Mot-clé : texte
Marcia Burnier & Nelly
Marcia et Nelly se sont rencontrées via une communauté militante queer-féministe. D’ici, elles décident de se retrouver le temps d’une journée pour donner corps aux textes qu’elles publient sur leurs Tumblr respectifs. Inspirées par la sous-culture punk-féministe américaine Riot Grrrl, et proches du spoken word [^Formes expérimentales d’oralisation d’un texte qui passe par différentes méthodes liées aux gestes, aux expressions corporelles et vocales. Cette forme est surtout popularisée dans les années 60 au sein des communautés noires américaines.] elle choisissent le zine comme espace de parole personnelle et de récits non-fictionnels. Armées de scotch pailleté, de ciseaux et inspirées par leurs collections d’images, elles dessinent une collection de 15 zines en se ré-appropriant écriture et création artistique.
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CD : Ok, ça marche. Donc l’idée c’était que… On travaille sur une biennale qui s’appelle Exemplaires et qui a lieu à Toulouse à l’automne 2021. Donc c’est une biennale qui porte sur les exemplaires et sur l’objet imprimé contemporain et nous, on a choisi d’orienter nos réflexions sur l’ici et maintenant, donc au vu du contexte actuel, ça faisait assez sens, et on a surtout choisi votre zine pour des questions qui portent sur l’urgence, le lien à la communauté, le peer to peer, la diffusion dans des espaces spécifiques et locaux. Voilà, donc c’est des questions que je vais ré-aborder dans ce que j’ai préparé pour vous. Mais j’aimerais aussi, peut être avoir plus d’informations sur le moment où vous vous êtes rencontrées. Qui est dans le… le collectif le Gang ? C’est ça ? L’association, collectif ?
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CD : Ça m’intéressait de savoir exactement quel était le contexte de votre rencontre qui a pu ensuite mener au zine mais c’est… ok ! Est-ce qu’il y a peut-être quelque chose en particulier qui a lancé l’idée du zine ou alors… Comment, est-ce qu’en dehors de vos…
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MB : Moi je dis toujours qu’il y a deux trucs. Nelly, il y a ton texte que tu avais publié sur tumblr ? Que j’avais trop aimé et où je m’étais dit « ohlala mais faut trop qu’on publie ces textes-là ! ». Nelly avait écrit un texte absolument magnifique //ahah// et je t’avais envoyé un message non ? « Faut qu’on… »
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CD : Et c’était un texte qui portait sur quoi ?
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N : Alors, moi c’était le premier texte que j’écrivais depuis assez longtemps, parce que pour moi, la pratique de l’écriture c’est quelque chose que je fais depuis longtemps mais j’avais vraiment eu un moment où je m’en étais un peu éloignée. Du coup, j’avais publié ce texte sur //euh bah voilà// c’est un peu intime, mais c’est à l’image du zine, et c’était sur la pratique de la scarification, enfin les pratiques, un peu, de se faire mal quoi. Et… ce n’était pas que ça, mais c’était en partie sur ça. Du coup, je l’avais publié sans trop savoir quoi en faire. J’avais envie de le rendre public et j’avais envie de pouvoir commencer un peu des discussions là-dessus, et je l’avais publié sur le tumblr que j’avais à l’époque et Marcia ensuite m’a écrit des messages, voilà !
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MB : Y’avait un côté où, tu sais on se disait, je crois que si je… J’essaye de ne pas refaire l’histoire, mais il me semble que la chronologie c’est qu’il y a ça qui se passe à ce moment-là : Il y a le bouquin tiré de la thèse de Manon Labry qui sort, Riot Grrrls [^Ouvrage de Manon Labry, retraçant l’histoire du mouvement nord américain Riot Grrrl. Il est paru en 2016 aux Éditions La Découverte.], qui est sur l’histoire des Riot Grrrls. Ça parle pas mal de la pratique du zine, et je pense qu’il y a, à un moment donné, un truc où on se… en tout cas j’avais l’impression que c’était peut-être, je mets un peu la charrue avant les bœufs, mais j’avais l’impression qu’on s’était dit ça Nelly, c’était que c’est cool de publier sur Tumblr, mais à un moment donné, t’as aussi envie de créer un objet qui se diffuse en fait et qui permet de mettre en regards des textes différents. Et voilà, je crois qu’il y avait vraiment cette idée-là quoi, ce n’était pas juste « il se trouve qu’on écrit, qu’est-ce qu’on en fait ? », c’était aussi, « créons quelque chose », tu vois ? C’était assez cool on n’avait jamais fait ça avec Nelly, ni l’une ni l’autre, on avait regardé des tutos sur internet, mais il y avait aussi une question de faire un objet ensemble, de ces textes-là, et de les mettre en valeur.
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N : Euh, bah je peux en dire un peu quelque chose. En fait, effectivement, comme disait Marcia, le départ c’est que nous de toutes les façons on écrivait des choses mais on avait envie de créer cet objet, ce média littéraire par manque d’autres espaces et par envie aussi de voilà, de proposer quelque chose. Et le truc c’est que, ça s’est quand même beaucoup centré au départ sur nos textes. Mais, parce que je pense, pour moi en tout cas, je sais que, il y avait aussi une forme de frustration. De ne pas vraiment avoir d’espace où publier, donc je pense on est parties de nous quoi. Mais dans le premier, est-ce qu’il n’y a que nous ? Ou est-ce qu’il y a déjà… On avait déjà commencé à contacter des personnes ?
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MB : À mon avis, on a fait ça et on demande à ce moment-là. En fait, il se trouve que Nelly et moi on est, on a des gens autour de nous dont on sait qu’ils écrivent, notamment Sandra Calderan [^Sandra Calderan est une artiste, autrice, comédienne, féministe française qui s’exprime son engagement politique et artistique par la danse et la poésie notamment.], qui est… Qui fait du théâtre et qui est autrice, et à ce moment-là… Je pense qu’il n’y a qu’à elle. On lui propose à ELLE de mettre un texte dans le premier zine, en lui disant un peu « écoute on fait un zine à l’arrache, est-ce que tu veux être dedans ? » et elle dit « bien sûr » et elle nous envoie les textes.
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MB : Donc on a fait ça… C’était un moyen de passer du temps ensemble donc c’était pas du tout… Enfin même jusqu’au bout, même quand Nelly, toi t’as déménagé, on a réussi à se trouver des journées. En fait ça prend une journée, enfin plus ou moins quand c’est plus ou moins long, mais en gros c’était une manière de passer du temps ensemble et de créer un truc ensemble. Donc très peu d’échange par ordi, il me semble. Et je pense même… Nelly tu me tu me dis si je me trompe mais je… Je pense même qu’avant quand il n’y avait pas trop de textes, et quand c’était principalement nos textes à nous, on se les faisait lire sur le moment. Donc ouais…
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N : Oui, oui. Ouais c’était un moment en fait, oui je trouve que c’est ça. C’est qu’il y avait un moment aussi de partage où on se lisait nos textes où on regardait, on se demandait ce qu’on en pensait… Enfin, je veux dire, il y avait aussi cette dimension-là qui jouait. Et après sur ta question aussi, par rapport à ce qu’on s’est inspirées de choses qu’on avait enfin, si j’ai bien compris, de supports ou de choses qui étaient déjà présentes. Mais comme quand on dit « à l’arrache » c’est aussi que vraiment littéralement on avait : du papier, des ciseaux, du scotch, des images, enfin je veux dire c’était matériel, concrètement ce qui se passait. Et du coup je me rappelle que moi par exemple mon Tumblr, c’est le résultat de longues heures de procrastination devant internet //ahahahah// du coup j’avais plein de photos rigolotes ou des trucs que j’avais trouvé. On s’en inspirait pas mal pour faire la déco, au début en tout cas ! Ouais c’est une source d’inspiration.
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CD : Ok. Et… au niveau de la prise de parole et de l’espace que vous vouliez créer, il y a des messages qui ont un peu marqué genre, le début un peu, de la création du zine, par le contexte… Mais qu’est-ce que vous vouliez transmettre comme message premier ? En gros au travers du zine. Dans quel… Quelles sont vos positions politiques quelque part, et quelles étaient vos positions politiques ?
