faisais un parallèle entre une lecture psychogéographique de la ville et l’expérience du tag qui a en quelque sorte présidé à cette intervention. Et pourtant, nous sommes dans la même lignée, ce sont des variations, une manière d’affiner le travail.
[…]
PM : Non, tu fais bien de parler d’actualité parce que justement notre sujet de recherche ici et maintenant, ça vient aussi du contexte actuel, des confinements, déconfinements, couvre-feu, qui nous fait nous questionner sur les manières d’être présents les uns avec les autres, de trouver des solutions pour se voir et travailler ensemble… Il y avait quelque chose sur lequel je voulais te questionner c’est l’accès qu’on a maintenant à l’espace urbain, qui est très restreint... Est-ce que ça change quelque chose dans ta pratique ?
[…]
La gestion française du coronavirus avec les diverses restrictions qui ont été appliquées a exacerbé certaines caractéristiques déjà présentes dans la gestion de l’espace public. Le rapport au parcours urbain a été réduit à sa frange la plus fonctionnaliste et consumériste. C’était problématique puisque, c’est exactement ce contre quoi on lutte quand on intervient dans la ville. On vise à initier à travers la découverte fortuite des œuvres urbaines une approche aventureuse motive des usages poétiques et politiques de l’espace – là où les législations visent à les circonscrire donc à les limiter. Pour l’instant, je sais pas trop ce que ça a transformé dans ma pratique parce que le confinement a coïncidé avec le moment où je finalisais ma thèse, et que j’étais de toute façon toute la journée devant l’ordinateur. Et puis, comme j’agis déjà sans autorisation, le fait de devoir enfreindre certaines règles pour ménager des espaces-temps de pratique fait partie de mes habitudes. Je pense que ce qui a été pernicieux, c’est comment les règles imposées de manière temporaire ont permis une forme de surpénalisation des personnes qui n’avaient pas le choix que d’être dehors, parce qu’elles étaient dans des situations précaires. La violence systémique de l’État, lisible dans son désengagement social et dans les inégalités qui en découlent a été surlignée de manière kafkaienne – on se souviendra de ces personnes sans domicile fixe qui se sont faites verbaliser à de multiples reprise parce qu’elle ne pouvait pas reste chez elles par définition.
[…]
Ce que je retiens de cette période concernant la pratique artistique d’intervention urbaine, c’est un nécessité toujours plus forte de travailler l’adresse des gestes artistique. Je suis beaucoup intervenu dans mon quartier en pensant des propositions « de là pour là ». J’ai peint un mur d’escalade spontanément avec Alexander Raczka à propos de la mauvaise gestion du nouveau parc de jeux qui a mis près de six mois avant d’être opérationnel. Et puis il y a eu cette collaboration avec Cynthia Montier pendant le premier confinement où nous avons utilisé des encombrants au pied de notre immeuble pour transformer un arbre en cadrant solaire. C’était une œuvre à l’adresse des habitants. Regarder l’ombre de l’arbre tourner dans la journée, c’était une manière d’embrasser la lenteur et de conscientiser la suspension des flux des corps, des véhicules et des marchandises à l’échelle planétaire : une manière d’être dans un ici et maintenant sur lequel l’économie n’avait plus de prises.

Camille Bondon

La mesure du temps est une œuvre vidéo présentant une collection d’agendas, à partir desquels Camille Bondon interprète les traces laissées à l’intérieur par leur propriétaire. Carnet 17 est une édition retranscrivant, à la manière d’un fac-similé, les notes, les dessins, l’expression de ses pensées, contenus dans l’un de ses carnets de recherche. Camille Bondon est une artiste plasticienne, la rencontre et le partage sont au cœur de sa pratique protéiforme.
[…]
CD : Pour commencer, comment t’es venu cet intérêt pour le traçage du temps, et quelle place cela prend-t-il dans ta pratique et dans ta vie personnelle ?
[…]
CB : J’ai commencé à noter les choses, à noter le temps quand j’ai arrêté d’être étudiante. Il y avait un aspect un peu vertigineux car quand tu es étudiant tu as un planning qui t’est donné, mais après c’est à toi de décider de ta vie. C’est une pratique qui a donc commencé pour me rassurer, pour voir un petit peu ce que j’avais fait et archiver finalement toutes mes actions. Ça a été aussi un prétexte pour dessiner, parce que je ne suis pas une grande dessinatrice, enfin je n’ai pas de projet de dessin dans ma pratique artistique. Mais ce truc là, d’avoir à noter un peu, par exemple tous les repas que je prends, c’est une sorte de « micro-contrainte » pour pouvoir faire des dessins un petit peu tous les jours. Plus j’ai continué à le faire, plus je voyais que ça m’aidait aussi à structurer mes journées, à établir un peu des programmes. Et à chaque fois que j’essayais de trouver un meilleur modèle d’agenda, je voyais que finalement, l’espace du temps, sa matérialité, avait une forme d’influence ou d’incidence sur la perception que l’on a du temps. En posant la question autour de moi — parce qu’on a un goût partagé avec d’autres amis pour ces histoires-là — je me rendais compte que eux préféreraient les déroulés horizontaux ou verticaux des journées, d’autres voulaient avoir le mois pour avoir une sorte de vision à long terme. Je me suis dit que là, il y avait finalement une sorte de sujet commun, collectif, et que ça pourrait être intéressant d’essayer de faire un tour de cette question, pour voir comment les autres font aussi pour se dépatouiller du temps. Souvent, les questions que j’adresse aux autres pour créer des pièces, sont des questions de l’ordre du commun. Je me dis que si on partage nos savoirs et nos compréhensions de ces communs-là, la vie serait finalement plus simple.
[…]
CD : Tu produis beaucoup d’objets papier, et c’est une matière qui t’intéresse, mais je me demandais quelle place prenait les outils numériques dans ta pratique ? Est-ce que tu utilises par exemple des applications pour noter le temps justement ?
[…]
CD : Dans ta pratique est-ce que tu vas t’astreindre à un protocole et le suivre correctement ? Pour La mesure du temps tu disais que c’était un plaisir...
[…]
Est-ce que tu pourrais me parler d’artistes dont le travail et la pratique te parlent ou t’inspirent ?
[…]
CB : Il y a deux personnes, deux artistes avec qui je travaille. Il y a Michel Dupuy, de Dector & Dupuy, un duo d’artistes. Michel Dupuy, l’un des deux Michel était un de mes profs aux beaux-arts du Mans, et quand j’étais étudiante franchement je comprenais pas ce qu’ils faisaient, je trouvais que c’était assez obscur. En fait, ils font des visites guidées dans l’espace public, à la recherche de traces d’usages qu’ont les gens de l’espace public. Comment à un moment donné quel trou est le trou idéal pour mettre un gobelet en plastique ou une canette. C’est souvent étiqueté d’un rapport absurde au monde, mais moi je trouve que c’est plutôt une sorte d’éducation du regard, c’est-à-dire qu’on se balade avec eux, et ils viennent d’un seul coup regarder un truc, mais avec un intérêt vraiment sincère. Ils viennent, aussi par moment s’intéresser à des graffitis qui ont été effacés, donc ils vont venir redessiner à la craie les contours du graffiti effacé, et eux auront fait tout un boulot d’enquête de terrain pour comprendre quel était ce graffiti, quand est-ce qu’il a émergé, en marge de quel événement politique... D’un seul coup ils vont déployer des indices qui sont présents dans l’espace public, qui touchent à l’histoire individuelle, des trouvailles que les gens ont, d’usage d’espace, d’accrocher sur des grilles des choses... et aussi de la grande histoire, et comment ces grandes et ces petites histoires se trouvent mélangées. Dans leur manière d’être, il n’y a pas de parler théâtral ou de truc postural, ils sont vraiment comme deux gars. Il y a un truc très simple et joyeux que moi j’aime beaucoup. Ce côté là humain, mais curieux, passionné, et qui t’embarque complètement. C’est une visite guidée, on marche, on s’arrête sur un truc, ils nous parlent, et on continue vers un autre point. Et en fait il se passe un truc génial dans le groupe, c’est qu’on se met tous à essayer de chercher quel va être le point d’arrêt suivant. Et d’un seul coup on devient un Dector & Dupuy. Ce genre de pratique déborde du temps de la performance. C’est-à-dire que tu as la performance, mais il y a un truc qui t’as impacté. Tu te mets à penser comme eux en dehors de ce temps performatif. Ils t’ont transmis le virus, tu as un regard qui est plus aiguisé après. Et je trouve ça génial quand l’art s’infiltre dans ta vie au quotidien, et que ta vie est habitée par la vision d’artistes que tu as pu expérimenter.
[…]
Une autre personne que j’aime beaucoup, c’est Adrianna Wallis[^ Adrianna Wallis est une artiste plasticienne française. Les Lettres ordinaires est un projet commencé en 2016, à partir de lettres perdues, c’est-à-dire qui n’ont pas pu atteindre leur destinataire ou retourner à leur expéditeur.], c’est avec elle que je fais le projet des nappées. Un jour elle a cru voir une lettre perdue sur le bord de la route alors qu’elle conduisait, elle s’est arrêtée et a fait demi-tour. Bon c’était une facture de boulangerie, mais elle s’est demandé « en fait, où vont les lettres perdues ? ». Et j’adore parce qu’elle a un culot génial, elle a appelé la poste pour leur poser la question, et elle a demandé à être en résidence au centre de tri à Libourne à côté de Bordeaux, qui ouvre et trie toutes ces lettres. Elle a passé une semaine là bas, à lire des lettres, à découvrir des pratiques un peu thérapeutiques de lettres, pour résoudre des choses, que tu adresses à Catherine Fauxnom, rue de la Famille, 36200 Pardon, des choses comme ça avec des adresses imaginaires. Une boîte de Pandore incroyable. Elle a été est dépositaire officielle de ces lettres perdues pendant plusieurs années. Elle a des cartons de lettres qui lui arrivaient à l’atelier, et elle organise depuis des relais de lecteurs et de lectrices pour lire à voix haute ces lettres pour qu’elles trouvent des destinataires. C’est hyper beau.
[…]
CD : La démarche de Dector et Dupuy avait-elle un lien avec leur pratique d’enseignants ?