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MB : Bon ! Franchement le premier message politique qu’on voulait, c’était que les gens nous lisent ! Enfin, je crois qu’au départ c’était un peu ça, on écrivait, on avait envie de diffuser ce qu’on écrivait et ça partait de là. Mais je ne sais même pas si on en a discuté, j’ai l’impression que c’était assez clair qu’on ne voulait pas de mecs cis dans les contributions parce qu’on trouvait que y avait assez d’espace. Ah oui ! Non si ! Quand même, quand on a commencé à demander un peu à droite, à gauche des textes là, il me semble qu’assez vite on s’est dit : « pas de textes universitaires ! »
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MB : Oui je crois qu’il y a un enjeu très fort sur, quels textes ont le droit de cité en fait, dans l’espace public. Même dans l’espace des zines, je me rappelle qu’on avait essayé de les mettre sur infokiosque et qu’ils nous avaient refusées. Et, je ne pense pas spécialement pour le contenu, mais enfin eux ils disaient : « c’est pas trop… ». Ils ne comprenaient pas trop ce que c’était. « C’est quoi ? C’est un zine littéraire ? Mais pourquoi il y a plusieurs numéros ? C’est pas une brochure ? ». Enfin voilà, et c’est vrai que comme ce que Nelly disait tout à l’heure, c’est vraiment la question des influences états-uniennes voire anglo-saxonnes, enfin un peu plus large, sur le spoken word il y avait vraiment cette question : en France, on a du mal à valoriser les contenus intimes. Moi souvent, je me rends compte que comme les textes ne sont pas de la fiction, il y a très, très peu de fiction qui a été publiée. Je crois qu’on s’est essayées toutes les 2 une fois, mais c’est tout. C’est comment tu qualifies des textes qui sont littéraires, mais qui parlent de choses vécues ? Et en fait, dans plein de pays, ils parlent de non-fiction et ils ont aucun souci à considérer que c’est de la littérature. Et moi j’avais l’impression que nous on était très attachées à ça. À dire que, tout le monde a des choses à dire sur son expérience de personnes minorisée pour un certain nombre d’oppressions et que c’est important qu’on entende ces voix-là. Et qu’on ne le relègue pas uniquement dans la catégorie du témoignage, qu’on considère que c’est une question littéraire, que par ailleurs, ça a de la valeur dans un zine littéraire, et que les gens ont envie de l’écrire. Après, nous on faisait pratiquement 0 sélection au cours des 16 numéros. On l’a peut-être fait une ou 2 fois quand c’est… Quand ça rentrait vraiment pas du tout. Mais sinon, à priori on a toujours pris un peu ce que on nous envoyait, et on ne faisait pas non plus beaucoup de modifs. À moins que les gens nous le demande, mais il y avait un peu un côté : cet espace c’est aussi le vôtre quoi.
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N : Non, non, mais je suis assez d’accord avec ce que tu allais dire, enfin je ne sais pas ce que t’allais dire. Enfin, déjà comme disait Marcia tout à l’heure, au début, on avait des envies, mais alors on savait pas du tout que ça allait nous emmener jusque-là et donc on a commencé par, comment dire ? Les personnes qui participaient, c’était des personnes qu’on connaissait plutôt personnellement avec qui on était en contact. Du coup, pas tant des appels à textes. Je te faisais lire des textes déjà existants généralement comme nous, qui avaient soif en fait de cet espace, pour publier leurs textes et du coup… voilà. Jusqu’au moment où vraiment ça a pris de l’ampleur et où là des personnes qu’on ne connaissait pas nous ont contacté, parce qu’on laissait toujours l’adresse mail sur les zines. Du coup, il y avait ce truc où les gens, spontanément nous écrivaient aussi pour envoyer leur contribution. Et à un moment donné… je ne sais pas si je rate des étapes donc peut être que tu rajouteras Marcia ! Mais j’ai l’impression que du coup il y a eu ce moment où les personnes venaient contribuer spontanément etc. et qu’il y a eu un moment aussi où on s’est posé la question du thème parce qu’on commençait à faire vraiment pas mal de numéros. Et qu’on s’est dit « OK, peut-être qu’on a aussi envie de NOUS décider, qu’est-ce que… ’fin voilà que de faire des… d’avoir des fils un peu, comme ça à suivre ». Là on a commencé officiellement aussi à lancer des appels à textes. Voilà, c’était un peu plus dirigé, quoi.
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CD : D’accord, ok ! Et donc c’est quelque chose, où à chaque fois que vous avez une certaine quantité de textes que vous avez reçu, vous essayez de… Comment est-ce qu’aujourd’hui, après toute cette évolution, vous choisissez de créer un nouveau numéro ? Est-ce que maintenant c’est vous qui choisissez le moment précis où vous allez donner un thème et faire des appels à contributions ou alors il y a toujours un peu la réception des textes et voir des thèmes qui se dégagent à partir de ces textes-là et donc la volonté de créer un nouveau numéro…
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MB : On a dit que là, on avait envie de faire une pause, ça devenait compliqué matériellement, et parce qu’on est on n’habite pas au même endroit. Et que ça faisait quand même ça, et aussi parce qu’on commençait, enfin ça a commencé à faire beaucoup de boulot de diffusion parce que quand tu reçois des textes de gens, t’as aussi envie de prendre du temps pour diffuser ce que ce que les gens te filent et puis ça commence à faire beaucoup, 16 numéros. C’est beaucoup à diffuser pour 2 meufs qui ne font pas ça à plein temps et qui n’ont pas de moyens, donc on avait aussi ça, c’est qu’on n’avait plus trop de moyens d’impression possible. Ça devenait hyper compliqué et du coup on a mis en pause ouais.
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MB : Il y a juste un truc, que je trouve qu’il faudrait rajouter. C’est aussi, enfin c’est peut-être, c’est bizarre, le lien que je fais, mais, j’ai l’impression que, nous l’idée ce n’était pas que notre zine soit pérenne, tu vois. On n’était pas dans un truc de : c’est notre formule et voilà, on était plutôt sur : regardez un zine c’est facile à faire, et tout le monde peut en faire et je crois qu’aussi on s’est… on a mis le zine en pause, dans un moment ou tout d’un coup il y a eu aussi plein de projets de zines qui ont commencé à sortir en France. Qui étaient plutôt… trop cools ! Moi j’ai l’impression qu’il y en a… Enfin qu’il y en a de plus en plus que c’est quelque chose dont les gens se sont emparés et du coup, c’est déjà arrivé évidemment, c’est pas la première fois que ça arrive, mais je trouve ça très chouette et je crois que c’est ça aussi la grosse différence avec un magazine où il y a une formule et t’as envie que ta formule soit justement pérenne, c’est ton but. Et que nous l’idée c’était un peu de dire mais, on n’est pas des pros et ça ne sera jamais pro et regardez, en fait tout le monde peut le faire et en fait, peut être si vous avez envie d’écrire des textes et de nous les envoyer, posez-vous d’abord la question de, est-ce que vous ne voudriez pas vous-mêmes faire un zine avec vos textes ? Enfin, je sais pas ce que tu en dit Nelly ?
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CD : Ok, ouais. Donc c’est ça c’est sortir un petit peu du sentiment d’imposture et de déplacer l’accès à l’art et à l’écriture. Est-ce que c’était la première fois pour vous 2 où vous publiez vos textes ? Est-ce que, comme Marcia, enfin t’as écrit les orageuses [^Marcia Burnier, Les orageuses, Éditions Cambourakis, Paris, 2020.] récemment, aussi est-ce que… est-ce que c’est une suite quelque part de la création du zine ? Ou alors, est-ce qu’il y a une continuité entre tout ça ? Est-ce que ça vous a libéré sur d’autres choses aussi ? Et enfin ça a été un peu un tremplin sur d’autres, sur votre rapport aussi à vous-même peut être ? Je sais pas ? Vous voyez ce que je veux dire ?
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MB : Non, non, je pense que c’est une réponse qu’on a chacune, qui… ça va faire 2 réponses différentes là pour le coup mais, si tu veux, je peux commencer moi. C’est sûr que c’est une continuité. Moi je suis persuadée que sans le zine je n’aurais jamais écrit les orageuses, enfin il y a évidemment un processus. Je suis en train de réfléchir à ce que j’avais déjà écrit… Moi, oui je pense que j’avais déjà publié dans retard magazine des textes avant le zine j’en suis quasi sûre, puisque Nelly toi t’avais déjà lu des textes que j’avais écrit et Nelly avait déjà publié vu que moi j’avais déjà lu. Mais du coup, oui, moi c’est 3 ans où j’avais un endroit où mettre mes textes, ce qui m’a motivée à écrire. Ça m’a fait explorer la poésie, ça m’a fait prendre l’écriture au sérieux, et par ailleurs ça m’a fait explorer des textes ultras persos et ensuite j’ai eu envie de passer à la fiction, tu vois. Donc c’est sûr que c’est lié, et je veux dire c’était aussi un énorme moteur de valorisation de l’écrit, Nelly ça a été un soutien monstrueux, il y avait vraiment un truc de valorisation de soi en fait. Écrire ça peut être très solitaire, quand t’as pas une communauté ou un master ou je ne sais pas quoi autour de toi. C’est un peu toi et toi-même et là moi je suis évidemment extrêmement reconnaissante de ce soutien-là, quoi.
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N : Alors moi je m’inquiète, vous me dites si vous ne m’entendez pas parce que j’ai l’impression que la connexion est de pire en pire ! Mais… oui moi je crois que… juste mon rapport à l’écriture il a été profondément transformé par ce projet, par cette expérience et par le fait de l’avoir partagé avec Marcia. En fait, juste je crois que dans ma vie je n’aurais pas passé autant de temps à écrire et à prendre au sérieux ce que j’écrivais s’il n’y avait pas eu ce projet en fait. Aussi, c’est que du coup ça a… « ça m’obligeait, tous les mois ou tous les 2 mois » ou quoi. J’avais envie de proposer quelque chose pour ce zine et j’y travaillais et j’y passait du temps et je pense que ça prenait de la place dans ma vie et ça m’a permis d’évoluer. Donc aujourd’hui, quand je regarde les textes que j’ai écrit il y a quelques années, j’ai un peu honte et en même temps je me dis bon bah ça fait partie du processus d’écriture. Et à ce moment, ’fin, quelque part, le fait de pouvoir voir l’évolution aussi c’est très chouette et après, moi par exemple, aujourd’hui, je suis restée très attachée à la forme du zine et j’ai envie de créer d’autres zines ou des choses comme ça, mais ça m’a aussi permis je crois, d’aller au… J’allais dire au bout d’un truc, c’est pas d’aller au bout d’un truc, mais d’explorer quelque chose, au point où je peux aussi en voir la limitation ce qui fait que, par exemple, moi aujourd’hui j’explore plus de l’oralité, donc peut-être des choses autour de la performance. Comme j’ai envie que ces textes-là, ils sortent juste de l’écrit et d’en faire aussi quelque chose avec mon corps, avec ce que je suis. Je pense que ça, en fait ça a aussi été permis parce qu’à un moment donné j’ai pu passer énormément de temps à écrire jusqu’au point de voir, je ne sais pas, comme la frontière quoi, et c’est ce que j’avais envie de faire dans l’étape d’après du coup. C’est chouette pour ça.