Marcia Burnier & Nelly

N : Alors, moi c’était le premier texte que j’écrivais depuis assez longtemps, parce que pour moi, la pratique de l’écriture c’est quelque chose que je fais depuis longtemps mais j’avais vraiment eu un moment où je m’en étais un peu éloignée. Du coup, j’avais publié ce texte sur //euh bah voilà// c’est un peu intime, mais c’est à l’image du zine, et c’était sur la pratique de la scarification, enfin les pratiques, un peu, de se faire mal quoi. Et… ce n’était pas que ça, mais c’était en partie sur ça. Du coup, je l’avais publié sans trop savoir quoi en faire. J’avais envie de le rendre public et j’avais envie de pouvoir commencer un peu des discussions là-dessus, et je l’avais publié sur le tumblr que j’avais à l’époque et Marcia ensuite m’a écrit des messages, voilà !
[…]
MB : Y’avait un côté où, tu sais on se disait, je crois que si je… J’essaye de ne pas refaire l’histoire, mais il me semble que la chronologie c’est qu’il y a ça qui se passe à ce moment-là : Il y a le bouquin tiré de la thèse de Manon Labry qui sort, Riot Grrrls [^Ouvrage de Manon Labry, retraçant l’histoire du mouvement nord américain Riot Grrrl. Il est paru en 2016 aux Éditions La Découverte.], qui est sur l’histoire des Riot Grrrls. Ça parle pas mal de la pratique du zine, et je pense qu’il y a, à un moment donné, un truc où on se… en tout cas j’avais l’impression que c’était peut-être, je mets un peu la charrue avant les bœufs, mais j’avais l’impression qu’on s’était dit ça Nelly, c’était que c’est cool de publier sur Tumblr, mais à un moment donné, t’as aussi envie de créer un objet qui se diffuse en fait et qui permet de mettre en regards des textes différents. Et voilà, je crois qu’il y avait vraiment cette idée-là quoi, ce n’était pas juste « il se trouve qu’on écrit, qu’est-ce qu’on en fait ? », c’était aussi, « créons quelque chose », tu vois ? C’était assez cool on n’avait jamais fait ça avec Nelly, ni l’une ni l’autre, on avait regardé des tutos sur internet, mais il y avait aussi une question de faire un objet ensemble, de ces textes-là, et de les mettre en valeur.
[…]
MB : Oui je crois qu’il y a un enjeu très fort sur, quels textes ont le droit de cité en fait, dans l’espace public. Même dans l’espace des zines, je me rappelle qu’on avait essayé de les mettre sur infokiosque et qu’ils nous avaient refusées. Et, je ne pense pas spécialement pour le contenu, mais enfin eux ils disaient : « c’est pas trop… ». Ils ne comprenaient pas trop ce que c’était. « C’est quoi ? C’est un zine littéraire ? Mais pourquoi il y a plusieurs numéros ? C’est pas une brochure ? ». Enfin voilà, et c’est vrai que comme ce que Nelly disait tout à l’heure, c’est vraiment la question des influences états-uniennes voire anglo-saxonnes, enfin un peu plus large, sur le spoken word il y avait vraiment cette question : en France, on a du mal à valoriser les contenus intimes. Moi souvent, je me rends compte que comme les textes ne sont pas de la fiction, il y a très, très peu de fiction qui a été publiée. Je crois qu’on s’est essayées toutes les 2 une fois, mais c’est tout. C’est comment tu qualifies des textes qui sont littéraires, mais qui parlent de choses vécues ? Et en fait, dans plein de pays, ils parlent de non-fiction et ils ont aucun souci à considérer que c’est de la littérature. Et moi j’avais l’impression que nous on était très attachées à ça. À dire que, tout le monde a des choses à dire sur son expérience de personnes minorisée pour un certain nombre d’oppressions et que c’est important qu’on entende ces voix-là. Et qu’on ne le relègue pas uniquement dans la catégorie du témoignage, qu’on considère que c’est une question littéraire, que par ailleurs, ça a de la valeur dans un zine littéraire, et que les gens ont envie de l’écrire. Après, nous on faisait pratiquement 0 sélection au cours des 16 numéros. On l’a peut-être fait une ou 2 fois quand c’est… Quand ça rentrait vraiment pas du tout. Mais sinon, à priori on a toujours pris un peu ce que on nous envoyait, et on ne faisait pas non plus beaucoup de modifs. À moins que les gens nous le demande, mais il y avait un peu un côté : cet espace c’est aussi le vôtre quoi.