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MB : On a eu des gens qui ont contribué régulièrement, ça c’est sûr. En fait le truc c’est que ça… ça regroupe une réalité assez différente je trouve, avec des gens qu’on connaissait très bien, avec qui on a pu beaucoup discuter du zine, et de ce que ça avait pu faire pour eux et des gens qu’on a jamais rencontré en fait, et avec qui il y a eu des personnes avec qui les échanges ça a été : « Bonjour, voilà, je voulais savoir si c’était ok si vous vouliez… mettre, proposer, ce texte », on disait « bah ouais grave » les gens étaient contents et après on leur envoyait le zine fini, puis bah on avait plus trop de contacts. Et on se rencontre des années plus tard et on se rend compte que les gens sont très contents, mais pour le coup moi j’ai eu le sentiment à un moment donné que certaines personnes utilisaient ça, et il n’y avait vraiment pas de soucis, mais un peu comme un endroit où tu déposes quelque chose et ensuite tu t’en occupes plus. Voilà, et je me suis demandé si ça avait cette fonction là pour certaines personnes. Après, le truc c’est qu’il y a aussi des personnes à qui on a sollicité des textes qui avaient déjà été publiés, je pense à Daria par exemple, on avait lu son texte sur son blog et on lui avait proposé de le republier. On avait proposé ça aussi. Donc ça c’est un rapport différent. C’est des gens qui ont déjà mis leur texte quelque part. Donc ça, c’est de mon côté, je ne sais pas si toi Nelly tu avais eu d’autres retours ?
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MB : Ouais, moi j’avoue, je sais mais c’est ça rejoint un peu ce que tu disais sur quand tu regardes tes textes d’il y a longtemps, mais moi maintenant, je crois qu’après avoir publié les orageuses où il y a mon nom de famille… Des fois, je trouve ça un peu vertigineux d’avoir écrit d’autres textes, autant de trucs intimes en public quoi ! J’essaie de ne pas trop y penser. Ça c’est sûr, parce que j’ai vraiment déversé ma vie et de manière évidemment très subjective, c’est à dire qu’il y a plein de trucs tu les relis, et tu te dis : « Ah ouais je ne sais pas si je l’aurais dit comme ça… » et là, c’est marrant parce que je vois que j’ai moins envie… Tous les appels à textes justement sur le vécu, sur les trucs comme ça, maintenant je suis un peu plus genre « oui bon peut être que j’ai assez dit de choses sur moi, et que j’ai plus trop envie de ça ». Mais c’est un peu ce que tu disais Nelly, d’aller jusqu’au bout d’un truc. C’est hyper agréable je trouve d’arriver à un endroit où tu te dis « Ah ouais maintenant je commence à voir les limites et qu’est-ce que j’aimerais refaire et ne pas refaire ? » Je trouve ça très chouette, mais toi, t’as publié dans plein d’autres zines Nelly après.
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N : Oui c’est vrai, ouais. Ensuite, déjà y’a eu ce truc ou j’ai publié dans retard magazine, mais ça c’était pas mal parce que tu m’avais aussi… enfin bref ! J’avais découvert ça, ce magazine, à travers toi. Mais après non. On a publié toutes les deux dans ce zine sur le tatouage là : Encrage. J’ai publié dans un zine qui s’appelle Pornésie c’est des textes érotiques/poétiques. Ouais, c’est vrai que j’ai publié ensuite, mais c’est vrai que je me sens encore à l’aise et je vois encore quelque chose de bénéfique pour moi de là où j’en suis à partager l’intimité du vécu personnel. Juste, je pense que je le fais différemment. C’est vrai que moi aussi, j’essaie de ne pas y penser, sinon je pense que je ne dors pas ! Quand je regarde toutes les ruptures que j’ai réglé par textes interposés //ahah// je vois là… c’est gênant aujourd’hui, mais c’est OK ! //ahah// Mais oui c’est sûr, que maintenant les choses que je publie elles sont peut-être un peu différentes, en tout cas, dans le rapport que moi j’entretiens à ça, j’essaie de le faire un peu différemment.
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CD : Et toi Nelly, tu as déjà signé des textes avec ton nom de famille ? Pour avoir un point de comparaison comme disait Marcia sur la différence entre les deux moments, le moment où on signe juste d’un prénom et…
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MB : Oui ce que je voulais dire, c’est sur la question d’écrire l’intime, parce que c’est quand même le gros du zine. S’est posée aussi assez rapidement une question, que je trouve des fois, et que t’anticipes pas, c’est la question de qui te lis ? Et qu’est-ce que ça provoque chez les gens ? En fait, le texte à un moment donné ne t’appartient plus. Puis il circule, il est interprété, réinterprété, et ça, je trouve que le zine était un bon apprentissage, parce que c’était progressif. C’est ça, ça s’est diffusé petit à petit. C’est d’abord des gens que tu connais, puis des gens que tu ne connais pas et comme dit Nelly, l’avantage, d’un zine, c’est qu’au contraire, d’un post Facebook qui est partagé par plein de gens que tu peux voir, les zines on a eu pendant longtemps aucune idée de comment ils circulaient et on s’est juste rendu compte de manière assez fortuite qu’il y avait des… endroits qu’on n’avait pas anticipés, d’où ils étaient. Mais ça, moi je crois que j’ai trouvé que c’était un bon apprentissage et que c’était intéressant de voir ce que ça peut provoquer un texte et de te rendre compte que tu ne peux pas tout contrôler.
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N : Je crois qu’on avait une forme de confiance entre nous aussi, tu vois, et une forme de naïveté. Du fait, que nous on était dans notre bulle en train de créer notre petit zine et que vu qu’on est potes, il y a aussi ce truc où le texte que je vais faire sur ma rupture, quelque part, je le fais lire à ma pote, et pour moi c’est normal. //ahah// Je crois qu’il y avait un peu ce truc d’avoir sous-estimé la réception, voilà. Après bon, de toute façon le texte, une fois qu’il est sorti, il est sorti et plus trop à soi, mais ouais. Moi j’ai largement sous-estimé ce que ça créait ! //ahah//
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MB : Moi j’en ai une très… C’est vraiment celle qui m’a le plus marquée et j’y pense encore et d’ailleurs je la comprends mieux à mon stade, maintenant, qu’à l’époque. Le truc qui m’avait fait halluciner c’est que j’avais écrit un texte qui, pour moi, était humoristique, et quand je l’ai lu en public, on est venu me voir pour me dire que quand même c’était super violent. C’est vrai que je parle de mes expériences, donc… Ce que ça veut dire c’est que ce que toi tu décris avec humour en disant « Ahahah c’est trop rigolo ce qui m’est arrivé », et les gens trouvent ça horrible ! Ça j’avoue que ça m’avait obsédée quoi, je me rappelle je crois, que je t’en avais parlé Nelly, j’étais là « mais n’importe quoi ! Enfin ça veut dire quoi, c’est violent ? » Voilà, puis bon, évidemment, des années plus tard tu te dis, oui effectivement, j’avais une forme d’humour noir qui était un peu bizarre ! Mais ça, c’était un exemple de réception qui m’avait travaillée quoi ! j’avais trouvé ça très spé’. Je ne sais pas, toi t’en a eues Nelly ?
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N : Mais moi j’ai plusieurs exemples qui me viennent en tête en fait. Bon, il y a des choses qui sont autour de la visibilité que ça donne et le fait que moi j’ai eu le sentiment à des moments aussi que je ne savais plus ce que les gens quand ils me rencontraient savaient de moi ou pas. Ça, c’est quand même un peu perturbant. Et puis, avec un côté un peu figé, parce que, par exemple, la personne qui a lu ton texte hier et qu’en fait toi tu l’as écrit il y a 3 ans, et qui te rencontre ensuite, avec l’impression de savoir un truc de toi hyper vrai, alors qu’en fait… Ça je trouve que c’est un peu bizarre dans les relations que ça créait, parfois. Je pense qu’il y a un truc aussi qui m’a bien fait réfléchir depuis. C’est le fait que j’ai vraiment sous-estimé, enfin comment dire. J’avais l’impression que je ne parlais que de moi, et que donc, ne parlant que de moi, j’avais le droit de dire tout ce que je voulais.