[…]
N : Non c’est clair, on n’en a jamais parlé. Moi j’aime bien le principe du prix libre, enfin je veux dire je trouve ça chouette, notamment dans des événements comme ça là, je trouve ça chouette qu’il puisse y avoir cette pratique du prix libre. Surtout quand derrière on n’avait pas trop de frais et que du coup, c’était un peu « hippie » déjà ça, mais que ça venait un peu du cœur quoi, on avait un peu un truc de, « bon on n’a pas l’impression de se faire carna parce que parce qu’on est en train de mettre du prix livre ».
[…]
Et pour moi, en fait dans cette discussion ça me fait aussi penser que, malheureusement on est aujourd’hui dans un monde où la thune est aussi liée à comment on est pris au sérieux. C’est comment nous on se prend au sérieux aussi, et du coup, voilà, je suis partagée, parce que je trouve que cette pratique du prix libre est importante, et en même temps, peut être que dans des lieux un peu plus institutionnels, par exemple, comme les librairies ou comme des… De toutes les façons il y a un prix fixé. Peut-être que j’aurais rétrospectivement, un peu moins rechigner à mettre, ’fin je sais pas, j’aurais peut-être été moins dans un truc de, on va mettre le truc à 2 balles. Je pense qu’on aurait pu se permettre de le mettre un petit peu plus cher sans que ça… Sachant qu’il y avait aussi cette possibilité de le choper à prix libre ailleurs. Enfin, voilà, pour moi c’est un peu ce truc du, des différents espaces aussi. Mais je sais pas ce que t’en pense Marcia en fait.
[…]
MB : Et ouais à l’écriture et à l’artistique ! Enfin je pense qu’il y a vraiment cet aspect-là qu’on oublie. Un zine c’est, enfin tu te rappelles Nelly quand je t’ai dit « vas-y on postule à cette expo collective à Toronto ? » En fait on a été prises dans une expo collective à Toronto, juste avant le covid en février 2020, et bah c’était un truc pour les artistes et y avait un peu le côté de dire « bah ouais, mais on est des artistes, vas-y c’est bon ! » Et je crois que ce rapport-là, en tout cas je dis ça parce qu’on a fait aussi des ateliers d’écriture et on a donné aussi des ateliers zines, et qu’en fait c’est aussi ça qui est aussi très présent chez les gens. C’est qu’on a l’impression que la pratique artistique est quelque chose qui est soit inaccessible, soit extrêmement compliquée, soit réservée à des gens qui sont créatifs depuis qu’ils ont 2 ans, voilà. Et moi, la première, j’étais vraiment terrorisée à l’idée, enfin, je disais tout le temps, « mais nous on ne fait pas de l’art, enfin on fait un zine, etc. », et il y a quelque chose de déculpabilisant sur ce côté-là je trouve. Quand tu fais des ateliers de fabrication de zines ou quand tu fabriques un zine et que tu montres que, bah nous, //je veux dire les séances de fabrication// on mettait du scotch et on se dit :
[…]
On décolle, on découpe, enfin voilà c’est un truc assez décomplexé. Et je trouve qu’il y a aussi ça à transmettre quoi, de dire franchement, il n’y a pas besoin d’être une pro, de quoi que ce soit, il n’y a pas besoin d’avoir fait une école d’art pour faire des zines, ça c’est une pratique qui existe depuis longtemps et qui permet justement de faire des trucs très chouettes et comme ça n’a pas besoin d’être parfait, ça fait que n’importe qui peut le faire.