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N : Oui ok merci ! J’étais convaincue que ça parlait que de moi et que je n’ai pas pris soin de… par exemple, je ne sais pas. Je prends toujours mon exemple à la con là, des textes de ruptures. Mais c’est, de vérifier aussi que des détails que je donne, ou des choses que je dis, elles ne m’appartiennent pas qu’à moi et qu’est-ce que j’en fais ? Ça ne veut pas dire que je dois forcément prévenir je ne sais pas qui ou quoi mais… en fait c’est aussi ce rapport à quand je me sers de ma réalité et de mon vécu pour écrire quelque chose d’artistique, qu’est-ce que je fais des… qu’est-ce que j’en fais en fait, ouais. Ça me pose question un peu.
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MB : Moi j’avais eu… ça me fait penser que j’avais eu aussi le cas de quelqu’un qui m’avait dit « j’ai trop aimé le texte que t’as écrit à propos de moi » et j’étais là « euh », bon je pense que j’avais menti, j’avais dit « Ah ok, ouais », mais c’était pas du tout à propos de la personne ! Ouais des trucs comme ça ! Ou j’étais là genre mais « Ouhlala il y a visiblement eu un énorme malentendu ! » Ça, ça m’avait fait rire ouais ! Je m’étais dit : « Ah ouais en fait les gens quand même ils ne sont pas dans nos têtes. Donc, quand on écrit un texte, nous on a l’impression que c’est hyper limpide de qui on parle mais en fait, pas du tout ! ».
Élise Gay & Kevin Donnot (E+K)
Comme on le voit avec Coder Le Monde, l’usage de technologies mettant à jour automatiquement le contenu permet la production de formes uniquement possibles par ce biais, à l’instar du système d’hypertexte.
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KD : L’idée de Coder le Monde était de travailler un principe où le code est à la fin comme un système et comme un langage. Il y a tout un tas de textes dans le catalogue qui parlent de cette question du langage : la différence entre langage formel et langage naturel, la différence entre code en tant qu’encodage de données ou en tant que programme.
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Avec HTML2Print, nous avons balisé tous les contenus dans un langage qui s’appelle Markdown et YAML, tout le livre est rangé dans des dossiers avec des petits fichiers textes et nous avons développé un backoffice, un CMS custom [...] Il y a un système de gestion de contenu en PHP comme sur un site web qui vient récupérer tous les contenus et qui les preprocess pour générer des pages HTML, qui sont ensuite interprétées avec une feuille de style CSS particulière pour l'imprimé.
[…]
KD : C’est une façon pour nous d’organiser le contenu, de mettre à jour les textes quand ils arrivent parce que nous sommes quand même dans une chaîne de l’édition relativement rigide : relecture de textes, les images, la photogravure etc...
[…]
KD : La programmation permet donc dans ce projet, d’avoir des fonctionnements automatiques. Toute la spécificité du livre c’est qu’à l’intérieur des pages texte, à chaque occurrence d’un nom, d’un nom de projet ou d’un langage, un algorithme produit comme une espèce d’hypertexte, c’est-à-dire qu’à chaque occurrence, on retrouve les références des autres pages où l’occurrence est citée. [...] Cela permet de circuler de façon non-linéaire dans le texte et de rejouer un fonctionnement qui serait hypertextuel, un peu plus proche du web, non linéaire.
[…]
Pour pouvoir faire les drapeaux de notre texte, nous avons été obligés de développer un petit module à HTML2Print permettant de faire des retours à la ligne de façon « soft ». Quand il y a un nom, la ligne devient beaucoup plus longue avec les annotations de pages. Tout cela implique une énorme complexité qu’on ne voit pas à la fin, parce que la mise en page s’inspire volontairement d’exemples historiques.
[…]
KD : Oui, initialement nous savions qu’il allait avoir des corrections de textes. Il y a une nécessité de mettre à jour le contenu. Le processus de l’édition n’est jamais linéaire, il y a toujours des corrections sur maquettes.
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KD : Pour répondre à ce problème, nous avons développé un outil qui permet de baliser tout le contenu et de finir le contenu en ligne, qui sert à la préparation de copie avec un balisage : ainsi définir les titres, les sous-titre, le texte courant, les citations et placer toutes les espaces fines automatiquement. L’outil permet aussi d’inspecter le code de balisage puis d’exporter un format intermédiaire. L’outil est générique à tous les projets possibles, puis pour chaque projet nous avons une moulinette JavaScript qui coule le contenu exporté.
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KD : La publication est aussi publiée sur CAIRN et donc sur le site de CAIRN il y a le même balisage, la même version ; toutes les notes sont automatisées. C’est très adapté pour des livres de textes.
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EG : il y a peu d’image, la seule chose que nous faisons sur InDesign : c’est l’intégration des images. Tout se fait automatiquement pour le texte et pour les images, nous voulons pouvoir les gérer.
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C’est un outil interne qui nous sert à nous pour l’édition de publication multi support simple, où il ne s’agit pas de faire des grands drapeaux, où il ne s’agit pas de gérer des rapports image---textes compliqués. L’outil sert cependant à publier un même texte sur plein de supports et de pouvoir le mettre à jour régulièrement.
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EG : Pour une collection où la mise en page est toujours la même, où il y a beaucoup de texte, cet outil est idéal parce que la mise en page est assez facilement automatisable. Nous le paramétrons une fois. Puis les notes de bas de page se font automatiquement avec l’outil d’InDesign. C’est uniquement sur ce genre de contenu que l’outil fonctionne très bien.
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KD : C’est plutôt de l’automatisation que j’appellerais technique, pour la mise à jour technique, pour le flux de travail de l’édition. Cela ne l’est pas du tout pour de la création. Dans Coder le Monde, l’édition générative était justement là pour apporter des systèmes de circulation non-linéaire et des systèmes de lecture alternative. Pour ACB et cet outil, c’est purement technique : pour faciliter le flux de travail autour d’un projet. Cela n’a pas d’impact sur la mise en forme, nous aurions très bien pu couler les textes de la même façon sur InDesign, mais nous nous serions coupés de cette possibilité de mise à jour et de publication multi support.
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lui demandons de continuer avec notre texte. Le réseau de neurones tient compte de la forme de l’écriture précédente, de la logique de tracé précédente pour poursuivre.
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KD : Non, nous avons plutôt utilisé une série d’outils nommée Voyant, ils permettent d’avoir plein d’information sur un texte et de voir les récurrences de termes, les interconnexions entre les champs lexicaux.
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KD : En fonction de leur proximité dans le texte et en fonction d’un champs sémantique associé à chaque mot.
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Mais j’ai tendance à redévelopper des choses qui existent déjà alors que ce n’est pas forcément utile dans le projet. C’était bien plus rapide de faire des copier-coller de chaque double page, même si ça parait un peu aberrant et très facilement automatisable. Mais c’était dix fois plus rapide que de redévelopper un système d’analyse sémantique qui aurait pu avoir lu dans une boucle tout le texte.
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KD : La partie graphique de Back Office, ce n’est pas ce qui nous intéresse le plus dans le projet. Elle fonctionne bien, la grille est très flexible. Mais, ce qui a été particulier dans le projet, pour nous, c’était plutôt l’expérience d’être éditeur, la relecture des textes et travailler avec des auteurs et des traducteurs, des lecteurs et des relecteurs, d’imaginer des sommaires, des contenus en fonction de thématiques.
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EG : La version numérique de Back Office, c’était une des premières fois nous avons vraiment pu penser à la lecture sur écran sur du texte long. Cela pose beaucoup de contrainte, nous avons essayé de retrouver des astuces qui aide à la lisibilité, avec le compteur de lignes, pour réussir à se situer dans un texte, c’est quelque chose qui est complètement évident avec un ouvrage papier qui un objet est très sensible, avec la lecture en ligne c’est complément perdu. Il était important pour nous de le rendre sensible au maximum ; c’est pour cela qu’il y a un pourcentage de lecture sur le sommaire.
Mathieu Tremblin
MT : Tu parlais d’in situ, je suis assez attentif aux termes. Je n’emploie pas « in situ » parce que c’est une notion qui a été conceptualisée par Daniel Buren dans les années 1960 pour parler de son travail artistique. Cette notion demeure en France associée à l’artiste en ce qu’elle désigne un lien indéfectible entre l’œuvre et son lieu d’implantation. Le terme que j’emploie c’est « situation » ou « contexte ». Je vais parler de situations urbaines ou de contexte urbain. Néanmoins, in situ a eu d’autres usages plus ouverts – entendu comme équivalent de « site-specific » en anglais – outre-Atlantique et dans d’autres disciplines comme l’architecture. Mais, j’imagine que vous redéfinissez in situ, vous l’entendez comment dans le cadre de la biennale ?
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PM : Ce qui nous intéresse c’est ce que tu fais dans ton travail, une pièce qui est faite pour un contexte particulier, une situation particulière, et qui pourrait difficilement être déplacée dans un autre espace.
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MT : Ok, revenons à ta question. Tu l’as assez bien identifié, à l’origine les éditions Carton-pâte en 2007, ce sont des fanzines que nous pouvions réaliser avec des camarades issus de mon crew de graffiti et que nous n’avions pas les moyens d’éditer en grande quantité. Il s’agissait de tirages confidentiels diffusés de la main à la main. Ils étaient presque vendus à prix coutant parce qu’ils coutaient cher à produire. Jiem L’Hostis, lui, utilisait vraiment la photocopieuse en collant les photos et le texte pour composer sa mise en page. C’est un parti pris qui existait à cette époque dans le monde du graffiti. De mon côté, je faisais de la mise en page avec des logiciels comme QuarkXpress ou InDesign : des outils liés à la production industrielle du livre. Très vite, je me suis dit que c’était dommage que le cadre éditorial soit tributaire d’une logique marchande. Je trouvais que ce rapport à l’autoédition à l’époque d’Internet méritait d’être repensé. Le mode de production induisait une certaine rareté. Je ne voyais pas en quoi limiter le nombre d’exemplaires apportait quoi que ce soit au travail.
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Démo de tous les jours c’est aussi une sorte d’ascèse : au lieu d’asseoir sa pratique artistique sur un curriculum vitae – « je suis artiste parce que j’ai fait tant d’œuvres et d’expositions », il va s’agir de se poser la question de l’actualité de sa sensibilité et de son désir – « ok, j’ai fait ça, mais qu’est-ce que je fais aujourd’hui ? ». C’est une affaire d’auto-discipline qui permettrait de maintenir la pratique dans le domaine du vivant plutôt que de la destiner à sa propre taxidermie. Cette recherche d’une constante de vie dans la pratique, c’est une manière d’aller vers plus de précision, plus de justesse, plus de finesse. Si on me demande de regarder rétrospectivement mon travail et qu’on me demande quels travaux sont les plus décisifs, je ne garde généralement que cinq à dix travaux ; et souvent les plus récents. Mes exigences se déplacent et évoluent. Le contexte n’est plus le même et finalement je me dis que je préférais faire des gestes très légers. Puis quelques temps plus tard, je me dis que j’aimerais bien faire des œuvres plus permanentes, qui restent et sur lesquels je pourrais revenir pendant dix ans. Je pense que c’est ça le rapport à la démo, comment on peut demeurer dans la tentative et l’expérimental, plutôt que dans le résultat. Comment on est dans une dimension processuelle dans notre rapport à l’art, plutôt que dans une logique de production et de monstration. C’est à cet endroit qu’advient le basculement entre les pratiques artistiques urbaines du début du XXe siècle – où l’idée c’était de s’émanciper de l’espace de galerie – et celles des années 1980-1990 dont une bonne part ont voulu rester dans la rue. Je pense notamment à Antonio Gallego [^Peintre et plasticien français né en 1956 qui a pratiqué le collage de fresques réalisées sur papier avec le collectif Banlieue-banlieue, entre 1982 et 1987.], Ox [^Ox est un artiste français, il vit et travaille à Bagnolet. Il a co-fondé le collectif les Frères Ripoulin avec Claude Closky et Pierre Huygues. Il pratique le collage d’affiches en s’appropriant des espaces d’affichage publicitaires. Pour voir son travail, consulter son site web ici.] ou Jean Faucheur [^Jean Faucheur est un artiste plasticien français né en 1956. Il a également co-fondé le collectif les Frères Ripoulin, et pratiqué le collage sur des panneaux publicitaires. Consulter son site web ici.] par exemple qui ont appartenu à cette nouvelle vague d’artistes urbains contemporaine de la première génération de graffeurs en France et qui sont beaucoup intervenus par voie d’affichage au sein des collectifs Banlieue-banlieue [^Groupe d’artistes formé en 1982 à Poissy, initialement composé d’une dizaine de membres, dont Alain Campos, Anita Gallego, Antonio Gallego, José Maria Gonzalez et Daniel Guyonnet. Consulter le blog du groupe ici.] ou les Frères Ripoulin [^Groupement d’artistes parisien·nes actif entre 1984 et 1988, parmi lesquel·les Jean Faucheur, Ox, Claude Closky, Pierre Huygues.]. Ce basculement, c’est une sorte de nécessité intrinsèque assez libertaire, une volonté de ne plus être assujetti à son statut d’artiste ou à la manière dont l’art est montré. Il s’agit de prendre en charge les moyens d’existence de l’art plutôt que de se limiter à sa production et de déléguer sa diffusion à des tiers. C’est une dynamique autogestionnaire qu’on peut retrouver aussi dans la culture techno, dans la culture skate, et dans le graffiti ou le hacking aussi, quelque part.
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PM : Je reviens sur le texte de présentation des éditions Carton-Pâte que je trouvais intéressant. Tu dis « éditions Carton-Pâte est une maison d’édition en ligne fondée en 2007 par Mathieu Tremblin destinée à accueillir une typologie de gestes éditoriaux réalisés dans l’urgence et à l’économie de moyens. »
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MT : La typologie de gestes éditoriaux en question, c’est celle qui part du fanzine et qui va jusqu’au livre-objet, en passant par les multiples supports que l’on retrouve disséminés dans notre quotidien urbain : affiche, autocollant, tract, etc. Il est question de conserver la liberté formelle et conceptuelle qui a pu exister avec les premiers livres d’artiste des années 1960 qui étaient très artisanaux ; certains artistes ont pris le parti de s’affranchir totalement des conventions éditoriales en faisant par exemple disparaître les informations éditoriales, en n’ayant pas de numéro ISBN voir en effaçant jusqu’à leur propre nom. Le passage au numérique permet de dessiner un cadre éditorial professionnel et une traçabilité où ces informations qui deviennent comme des sortes de métadonnées en ex-libris et de rejouer dans le même temps cette dimension bricolée. C’est d’ailleurs la fonction de la jaquette à motif de papier marbré – l’identité de Carton-pâte – qui vient « encapsuler » les éditions du catalogue et indexer les informations du contexte de création, qui dès lors n’ont pas la nécessité d’apparaître dans l’édition même.
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De cette manière de 2007 à 2016, au moment où j’ai réintégré au nouveau site web toutes les éditions réalisées avec David Renault à mesure des années, j’ai reposé des contraintes éditoriales très strictes. Les premières publications que nous avions faites entre 2006 et 2012 étaient certes en reprographie, mais le façonnage – dos carré collé et massicotage – ralentissait et complexifiait le processus. On perdait la spontanéité qui pouvait exister avec un fanzine un pli agrafé, on perdait cette urgence et cette fluidité du geste : on était dans l’attente de la livraison et on retombait dans une logique éditoriale plus classique. En 2016, j’ai donc normalisé toutes les publications pour revenir à l’essence de cette typologie éditoriale. Des publications qui intègrent dans sa forme les marges techniques autant comme contrainte que comme signature graphique – pas d’images à fond perdu – ; le moins d’impression couleur possible et le recours à des papiers de couleur tels q’on en trouve chez tous les reprographes – avec les trois grammages de papier 80, 120, 160 g/m2 les plus courants – ; une reliure à plat avec des relieurs d’archives ce qui permet de ne pas s’embêter avec l’imposition des pages puisque les pages sont imprimées dans l’ordre du chemin de fer – puisque la reliure n’est pas fermée, il y a la possibilité d’augmenter ou de modifier l’édition, avec l’ajout d’une traduction des textes dans un second temps par exemple.
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Il s’agit plus de faire un geste éditorial avec une adresse et un contexte de diffusion situé que de faire un livre qui serait diffusé dans les réseaux classiques de distribution tels que les librairies et les bibliothèques. Carton-pâte agrège des logiques propres à l’auto-édition et à l’édition numérique, ce qui permet une flexibilité et une immédiateté à rebours des modalités traditionnelles de publication où les échelles de temps et de financement sont étrangères à celles de la pratique artistique.
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MT : Oui, en quelque sorte. J’avais appelé cette série « croquis d’étude », littéralement Study Sketch. Ce que je fais en peinture a un intérêt parce que je le fais dans un certain contexte. Je choisis un mur et comme je procède la plupart du temps sans autorisation, je n’ai aucune certitude que l’intervention reste ; elle va vraisemblablement générer des réponses ou des interactions multiples et inattendues à cause de cela. Si je fais ce même travail sous forme de dessins, qu’il ne reste plus à voir que le pseudonyme des tagueurs sans leur calligraphie originelle en référence, je soustrais en quelque sorte toutes les questions que l’action sur le terrain va soulever. Le dessin a son autonomie et je préfère que cette autonomie trouve une place dans le quotidien plutôt que dans un espace d’exposition. L’intérêt de l’édition, c’est qu’elle circule dans les espaces du quotidien, qu’elle a une existence dans la vie de tous les jours comme l’art dans l’espace public. On rencontre autant une œuvre urbaine de manière fortuite en marchant dans la rue, que sa documentation sous forme de publication en ligne au détour d’un blog, dans le fil d’un réseau social ou imprimée dans un magazine ou un livre. On arpente indifféremment une ville ou un livre, et l’œuvre est trouvée plutôt que montrée.