Julie Blanc & Quentin Juhel

FJ : À l’occasion du Salon de l’édition alternative à la Gaîté Lyrique en 2017, vous aviez produit ce catalogue avec ces différents projets qui utilisent des types de conception alternatifS et donc vous êtes partis sur des technologies web, quels étaient les avantages et inconvénients de cette pratique ?
[…]
JB : Il y avait aussi des textes open source écrits dans cette édition ; puis la dernière page était sur les ressources. C’était aussi un manifeste par ces parties sur ces pratiques non conventionnelles.
[…]
QJ : Oui en effet, ce n’est pas forcément structuré, contrairement au web. Je n’utilise plus de logiciel propriétaire depuis 3 ans, dans l’enseignement ou dans ma pratique professionnelle.
[…]
QJ : Tout dépend de ta pratique, et dans celle des gens que je côtoie (OSP, Figure libre, Bonjour Monde), ce n’est pas dans l’optique de trouver des alternatives ; c’est plus de trouver des outils qui vont nous déséquilibrer ; de trouver des formes graphiques, dans un cadre de recherche plutôt expérimentale. Ce n’est pas la recherche d’alternatives qui nous motive, ce sont plus les formes, la recherche de scripts etc…
[…]
Code X est dans la même logique qu’un fanzine, où nous créons une publication rappelant et communiquant sur nos pratiques avec nos moyens – avec une petite maison d’édition qui veut parler aux étudiants.
[…]
QJ : Quand on rentre dans ce genre de pratique, cela va au-delà de question de la forme, on se pose des questions du technique, à l’éthique : c’est pour cela qu’on déborde à chaque fois. Au-delà des projets, nous concevons autres choses que des formes : des façons de travailler, de travailler collaborativement, de travailler avec d’autres outils.

Garance Dor & Vincent Menu

GD : Le fait de ne pas appartenir complètement à un clan ou une communauté parcequ’on est dans des pratiques extrêmement poreuses. Même Vincent en tant que graphiste est amené à travailler avec des artistes de différentes disciplines. Moi j’ai toujours été entre deux également donc il y a effectivement cette question plus de porosité plus que de communauté. Non pas le groupe comme une entité fermée, mais plutôt ses connexions, ses liens. Plus comme une zone de jonction qu’une communauté.
[…]
GD : En général, on essaie bien évidemment d’aller vers des artistes qui pourraient être intéressés par cette notion de partition ou qui la pratiquent déjà. Dans le prochain Véhicule il y aura des gens comme Jean-Baptiste Farkas [^Jean-Baptiste Farkas est un artiste français qui opère sous les identités IKHÉA©SERVICES, Glitch (Beaucoup plus de moins) .] : avec IKHÉA©SERVICES [^Jean-Baptiste Farkas a créé IKHEA en 1998, en détournant le nom de la célèbre marque. IKHEA est une entreprise fictive invitant le public à réaliser les services imaginés par elle.] il est vraiment au cœur de cette notion de partition par des services qu’il propose, c’est son geste d’artiste. Et puis des artistes qui sont plus éloignés de ça, dont la pratique est loin de celle-ci même, mais qui vont interroger leur œuvre en se demandant comment la transmettre ? Parce qu’il y a cette idée-là qui est quand même au centre de la partition : c’est la transmission, c’est de faire voyager des œuvres et qu’elles puissent exister, et exister de nombreuses fois en de nombreux lieux.
[…]
GD : Ça fait partie des enjeux de la revue. Dès le départ on a eu cette envie-là. Alors non pas de pérenniser, justement toute la question était là. Comment faire pour ne pas muséifier les pratiques, comment faire pour les transmettre sans que ce soit des traces. Mais comment leur garder leur statut de projet à l’intérieur d’une archive ? Comment les transmettre, comment les conserver en leur donnant un statut de document actif, de document performatif.

Élise Gay & Kevin Donnot (E+K)

FJ : Dans le cadre de la création de ce catalogue d’exposition, quels ont été les éléments déclencheurs qui vous ont poussés dans votre pratique à utiliser ces technologies de web2print ?

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit END.