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MT : Est-ce que tu as vu la revue Alea [^Alea “Espaces et corps parcourus et traversés”, Carole Douillard, Paris, Éditions Carton-Pâte, October 2017, A3 recto, 36 p., ISBN 979-10-95982-19-7] ? C’est littéralement une revue dont le format est pensé pour être présenté dans un espace de vitrine. Le nombre de pages, la manière dont va être réparti le texte, les images, s’il y en a, tout cela va être agencé en fonction de l’espace où la revue va être présentée en placard. Et ensuite sur le site, les pages de la revue sont rassemblées dans un PDF en recto. La revue est pensée pour être montrée une première fois dans l’espace public et consultée de cette manière là. Cela se joue à trois niveaux de lecture : un texte qui est fait pour être lu à l’échelle du chemin de fer déployé sur la vitrine ; ensuite, lorsqu’on se rapproche, il y a les images ; et enfin au plus près, il y a un entretien sur la question de l’enregistrement des traces et des expériences urbaines. J’en ai fait une avec Carole Douillard qui était pensée pour une vitrine de FRAC. J’aimerai bien présenter le prochain numéro dans la vitrine d’un reprographe. La difficulté, c’est toujours la négociation ; c’est plus facile de négocier une vitrine avec un espace d’art qu’avec un espace commercial. Le commerçant y verra un manque à gagner, alors que l’espace d’art institutionnel ou associatif embrassera la proposition parce que c’est sa mission de donner une vitrine à des projets artistiques. À mes yeux, Alea est vraiment une édition in situ, c’est-à-dire que le chemin de fer de la revue est vraiment conçue en fonction de l’espace où elle va être présentée. Et bien sûr, elle est téléchargeable en ligne, on garde la même logique.
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MT : Les Study sketches avait été faits dans la perspective d’un dossier pour présenter le principe de l’intervention dans un cadre qui n’a finalement pas abouti. Pour Tag Clouds Parable, c’est une proposition préméditée. À chaque fois qu’on me sollicitait pour la publication et la diffusion dans la presse de la documentation de Tag Clouds, j’envoyais les mêmes images pour avoir le plus d’occurrences possibles de ce travail. J’avais choisi de ne pas m’inscrire à l’ADAGP parce que je souhaitais que mes images conservent la même accessibilité que les œuvres urbaines qu’elles documentent, et que le contrôle algorithmique de la propriété intellectuelle en ligne y contrevenait. De fait, je savais qu’il serait quasi impossible d’être rémunéré pour une diffusion – puisque les médias préfèrent traiter la question du droit par le biais de cet organisme plutôt qu’avec les auteurs des œuvres –, alors je demandais une copie papier de chaque publication. À l’origine, je pensais découper dans les magazines ou les livres, et épingler variations des mêmes images imprimées comme des papillons pour en faire une œuvre unique, une fois arrivé à une collection assez conséquente. Et puis finalement, ça m’embêtait de recréer de l’unicité alors que ce qui m’importait, c’était la question de l’accès à l’œuvre urbaine par sa documentation et sa diffusion ; je suis reparti sur un projet éditorial. Plutôt qu’être le personnage de la fable, formuler le geste comme une hypothèse éditorial. C’est devenu une sorte de projet de recherche qui me permettait de revenir sur le buzz en ligne de 2016. Depuis 2010 où j’avais commencé cette série d’interventions urbaines, j’avais fait attention à ce que Tag Clouds ne devienne pas viral. Entre autres, parce que je sais très bien que quand une œuvre devient virale, l’auteur devient l’artiste d’un seul projet. Or, Tag Clouds représente un centième de mon travail, ça aurait été un peu ridicule de réduire des années de pratique à une seule œuvre. Cela peut être une stratégie de communication pour certains – un jeu avec l’économie de l’attention –, mais en ce qui me concerne la destination de mon travail a toujours été l’espace urbain et non le marché de l’art. Je ne voulais surtout pas me retrouver dans une situation où les municipalités m’inviteraient pour réaliser un Tag Clouds : la proposition se serait déplacée vers le repeint hygiéniste de ce qu’ils considèreraient comme des murs de tags « moches ». Ainsi, à chaque fois qu’on m’a demandé de réaliser cette intervention dans le cadre d’un programme, j’ai refusé. Et j’ai continué à la réaliser spontanément sans commissionnement et sans autorisation. Le buzz autour de cette intervention m’a fait réaliser qu’entre les années 2000 et les années 2010, le web décentralisé s’est transformé en réseau privé-public avec les médias sociaux. Avant les curieux, amateurs et journalistes allaient consulter les sites web des artistes et y découvraient les éléments de contexte publiés qui les renseignaient sur le processus créatif et le contexte de l’œuvre urbaine. Aujourd’hui, les œuvres urbaines diffusées via leur documentation sur le web sont réduites à des images dont l’intérêt fluctue avec le marché de l’attention. Elles deviennent des éléments d’une conversation plus large que celle qui les relie à leur contexte urbain, comme des sorte de template de mèmes. En remettant récemment en circulation ces Study Sketches, j’ai voulu réintroduire d’autres registres d’images qui renseignent le processus de création, le travail d’observation et de préparation préalable qui correspond aussi au rythme et aux usages de la ville plutôt qu’à ceux, instantanés, des réseaux sociaux.
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Hic et nunc, l’expression est duplice. Elle est teintée de nihilisme, elle s’accorde parfaitement avec le carpe diem consumériste et la déresponsabilisation qui en découle. Et en même temps, elle me semble aussi renvoyer à une empathie extrême envers son environnement : c’est essentiel d’être présent à soi et aux autres, d’être présent à la ville. Mais ce n’est pas du tout quelque chose d’évident. Avec la société de consommation, on est dans la projection permanente, dans un effacement du rapport au temps et à l’espace. La globalisation annihile toutes les distances et nous pousse à embrasser un désir illimité. Or, c’est une figure impossible dans le monde fini qui est le nôtre. Être ici et maintenant, c’est considérer son désir, la possibilité de le réaliser et de le partager ; ou de le minorer voire de s’en défaire si cela est nécessaire et salutaire. Cela me renvoie particulièrement au contexte de la pandémie. Cette double lecture de l’expression a pu encourager le pouvoir politique à des injonctions contradictoires. Il y a eu des décisions clairement mues par des intérêts privés, au service de la machine économique ; et d’autres, liberticides et absurdes, dont l’objet était d’affirmer un semblant d’autorité et de contrôle, pour rester maître du récit médiatique. Mais je m’égare un peu.
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PM : Non, tu fais bien de parler d’actualité parce que justement notre sujet de recherche ici et maintenant, ça vient aussi du contexte actuel, des confinements, déconfinements, couvre-feu, qui nous fait nous questionner sur les manières d’être présents les uns avec les autres, de trouver des solutions pour se voir et travailler ensemble… Il y avait quelque chose sur lequel je voulais te questionner c’est l’accès qu’on a maintenant à l’espace urbain, qui est très restreint... Est-ce que ça change quelque chose dans ta pratique ?
Camille Bondon
CB : J’ai commencé à noter les choses, à noter le temps quand j’ai arrêté d’être étudiante. Il y avait un aspect un peu vertigineux car quand tu es étudiant tu as un planning qui t’est donné, mais après c’est à toi de décider de ta vie. C’est une pratique qui a donc commencé pour me rassurer, pour voir un petit peu ce que j’avais fait et archiver finalement toutes mes actions. Ça a été aussi un prétexte pour dessiner, parce que je ne suis pas une grande dessinatrice, enfin je n’ai pas de projet de dessin dans ma pratique artistique. Mais ce truc là, d’avoir à noter un peu, par exemple tous les repas que je prends, c’est une sorte de « micro-contrainte » pour pouvoir faire des dessins un petit peu tous les jours. Plus j’ai continué à le faire, plus je voyais que ça m’aidait aussi à structurer mes journées, à établir un peu des programmes. Et à chaque fois que j’essayais de trouver un meilleur modèle d’agenda, je voyais que finalement, l’espace du temps, sa matérialité, avait une forme d’influence ou d’incidence sur la perception que l’on a du temps. En posant la question autour de moi — parce qu’on a un goût partagé avec d’autres amis pour ces histoires-là — je me rendais compte que eux préféreraient les déroulés horizontaux ou verticaux des journées, d’autres voulaient avoir le mois pour avoir une sorte de vision à long terme. Je me suis dit que là, il y avait finalement une sorte de sujet commun, collectif, et que ça pourrait être intéressant d’essayer de faire un tour de cette question, pour voir comment les autres font aussi pour se dépatouiller du temps. Souvent, les questions que j’adresse aux autres pour créer des pièces, sont des questions de l’ordre du commun. Je me dis que si on partage nos savoirs et nos compréhensions de ces communs-là, la vie serait finalement plus simple.
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CB : Oui plutôt localement. Mais les save the date, qu’on peut avoir dans des mariages, c’était aussi une manière de prendre rendez-vous avec les gens, qu’ils aient quelque chose entre les mains. Et puis moi, j’ai ce goût du papier, c’était un prétexte à fabriquer un carton, un objet, une sorte de pochette surprise, avec plein de petits éléments. Ça, je l’ai diffusé à mon entourage, et puis je l’ai disposé dans des lieux d’art. Mais justement, les lieux d’art ça reste toujours un public habitué à la culture, et ce qui est intéressant c’est quand ça va un plus loin, quand c’est des amis d’amis qui d’un seul coup entendent parler du projet et se joignent à l’aventure. Donc il y a aussi le bouche à oreille qui est un bon outil de collecte.
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CB : Non, en fait c’est l’intégralité du carnet que j’ai scanné, et je suis venue recomposer, un peu comme les généticiennes quand elles étudient les manuscrits des autrices anciennes, elles viennent faire des transcriptions dactylographiées du manuscrit, pour pouvoir rendre lisible l’écriture manuscrite, qui peut être difficile à déchiffrer quand tu n’es pas spécialiste de l’autrice. Elles viennent conserver la mise en forme des pages, et remettre des blocs-textes dactylographiés à ces endroits-là. Je trouvais que c’était beau cette manière de coller à l’archive spontanée, où tu n’as pas fait de choix de mise en page. C’est quelque chose qui est de l’ordre de l’intuition, un bel espace d’émergence d’une pensée, des idées. Cette opération de nettoyage, de tout recomposer à l’ordinateur, et aussi de redessiner, c’était une manière de tout mettre à niveau, c’était aussi ce geste-là de publier, de rendre public. Et si là, aujourd’hui, tu devais m’ouvrir ton carnet et bien je passerai un petit moment à essayer de m’acclimater à ton écriture, à ta graphie. Ce geste-là c’était aussi une manière de faire rentrer les gens dans cet espace qui est plutôt privé, de rendre ça plus fluide et lisible.
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CB : C’est un peu hybride, La mesure du temps il y avait ce carton, j’ai fait juste une fois une story sur les réseaux sociaux, et un type que je ne connaissais pas, Adrien, m’a envoyé son agenda. Finalement il y a toujours un ancrage papier parce que j’aime bien ça. Pour Le goût des rêves, j’avais édité une première fois des cartes de visite, et une deuxième fois une petite annonce, un peu comme les annonces de « marabouts », que j’avais dispersé sur mon lieu de vacances, parce que c’était juste le temps précédent le festival auquel j’allais participer. Donc il y a cet objet physique qui circule à un endroit, et les réseaux viennent compléter ces appels. Par exemple pour Les nappés on a collecté des histoires, mais ça s’est fait par correspondance papier, avec un premier cercle de complices qu’on avait sur le territoire. Là, on n’a pas ouvert un appel national, c’est une communauté plus restreinte, ancrée sur un territoire qui a répondu à cet appel. Donc ça dépend aussi des contextes des invitants. Pour Le goût des rêves, le projet devait se faire à Bataville à la fin de l’été dernier, il y a eu le Covid donc ça a changé les choses, mais je devais vraiment être sur place, faire du porte à porte et récolter une matière onirique sur le territoire où allait se diffuser les récits. Ce sont les projets aussi qui guident leurs besoins, et puis après ma capacité à gérer ce que je reçois, parce que recevoir des rêves tous les jours, les écouter, faire des retours aux rêveuses, finalement c’est un temps que je ne peux pas étendre à l’infini. Donc c’est bien par moment aussi de restreindre ces appels-là.
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La forme que je préfère pour La mesure du temps, c’est quand je projette la vidéo et que je fais la voix, qui est normalement off, en direct, de manière synchrone avec les gestes. En fait, j’aime rencontrer des gens, et le fait d’envoyer une vidéo dans une exposition, c’est une forme de monstration qui m’excite moins. J’essaye toujours de faire des formes où je suis obligée d’être là, de rencontrer des gens, que ce soit un moment convivial, moi c’est ça qui me plaît. Mais pour une exposition en Suisse, eux préféraient une version continue, diffusée au sein de l’exposition. Du coup on a enregistré en studio avec un copain la voix off pour qu’elle soit nickel et que ça devienne une vidéo autonome. Pour chacune des formes que je fais, il y a plusieurs états. Par exemple, Faire parler les livres est une collection sur les méthodologies de lecture, comment chacun va venir faire des petits points, corner les pages, recopier dans un carnet ou recopier dans des fiches... C’est une performance, mais c’est aussi une installation, et la transcription de ce que je raconte, j’aimerais bien que cela devienne aussi une édition, le contenu textuel de ma conférence en quelque sorte. Souvent dans les pièces que je peux faire, il y a plusieurs états simultanés d’une pièce, qui sont des espèces d’équivalences.Il n’y a pas une forme, je ne sais pas si c’est que je n’arrive pas ou que je ne veux pas arrêter une forme, mais à chaque fois qu’on m’invite c’est un nouveau contexte, et à partir de ce contexte je fais des adaptations.
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CB : Alors, il y a deux manières de faire, par exemple La mesure du temps c’est un projet que j’ai initié parce que j’avais cette envie là très forte. C’est un projet que j’ai financé moi-même, le temps de recherche, de création à l’atelier, le fait de travailler avec un ingénieur son... J’avais envie de faire cette pièce, donc j’ai pris sur mes économies pour prendre le temps de la créer. C’est une manière de faire quand il y a une envie qui est là et qui est trop forte, il faut qu’elle se réalise. Autrement, par exemple pour Le goût des rêves, la collection de récits de rêves racontés au réveil, j’étais invitée par Michel Dupuy au centre d’art art3 à Valence, et c’est parce qu’il y avait cet espace, ce temps, une rémunération et cette envie avec Michel Dupuy de travailler ensemble, que ce projet est apparu. Les nappés, le projet sur lequel je travaille en ce moment, c’est un appel à candidature pour une résidence que j’ai rédigé avec une amie, et on a pensé ce projet pour ce territoire. En ce moment je travaille sur une histoire des drapés, comment s’habiller en pans de tissus noués, et c’est moi qui suis en train d’écrire ça toute seule, on ne m’invite pas pour l’instant, il n’y a pas de date. Mais comme La mesure du temps, je le fais parce que c’est ce qui me passionne en ce moment. Il y a des choses qui viennent par la passion, et il y en a d’autres qui arrivent par des contextes et tu composes un projet en fonction.
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CB : Oui, mais il y a des règles et le fait d’avoir des trous dans la règle c’est aussi des respirations. Juste là, en ouvrant le document, d’un seul coup j’ai des petites pauses où je peux souffler. Il ne faut pas avoir peur du vide, c’est des moments de digestion du texte qui précède.
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CB : C’était aussi une contrainte, il y avait des fois je ne notais pas mes journées durant trois jours, et ensuite j’oubliais. Ça devenait aussi des choses qui étaient pénibles. Mais c’est ça qui est paradoxal avec les contraintes, à la fois ça t’ennuie, mais ça fabrique quelque chose. Et même si c’est contraignant, je pense que tu continues à suivre un protocole parce que à un moment, à un endroit particulier, ça doit t’intéresser. Je crois que les protocoles ce sont des prétextes, c’est juste une manière de prendre des décisions à un moment donné et d’y aller. Par exemple, j’utilise la Futura parce qu’un jour, j’ai décidé que la Futura c’était chouette comme typographie, et c’est une manière de ne plus décider de typographie. Même si je me rends compte qu’à cet endroit j’aurais besoin de conseils sur les typos. Finalement les protocoles sont là comme règles du jeu, mais ce qui compte c’est de jouer. Il y a des règles, et là le fait que tu ne suives pas ta règle, fait que tu es en train de fabriquer de la forme. À mon avis ton journal est plus intéressant parce qu’il y a des vides, ce qui correspond à la vie aussi. Tu as d’autres choses qui se sont passées, tu as du hors-champ, et le hors-champ est visible parce que justement tu as des trous du coup, et nous on complète. C’est aussi un espace de projection, ces trous dans ton journal. En tout cas pour moi ce sont des lieux où nous en tant que lectrices on a l’espace pour rentrer. Ce sont des lieux d’accueil, c’est un peu comme un paillasson, un espace d’entre.
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CB : Moi j’ai voulu uniquement des agendas de l’année 2017, enfin d’une année en particulier, parce que j’étais intéressée par ces histoires de choses communes. C’est-à-dire que cette année-là, c’est notre axe central, et nous on l’a toutes vu depuis notre point de vue. Au début, pour la forme de La mesure du temps, j’imaginais dire une date et regarder dans tous les agendas ce qui s’était passé à ce moment. Notamment je voyais une date qui revenait beaucoup, c’était les élections présidentielles, de voir « élections », « voter », « premier tour », comment les gens notaient cette chose qui était la même pour tout le monde, mais chacune n’avait pas la même manière de le dire. Une autre date qui revenait aussi c’était mon anniversaire, parce que j’ai fait une grosse fête pour mes trente ans, et mes amis l’ont marqué avec plein de cœurs, plein de petits schémas, et je trouvais que c’était chouette aussi d’avoir cette entrée-là. Mais je me suis rendue compte que c’était trop artificiel de prendre ces dates communes, elles m’empêchaient de parler de tout un tas de trucs géniaux qui se passaient ailleurs. Un autre montage que j’avais envisagé, c’était de parcourir un an, en faisant une semaine chez quelqu’un, puis une semaine chez quelqu’un d’autre, de faire une sorte de zapping. Mais pareil, c’était justement une règle, qui arrivait, qui était parachutée. Et finalement le fait d’en parler avec d’autres « ohh attend j’ai reçu un truc génial cette semaine, regarde il utilise des smiley bières qui trinquent pour dire que c’est les vacances dans son agenda ». Finalement cette écriture là du cœur plutôt qu’une écriture de la tête dans La mesure du temps, c’est celle qui m’a semblé la plus juste. Mais pour en revenir à ton agenda, le fait de ne pas écrire, je trouve que c’est très bien aussi. Il y a une espèce de flou, où on se sait pas quel mois c’est... Ce flou là, le fait de retirer de l’information c’est bien. Enfin c’est quelque chose que tu as fait intuitivement et ce n’est pas anodin. À toi de décider si tu le gardes ou pas. Quand tu écris « Océane entre parenthèses m’a dit que trois petits points », là tu as aussi la question de la parole rapportée. Comment dans ton journal, tu convoques des paroles d’autres personnes ? Et tu as les prénoms, j’aime bien les prénoms parce que ça peuple. Tu pourrais avoir « O. », tu pourrais avoir une autre typographie, ça pourrait être aussi juste « Océane, les suffragettes... » enfin c’est à toi de décider. Tu es un peu à la frontière d’une pièce de théâtre, tu as plusieurs niveaux de lecture, des didascalies, et c’est vachement intéressant entre ce qui est écrit et ce que tu vas dire, par exemple est-ce que tu dis « J » pour dire « jeudi », ou est-ce que tu dis « jeudi » ? C’est la marge entre la partition, ton texte et son interprétation. Par exemple « samedi j’ai fait un rêve en forme de visioconférence », tu as mis des parenthèses, pour moi cela veut dire que c’est dans un registre plus intime, donc tu le mets entre parenthèses un peu pour le protéger. Je me demande comment tu l’as notifié dans la version lue à voix haute ?
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CB : En fait, tu as ton protocole qui était de parler des choses un peu depuis ton statut d’étudiante, alors qu’en fait tu es une femme, et c’est aussi là, intégré dans le journal, toi en tant qu’individu au complet, pas juste une partie de toi. Mais il y a des gens qui font des choix assez strictes, de séparer la facette artistique de la vie privée, et moi je sais que ça me plaît toujours quand il y a d’un seul coup, un mélange entre les deux Il y en a pas trop de choses privées dans le début de ton journal, mais ça arrive et je trouve que c’est important. C’est te signaler aussi. Je trouve que ça a sa place dans ce genre de texte. Et puis il y a de l’humour, « hier c’était le premier avril », j’aime ce genre d’idioties.
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CB : Justement, Adrianna travaille beaucoup avec une avocate pour toutes ces questions. Effectivement, il y a la vie privée, mais il y a aussi le droit d’auteur, les gens sont auteurs de leurs lettres. Donc elle fait un tri, elle n’utilise que les lettres où l’on a pas d’indices pour retrouver l’autrice. Dans la forme de son projet, elle fait lire et écouter les lettres, et si tu es lectrice, tu signes une décharge comme quoi tu ne feras pas de photos ni d’enregistrement. Finalement elle n’utilise que l’espace éphémère de la parole, et c’est ta mémoire qui va archiver mentalement les lettres. Mais elle ne diffuse pas le contenu tel quel, et ni en entier. Ce qui est un peu un truc comme ça, parce que concrètement, il reste un flou juridique là-dessus. C’est une question que je me suis posée, lorsque j’ai réédité une partie d’un texte de Jacques Rancière, Le Maître ignorant. Je lui ai écrit, ainsi qu’à la maison d’édition, pour leur parler de ce que je voulais faire et leur demander l’autorisation, mais je n’ai pas eu de réponse. Il y a des moments où tu fais des choses dans l’illégalité, et il y a des négociations que tu fais avec ta conscience parce que tu trouves que c’est important de le faire. Surtout, je trouve que Le Maître ignorant, de Jacques Rancière est un texte formidable, et que c’est une manière de diffuser, de le faire connaître. Même si c’est illégal, c’est ma petite histoire qui fait que je me suis autorisée à prendre ce risque.
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CB : C’est marrant que tu dises ça, parce qu’en fait les deux étaient profs, l’un était prof en collège et l’autre aux beaux-arts. Mais ils ont commencé avant d’être enseignants, quand ils étaient étudiants ensembles aux Beaux-art de Bourges. Mais il y a quelque chose évidemment de la figure du pédagogue, comme Le Maître ignorant de Jacques Rancière. L’idée de ce texte c’est que tu es maître mais tu es ignorant, donc en fait tu ne vas pas apprendre à quelqu’un quelque chose mais tu te places au niveau de l’autre. Dans la posture de Dector & Dupuy il y avait quelque chose aussi de l’étudiant, c’est-à-dire de la personne qui étudie et qui découvre. Ils ne venaient pas te raconter, ils n’incarnaient pas cette figure d’autorité du professeur ou du conférencier, mais ils étaient plutôt situés depuis nous, depuis la personne qui se balade. C’était dans un format qui était convivial et ouvert, et qui faisait que tu apprenais énormément à chaque fois. Surtout parce pendant leurs visites, il y avait souvent des personnes extérieures qui intervenaient.
Garance Dor & Vincent Menu
Ça fait peut-être aussi partie de la genèse effectivement. Moi j’étais comédienne, metteuse en scène, auteur également. Donc j’avais un rapport particulier au texte. Le texte m’intéressait à la fois du côté des arts plastiques par rapport à la question de la délégation de l’œuvre dans tout un courant qu’on pourrait dire conceptuel qui permet de transmettre une œuvre pour que quelqu’un d’autre le mette en production, comme Weiner [^Lawrence Weiner est un artiste américain, l’une des figures centrales de l’art conceptuel.] le théorise avec ses Statements où il déclare que l’œuvre peut être faite ou pas, mais qu’elle peut être également faite par d’autre. Cette idée que l’artiste n’est plus forcément le producteur et que l’œuvre peut être transmise et faite par d’autres. Et puis dans le champ du théâtre ce qui m’intéressait c’était des textes qui se dégageaient d’un modèle théâtral conventionnel, on pourrait dire dramatique et qui allait du côté de la performance et je m’étais rendu compte que la plupart des formes hybrides que je voyais sur scène et qui avait du texte n’était pas éditées. Parce que justement ce texte-là n’était pas considéré comme un texte littéraire, mais qu’il était comme une forme de sous-texte pour les éditeurs. Et donc c’est à cet endroit-là, à cet interstice qu’on a décidé de travailler.
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GD : Oui c’est un espace intermédiaire, c’est un espace artistique et de recherches. C’est un projet d’artiste avant tout, partagé avec Vincent, en invitant d’autres artistes donc en ça c’est effectivement un endroit d’accueil. Mais c’est aussi un espace de recherche puisqu’il permet d’interroger la manière dont les artistes aujourd’hui conçoivent la partition et aussi d’interroger des textes hybrides ou entre-deux, qu’on pourrait dire intermedia.
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Parce que dans Véhicule il y a quand même beaucoup de choses écrites : c’est quand même plus du côté de la littérature ou du texte, mais de s’inscrire dans un format qui est un autre format : un format musical.
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VM : J’ai optimisé son intention, j’ai remis en page avec la typographie qu’on utilise dans Véhicule, avec nos outils, typographiques, etc. Ensuite on a cette grande planche ou on essaie de trouver des formes : parce qu’on a des textes qui arrivent totalement bruts, généralement c’est plutôt ça. Donc il faut jouer un peu avec tout ça.
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GD : Puisque c’est un objet qui est vraiment terminé à la main… Puisqu’il y a certaines choses que l’on est obligé de faire manuellement, par exemple dans le numéro 3, la proposition de Jacques Jouet il fallait insérer les textes dans les enveloppes. Il y avait certaines choses à agrafer, plier, et enfin rentrer chaque fascicule dans la pochette : c’est un travail manuel qui prend du temps.
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VM : Ensuite on reçoit les propositions et à partir du moment de la réception des propositions, le temps de mettre en forme, d’imprimer c’est de l’ordre de deux mois. Pour le numéro 4 ça s’est un peu allongé parce que l’on attend une réponse de subvention et avec le contexte actuel c’est assez compliqué d’organiser des choses donc on a préféré différer.
Julie Blanc & Quentin Juhel
Le projet Code X a été entièrement produit avec les technologies du web, expérimentales et présentant leurs limites tout comme l’agrégation des textes faite par le biais d’un gestionnaire de contenus.*
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JB : La problématique du web, c’est que c’est un flux, mais lorsque nous mettons en page nous avons besoin de découper ce flux de textes, en bloc pour en faire des pages. Cette fonctionnalité n’existe pas dans le web, le CSS regions c’est une proposition pour faire ça. Mais comme l’indique Quentin, cela a seulement été implémenté pendant un laps de temps très court – peut-être moins de 3 ans sur Chrome, dans le moteur de rendu Webkit*. Alors c’est assez rare, d’habitude tout ce qui est implémenté sur le web, n’est jamais détruit – pour le coup c’est vraiment un contre-exemple. Donc, quelqu’un a mis en ligne un script qui simule cette fonctionnalité.
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FJ : L’agrégation des textes se faisait par le CMS ?
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JB : Il y avait aussi des textes open source écrits dans cette édition ; puis la dernière page était sur les ressources. C’était aussi un manifeste par ces parties sur ces pratiques non conventionnelles.
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Je passe plus de temps à produire des bouts de code, à récupérer des librairies, à tester des outils pas forcément conçus pour faire du graphisme, pour chercher des formes graphiques et trouver de nouvelle façon de faire. Plus dans l’expérimentation, même si je n’aime pas le terme « expérimentation » car il exclut une application professionnelle. Il y a un très beau texte d’OSP qui résume cette idée : qui s’appelle « la caravane » disponible sur f-u-t-u-r-e.